La troisième conférence sociale réunissait les 7 et 8 juillet syndicats et patronat dans un climat tendu par la mise en œuvre du « pacte de responsabilité » et par les récentes décisions du gouvernement concernant le compte pénibilité. Trois syndicats ont boycotté la deuxième journée des travaux.
Ce contexte délétère a peut-être été annoncé par un événement passé inaperçu et qui s’est joué dans le même Palais d’Iéna il y a quatre semaines.
Françoise Geng, présidente de la section du Travail et de l’emploi, et Jean-Luc Placet qui préside la Commission Respect de l’homme du Medef et par ailleurs président de la fédération SYNTEC, bref un tandem apparemment hétérogène, présentaient en effet au début du mois de juin un avis de la section du travail et de l’emploi du Conseil économique, social et environnemental (CESE), sur « le dialogue social, vecteur de démocratie, de progrès social et de compétitivité ».
[caption id="attachment_27447" align="alignright" width="300"] Jean-Luc Placet[/caption]Mais la présidente et le rapporteur de ce travail n’ont pas été suivis par leurs collègues en assemblée plénière et la troisième assemblée de la République n’a pas adopté le projet d’avis. Non seulement les membres du groupe des entreprises privées et ceux de la CGT se sont abstenus mais FO et la CFTC ont voté contre.
Le projet d’avis contenait vingt recommandations qui, pour certaines, se démarquaient des discours officiels du patronat et des syndicats. Il soutenait notamment l’idée d’étendre la loi Larcher de 2007, qui prévoit une concertation préalable avec les partenaires sociaux sur tout projet de loi social, aux propositions de loi.
Les auteurs de ce rapport avorté reviennent pour Opinion Internationale sur les raisons de cet échec.
Dialogue social : une occasion manquée au CESE
Il y a presque deux ans, la section du travail et de l’emploi du Conseil économique, social et environnemental avait clairement exprimé le souhait que le CESE soit officiellement saisi par le gouvernement des projets de réformes du dialogue social qui s’annonçaient alors, ce qu’il lui aurait permis de s’exprimer en amont de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Ce souhait n’a malheureusement pas été exhaussé mais comme la légitimité de l’assemblée de la société civile était entière sur un tel dossier, elle a elle-même décidé de s’en saisir et d’en confier logiquement la préparation à la section du travail et de l’emploi. Le Conseil économique, social et environnemental avait d’ailleurs montré l’utilité d’un tel avis en amont de la réforme de la représentativité syndicale en 2006.
Le projet d’avis, élaboré en section avec la participation active des partenaires sociaux historiques, des représentants de l’économie sociale et de l’environnement, arrivait à point nommé, juste avant la conférence sociale de ce début d’été qui était attendue comme le point de départ d’une négociation interprofessionnelle sur la qualité du dialogue social dans les entreprises et dans les branches (meilleures reconnaissance réciproques des acteurs, meilleur fonctionnement des instances représentatives du personnel, articulation avec les négociations obligatoires, adaptation des règles du dialogue social aux très petites entreprises).
C’est donc en faisant le pari de la plus-value des débats conduits au sein du CESE que la section du travail avait conçu sa contribution et avait œuvré au rapprochement des points de vue. En outre, son rapporteur, accompagné dans cette démarche par une majorité de ses collègues, s’était attaché à mettre en perspective, à dresser le bilan de quinze années de réformes du cadre des relations professionnelles dans notre pays. Le texte élaboré par la section saluait cet effort sans précédent : la refondation de la représentativité et de la légitimité des acteurs du dialogue social ainsi que la dynamique et l’autonomie contractuelles assumées par les acteurs du dialogue social comme par les pouvoirs publics apparaissaient, en dépit d’évidentes limites, comme porteuses d’une culture de dialogue et de confrontation loyale particulièrement nécessaire dans la crise que nous traversons.
Les recommandations faites dans le projet d’avis avaient été conçues comme autant de jalons pour poursuivre dans cette voie. Rien, finalement, ne s’est passé comme espéré et l’on a vu, à la veille de cette conférence sociale certains des acteurs principaux faire volte-face et se mettre à saper les fondements d’un édifice qu’ils avaient contribué à construire patiemment.
Les employeurs
Malgré le travail d’un rapporteur émanant de leurs rangs, les employeurs unis par une discipline de vote cachant mal des divisions profondes, n’ont pas souhaité entrer dans la logique de progrès qu’entendait promouvoir l’avis. Une solution de bon sens était à la portée de tous pour améliorer le dialogue social : le promouvoir dans les petites entreprises, en améliorer le fonctionnement dans les grandes.
Sur le premier point, le projet d’avis se proposait de généraliser par voie conventionnelle les accords permettant une représentation des salariés dans les petites entreprises où une telle représentation faisait défaut, en raison des faiblesses du syndicalisme français et de l’insuffisance encore actuelle de reconnaissance du fait syndical par les employeurs. En réactivant leur division sur le mode de représentation des salariés dans les petites entreprises, l’artisanat tenant à défendre son modèle des comités paritaires régionaux des industries de l’artisanat pour le dialogue social construit sans l’intervention du législateur et sur des bases purement conventionnelles et fonctionnant sur la base d’un financement mutualisé, et les petites et moyennes entreprises s’obstinant à refuser toute mutualisation pour faire émerger une représentation salariale adaptée dans les petites entreprises, les employeurs ont révélé leur véritable préférence : atténuer l’obligation légale d’instaurer une représentation salariale dans l’entreprise.
Sur le second point, l’avis ne cachait pas les enjeux important de réforme des IRP et d’actualisation des règles de la négociation obligatoire, y compris avec l’objectif d’assouplir un cadre parfois trop formaliste des règles des relations collectives de travail, dans un sens qui donne à la fois une meilleure capacité de négociation aux acteurs du dialogue social et de meilleures garanties de compétitivité. Il va sans dire qu’une acceptation même implicite de ces enjeux par les syndicats de salariés n’allait pas de soi et ne pouvait que s’accompagner d’une attention poussée à la reconnaissance du fait syndical dans toutes les entreprises, les petites comme les grandes. C’est bien pourquoi l’avis préconisait de nouveaux instruments de lutte contre les discriminations et de promotion des carrières professionnelles des syndicalistes engagés dans un mandat.
Le gouvernement
La surenchère du gouvernement lui-même, sans craindre de nuire à l’autonomie des partenaires sociaux et ignorant la capacité de ces derniers à s’entendre sur les champs pertinents de la négociation, l’a conduit à céder d’emblée aux revendications des franges les moins progressistes des employeurs sur l’évolution de la représentation salariée dans l’entreprise. L’annonce faite par le ministre en charge du travail d’un moratoire sur les seuils à partir desquels des élections de représentants du personnel doivent avoir lieu (les délégués du personnel dans les entreprises de 11 à 49 salariés, les représentants du personnel au comité d’entreprise à partir de 50 salariés), en contradiction avec l’édifice patiemment construit d’une représentativité syndicale fondée sur l’élection, a privé d’une grande partie de sa substance la concertation et la négociation à venir, tout en écartant les organisations d’employeurs représentées au CESE d’une trajectoire coopérative avec les syndicats de salariés.
Les syndicats de salariés
Le camp des syndicats de salariés s’est montré une fois de plus morcelé, entre ceux acceptant l’évolution inéluctable de la représentativité syndicale mesurée sur la base des résultats aux élections professionnelles et les autres. Le contexte lui-même a conduit la CGT à opter pour un refus d’obstacle : entre une solution la montrant ouverte à la négociation pour améliorer le sort des salariés et des entreprises et une option de repli attestant d’une forte crispation ambiante, elle a opté pour la seconde, sans véritablement motiver le choix de son abstention à un texte auquel elle avait amplement contribué. Le texte comportait pourtant de belles avancées pour la reconnaissance du fait syndical, sur lesquelles la CFDT l’UNSA et SUD ne se sont pas trompés en votant un texte, qui faisait du dialogue social une dimension de la compétitivité.
Le projet d’avis qui a recueilli le 10 juin dernier 78 voix pour, 73 abstentions et 16 voix contre a finalement été repoussé par l’assemblée. Certains de ceux qui, lors des débats de la section, figuraient parmi ses principaux inspirateurs, ont décidé de se retirer in extremis. Le groupe des entreprises a renoncé à soutenir le rapporteur issu de ses rangs et la CGT s’est abstenue sur un texte qu’elle appelait quelques instants auparavant à voter. C’est ainsi que le match a été perdu. L’échec a été discret dans l’ambiance feutrée du CESE mais c’est évidemment un mauvais présage pour la conférence sociale qui s’annonce.
La volonté lobbyiste des employeurs, les annonces intempestives du Gouvernement et la paralysie des troisièmes ont finalement eu raison de la recherche patiente de compromis durables et profitables à tous. Il n’y a plus qu’à espérer que les partenaires sociaux, dans les temps forts à venir sur le sujet et les négociations futures fassent mieux ou aussi bien que ce que préconisait le CESE pour l’intérêt du dialogue social, donc des salariés et du monde de l’entreprise.
Françoise Geng
Présidente de la Section du Travail et de l’Emploi du CESE
Jean-Luc Placet
Rapporteur de l’avis non voté