Iran
10H07 - vendredi 18 juillet 2014

Ardavan Amir-Aslani : « Les accords sur le nucléaire avec l’Iran vont aboutir d’ici octobre »

 

Il est iranien, perse plus encore, et français. Avocat d’affaire, écrivain, il observe l’Iran depuis des années. Il nous explique sa conviction que l’Iran et l’Occident sont entrés dans une phase historique de rapprochement.

 

Amir Aslani

M. Ardavan Amir-Aslani

Monsieur Amir-Aslani, qu’est-ce qui pourrait faire réussir ou échouer les négociations sur le nucléaire avec l’Iran ?

Je n’ai aucun doute sur la réussite de ces négociations. Mes interrogations portent sur la date à laquelle un accord sera obtenu. Je ne pense pas qu’un accord sera signé au terme de la première tranche des six mois qui se termine ce dimanche 20 juillet. Principalement parce que les Américains comme les Iraniens ont encore besoin d’un peu de temps pour rassurer leurs ailes dures respectives : des membres du Congrès américains sont hostiles à toute forme d’accord avec l’Iran comme Robert Menendez et Ted Cruz, et en Iran, le complexe militaro-industiel et politique des Gardiens de la Révolution a des intérêts financiers ou commerciaux ou tend à être arc-boutés sur une aile idéologique dure. C’est pourquoi je pense que dimanche, les négociateurs vont repartir pour un tour de table de six mois et qu’un accord sera signé en septembre ou octobre avant les élections de mi-mandat au Congrès américain prévues en novembre et qui constituent la véritable échéance de cette période d’espoir ouverte depuis les pré-accords de Genève.


Pourquoi croyez-vous autant à un accord ?

Un ensemble de facteurs profonds y concourent : le pouvoir iranien a parfaitement compris que pour assurer sa pérennité, il a besoin d’offrir autre chose aux Iraniens que des limitations des libertés sociales et économiques. Les sanctions internationales cassent tout espoir de vie meilleure. Les Américains, de leur côté, prennent la mesure de la guerre civile qui s’installe au Moyen-Orient : des islamo-fascistes taqfiri sont en train de créer un califat dans le nord de l’Irak que je crois certes éphémère mais qui sème le désordre dans la région. Ces gens là sont payés pour tuer des chiites et menacent l’Iran autant que l’Occident. Les Américains ne veulent plus s’engager militairement au Moyen-Orient et ont besoin d’alliés qui ont la volonté, le savoir-faire, les ressources humaines pour maintenir la loi et l’ordre contre cette irruption volcanique islamo-fasciste.


Vous parlez d’une pax americana-iranienne ?

Cela ne fait aucun doute. Un autre élément change la donne : les Etats-Unis sont sur le point d’acquérir leur indépendance énergétique, ce qui leur donnera plus de liberté vis-à-vis de l’Arabie saoudite. Dans les années 2020, l’Arabie saoudite sera même leur concurrent énergétique. L’opposition fondamentale entre la culture américaine et la conception sunnite wahabite va prendre le dessus sur leur lecture de la région : rappelons le, le 11 septembre n’a pas été causé par des chiites mais par des Saoudiens. En outre, les Etats-Unis essaient d’appliquer à la Chine leur fameuse doctrine du containment, de l’endiguement en faisant tout pour maintenir cette dernière en situation de dépendance énergétique : les Américains ont besoin des Iraniens pour faire obstacles aux velléités chinoises sur les gisements d’hydrocarbures du Moyen-Orient. Enfin, les Américains ont compris que le pétrole chiite (Iran, Irak, Koweït) est plus important en quantité que le pétrole sunnite. Bref, le cadre est posé pour une entente irano-américaine. 


L’embrasement Hamas – Israël ne risque-t-il pas de faire capoter ces négociations ?

Contrairement au discours ambiant, je pense que la guerre entre Israël et le Hamas va, au contraire, inciter au retour de l’Iran. Les Israéliens constatent que ceux qui tirent sur elle sont des jihadistes de l’Islam, personnifiés par le Hamas. Le Hezbollah ne tire pas sur Israël et les Israéliens l’ont reconnu. La menace militaire est sunnite et non chiite.


Vous ne parlez que de raisons géopolitiques à ce rapprochement irano-occidental… N’est-ce pas aussi une demande de la population iranienne ?

Les Iraniens et les Américains ont de nombreuses raisons de s’en vouloir mutuellement. Cependant, le peuple iranien est profondément marqué par sa volonté de revenir dans le concert des nations. 70 % de près de 80 millions d’habitants sont des jeunes, une jeunesse particulièrement éduquée et connectée à 80 %. Cette jeunesse en a marre de 35 années d’ostracisme. C’est une lame de fond qui rapprochera nécessairement l’Iran de l’Occident. 


Dans l’un de vos derniers livres, vous rappeliez que le peuple iranien avait élu en 2012 un Parlement très conservateur et un an après, un président de la République plutôt libéral, Hassan Rohani, ceci à la surprise général. Selon vous, que pense le peuple iranien au fond ?

le Majlis (Parlement) d'Iran

le Majlis (Parlement) d’Iran

Le peuple iranien ne pense qu’à vivre, à manger et à travailler, à améliorer son sort au quotidien et à jouir de plus de libertés, publiques et sociales. Les Iraniens sont fatigués des révolutions, des guerres, des ostracismes et des sanctions. Ils veulent vivre en paix, notamment avec l’Occident. L’élection de M. Rohani marque cette volonté profonde des Iraniens. Ceci dit, M. Rohani a été élu avec un mandat : faire lever le régime des sanctions et faciliter le retour de l’Iran dans la communauté internationale. M. Rohani n’a travaillé quasiment qu’à cela depuis un an. 

De l’image d’un pays antisémite véhiculée par son prédécesseur Almadinejad, M. Rohani a rehaussé l’image de l’Iran. En septembre dernier, il n’a même pas cité le nom d’Israël dans son discours devant les Nations unies. Lui-même et M. Zarif, ministre des affaires étrangères, ont saisi l’opportunité du Nouvel An juif pour saluer la communauté juive iranienne. M. Zarif a aussi condamné avec force l’horreur de la Shoah. 

M. Rohani s’est également employé à améliorer quelque peu le sort quotidien des Iraniens, notamment en matière de règles vestimentaires islamiques pour les femmes, en faisant libérer l’avocate des droits de l’homme, Madame Nasrin Sotoudeh. Beaucoup reste à faire évidemment et dépendra de l’issue de la négociation sur le nucléaire et les sanctions.

M. Rohani essaie de personnifier la main tendue de l’Iran vers l’Occident et l’espoir du retour de l’Iran à sa juste place régionale. M. Rohani a redonné espoir aux Iraniens.


Le destin de M.
Rohani est donc intimement lié au destin de cette négociation internationale ?
 

Absolument. Si M. Rohani échoue, je crains un raidissement radical de l’Iran sur ces questions.


La vie des Iraniens a-t-elle changé depuis un an ?

Oui et non. Si vous allez en Iran, vous allez voir la même détresse économique qu’il y a un an, mais vous allez voir surtout l’espoir : les gens voient l’avenir avec plus d’optimisme et de bienveillance. Et ils ont raison. 

Propos recueillis par Michel Taube

Pour aller plus loin :

 Ardavan Amir-Aslani est l’auteur de plusieurs ouvrages :

  • Iran-Etats-Unis, les amis de demain ou l’après Ahmadinejad, éd. Pierre Guillaume de Roux, 2013
  • Iran et Israël, juifs et perses, éd. Nouveau monde, 2013
  • La guerre des dieux, Géopolitique de la spiritualité, éd. nouveau monde, 2011
  • Iran, le retour de la Perse, éd. Jean Picollec, 2009
Directeur de la publication

Impressions de Téhéran

Patricia Lalonde, chercheur associée à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) livre un plaidoyer en faveur de l'Iran. Loin des clichés souvent véhiculées évoque la diversité de ce pays, bien plus occidentalisé que...
Patricia Lalonde

Iran and P5+1 Negotiations Reach Critical Point

Iran and P5+1 countries appear closer than ever to a framework agreement over Iran’s nuclear programme before the decisive round of talks resumes on Wednesday, yet important differences could still curtail the marathon talks.
Ramin Namvari

Des vœux très symboliques et quelques saveurs pour Norouz

Sam Tavassoli, chef cuisinier du restaurant Mazeh à Paris était en Iran pour la fête de Norouz, une fête qui célèbre le nouvel an dans le calendrier iranien et qui marque également l'arrivée du printemps. Nous l'avons suivi chez...