Les négociations sur le nucléaire iranien entre Téhéran et les « 5 + 1 », regroupant l’Allemagne et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, sont donc prolongées de quatre mois. A la date butoir du 20 juillet, échéance prévue dans l’accord intérimaire conclu à Genève en novembre 2013, les six mois de pourparlers n’auront pas permis d’arriver à un accord final. Prévaut ainsi un sentiment ambivalent : d’un côté, l’impression de surenchère des parties qui empêche les avancées, et de l’autre, l’idée qu’on est proche d’un accord historique qu’aucun des acteurs en présence ne veut ou ne peut laisser passer.
Mais ce qui est nouveau, malgré l’échec relatif que constitue la non conclusion d’un accord ce week-end, c’est que l’espoir et la confiance entre les parties pour trouver rapidement une issue et un accord sont revenus. Car de véritables raisons, conjoncturelles mais aussi et surtout structurelles, tant en termes de politique intérieure en Iran que de politique étrangère, s’imposent aujourd’hui aux négociateurs.
Surenchères respectives mais pourparlers prolongés
Un accord complet au 20 juillet était certainement hors de portée. Ce mardi, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, reconnaissait qu’il existait encore « de très grandes divergences ». Mohammad Javad Zarif, son homologue iranien admettait que « de sérieuses difficultés demeur[aient]», en précisant que les négociateurs auront « peut-être besoin d’un peu plus de temps ».
Lors du marathon final des négociations commencé la semaine précédente à Vienne, la surenchère semblait de mise. Alors qu’une grande partie des six mois de négociations portaient sur la forme que prendrait l’accord, les discussions récentes sont rentrées dans le vif du sujet et abordaient le fond, notamment la capacité d’enrichissement d’uranium que conservera l’Iran après un accord. Plus précisément, il est question du nombre de centrifugeuses – les machines qui réalisent l’enrichissement – que Téhéran pourra garder. Ce point, au cœur de la discussion, constitue l’un des principaux sujets de divergence.
La semaine dernière, Ali Khamenei, le Guide suprême iranien, ultime décisionnaire dans le dossier nucléaire, surenchérissait en estimant que l’Iran aurait besoin à terme d’une capacité équivalant à 190 000 centrifugeuses, soit 10 fois plus que le nombre dont l’Iran dispose aujourd’hui. Alors que le ministre français Laurent Fabius a jugé acceptable que Téhéran en conserve « quelques centaines », John Kerry rétorquait qu’il était « extrêmement clair que les 19 000 centrifugeuses dont l’Iran dispose actuellement sont [déjà] beaucoup trop ».
Plus réalistement, l’Iran semble vouloir conserver ses capacités d’enrichissement au niveau actuel pendant une période allant de trois à sept ans. Les déclarations des uns et des autres procèdent ainsi plus de tactiques et de postures de négociation que d’objectifs réels. François Nicoullaud, analyste expérimenté et ancien ambassadeur de France à Téhéran, estime que « côté iranien, il y a une tendance à placer la barre très très haut pour fatiguer l’adversaire » et, face aux négociateurs iraniens, les grandes puissances font pression sur les Iraniens pour obtenir le maximum de concessions en faisant passer le message qu’un accord ne sera pas accepté à tout prix.
La perspective d’une entente pour l’échéance de dimanche est certes repoussée mais l’impasse est évitée. Si l’accord de novembre 2013, qui a relancé la discussion nucléaire, prévoit que celle-ci s’achève au 20 juillet, il réserve aussi la possibilité, d’un commun accord, d’une prolongation du dialogue pour six mois. Ardavan Amir-Aslani, avocat et écrivain franco-iranien, nous prédit un accord final en septembre ou octobre, juste avant les élections de novembre au Congrès américain.
Cette semaine, au cours d’une conférence de presse à Vienne, M. Zarif s’est déclaré en faveur d’un prolongement des pourparlers : « Au point où nous en sommes aujourd’hui, nous avons fait suffisamment de progrès pour être en mesure de dire à nos chefs politiques que c’est un processus qui vaut la peine d’être poursuivi. » Sans s’avancer autant, M. Kerry a lancé quelques signaux dans la même direction. Aussi bien pour Téhéran que pour les Occidentaux, ne pas reconduire les négociations serait évidemment le déni de tout ce qui a été accompli jusqu’à présent. Là serait le véritable échec aux conséquences incalculables pour tous les protagonistes. Ce dont personne ne veut au fond.
L’économie iranienne, raison principale pour Rohani d’arriver à un accord
Se retrouver à la case départ – nouvelle imposition de sanctions (en partie levées depuis l’accord intérimaire de novembre 2013) et reprise par l’Iran de son programme nucléaire partiellement gelé représenterait en effet un échec patent pour les deux camps. Il s’agirait d’un échec pour les Occidentaux dont l’objectif est avant tout d’avoir toutes les garanties nécessaires que l’Iran ne cherche pas à développer un programme militaire nucléaire, objectif qui prend d’autant plus de relief face à un Proche et Moyen-Orient embrasés comme ils ne l’avaient été depuis longtemps.
Pour leur part, et comme l’observe Thierry Coville, les Iraniens ont impérativement besoin de sortir de leur isolement diplomatique et d’obtenir la levée progressive des multiples sanctions – de l’ONU, des Etats-Unis et de l’Union européenne – qui pénalisent gravement leur économie. Certes, grâce à des efforts du gouvernement iranien pour diversifier et ouvrir l’économie et, en profitant aussi de la levée partielle des sanctions, l’Iran a vu sa situation économique légèrement s’améliorer en 2014, mais le pays est encore loin d’être remis du choc dû aux sanctions. Avec un taux de chômage de 15 % de la population active en 2013, dont plus de 30 % chez les jeunes, et une inflation galopante qui a atteint près de 45 % au début de la même année, la pression sociale est forte.
Après un an au pouvoir, Hassan Rohani soulève toujours l’espoir d’une amélioration de la situation économique. Il sait qu’il doit son élection aux perspectives qu’il a tracées et qui incluent principalement la sortie de l’isolement de l’Iran. Les Iraniens ont choisi le candidat dont les promesses leur semblaient les plus réalistes et si M. Rohani n’est certainement pas seul aux commandes, les autres instances du pouvoir ne peuvent ignorer la pression sociale et les attentes des Iraniens.
Si la question est de savoir si Hassan Rohani sera l’artisan de la réconciliation avec l’Occident, il serait pourtant simpliste d’oublier la forte composante patriotique – nationaliste diront certains – qui caractérisent aussi les attentes des Iraniens. Cette composante est particulièrement bien illustrée par la question du nucléaire. Dans un récent sondage, à peine 6 % des Iraniens considèrent comme une priorité la poursuite de leur programme d’enrichissement d’uranium. Mais, dans un étonnant réflexe de cohésion nationale, 96 % d’entre eux se déclarent prêts à payer le prix des sanctions pour garantir la continuité de leur programme nucléaire.
Il semble ainsi revenir aux Occidentaux de savoir ne pas franchir « la ligne rouge » et d’accepter et de comprendre que l’Iran ne renoncera vraisemblablement jamais à son programme nucléaire, civil tout au moins.
Une conjoncture géopolitique qui pousse les Iraniens et les Occidentaux à se rapprocher
L’enjeu économique est de taille également et introduit peut-être des distorsions entre partenaires occidentaux : ces derniers convoitent avidement le marché iranien, surtout depuis la perspective de la levée des sanctions. Pendant que la justice américaine sanctionne très lourdement BNP-Paribas pour avoir effectué des transactions en dollars en Iran ces dernières années, les entreprises américaines vendent déjà des machines-outils aux Iraniens. De même les Allemands, plus avancés que les Français dont seul le Medef et quelques politiques informés explorent le marché iranien. Beaucoup d’acteurs économiques, surtout en Europe où la crise affûte les opportunités trop rares de nouveaux marchés, ont intérêt à une issue favorable à la négociation nucléaire pour voir se lever les sanctions.
Mais en même temps, surtout aux Etats-Unis, beaucoup pourraient néanmoins se satisfaire d’un Iran isolé, en termes économiques du moins. Il est vrai qu’après tout, les Américains par exemple, n’ont pas de relations commerciales avec les Iraniens depuis la Révolution de 1979.
Mais l’Iran se trouve au cœur d’un bouleversement géopolitique sur fond de conflit en Syrie et en Irak et dans un Moyen-Orient embrasé notamment avec des affrontements entre l’armée israélienne et le Hamas dans la bande de Gaza. Il redevient ainsi un acteur régional central partageant des intérêts clefs avec les occidentaux mais surtout avec les Etats-Unis. Les Américains partagent en effet avec l’Iran chiite le même ennemi, le djihadisme sunnite et particulièrement son avatar, l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Il ne s’agit pas d’imaginer une réconciliation immédiate entre les Etats-Unis, les Occidentaux et l’Iran, le passif est trop lourd, mais une coopération fonctionnelle, notamment en Irak, est envisageable. En outre, tant l’administration d’Obama que les Européens sont, semble-t-il, de plus en plus persuadés que la stabilité au Proche et Moyen-Orient ne peut pas être atteinte sans la contribution de l’Iran, donc sans sa reconnaissance comme puissance à part entière.
Ces éléments politiques majeurs n’ont certes pas suffi à obtenir ce week-end un accord final sur le nucléaire. Mais la prolongation de six mois des pourparlers, qui semble désormais acquise, continue à représenter une occasion historique pour modifier définitivement les rapports entre l’Iran et l’Occident et pour que les espoirs qu’a suscités la présidence de M. Rohani se réalisent.