La réforme économique et la lutte anticorruption constituent les deux missions principales de Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir à l’automne 2012. Si les effets de la première ne se manifesteront que sur le long terme, la deuxième a vite balayé toute la Chine.
Sous le mot d’ordre « Frapper les tigres aussi bien que les mouches » de Xi Jinping, 182 000 haut-fonctionnaires chinois se sont vus disgraciés en 2013, dont le cas sensationnel de Bo Xilai. En juillet dernier, les chutes consécutives de Xu Caihou, le numéro deux de l’armée chinoise, et de Zhou Yongkang, le chef de la sécurité publique de la République populaire, ont provoqué un retentissement inédit, tant dans la sphère politique que dans l’opinion publique en Chine.
Corruption : une maladie chronique en Chine
La concentration du pouvoir et le manque de surveillance constituent le foyer de la corruption, dont la nature est l’abus de pouvoir. Problème institutionnel, la corruption existait déjà en Chine féodale. La Chine antique était une société fortement structurée par les liens familiaux et les connaissances interpersonnelles. Encore aujourd’hui, les anciennes pratiques du favoritisme et du népotisme sont souvent mises en œuvres par les Chinois, qui pour un grand nombre les considèrent comme le moyen le plus efficace de « faire tourner les choses ». Au niveau politique, l’institution politique chinoise actuelle porte l’empreinte de celle de l’Union Soviétique : les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont concentrés dans le Parti communiste central et l’organisme de surveillance, à savoir la Commission de la discipline, qui est également affiliée au Parti. Quand il s’agit de l’anticorruption, la Commission de la discipline exerce l’ordre donné par le pouvoir central et sa marge de manœuvre est grande, faute d’un mécanisme normatif.
Le développement économique de la Chine offre aux officiels une nouvelle possibilité de corruption : les proches ou les connaissances de certains hauts fonctionnaires profitent de l’influence politique de ces derniers pour faire fortune dans le commerce. Ainsi, les entreprises nationales et l’immobilier sont des secteurs piliers de l’économie. Les personnes enrichies offrent, à leur tour, une forte somme de « remerciement » aux officiels. Le cas de Zhou Yongkang en est un exemple.
Par ailleurs, le maigre salaire des fonctionnaires chinois contribue sûrement à leur corruption. Initiée par Mao Zedong, « au service du peuple » sert de devise pour les fonctionnaires communistes, qui ne sont pas censés toucher un gros salaire au cas où cela les « éloignerait » du peuple. Avec le développement économique, les prix ont augmenté de manière générale mais le salaire des fonctionnaires n’a pas fait de même. Résultat : ils doivent trouver d’autres moyens de subsistance – et la corruption s’avère l’un des moyens les plus « efficaces ».
Établir un mécanisme anticorruption : un rêve lointain
Cette nouvelle purge anticorruption, malgré sa sévérité inédite, suit toujours l’ancienne forme d’organisation : la Commission de la discipline du Parti exécute l’ordre du pouvoir central et envoie des équipes d’inspections dans chaque province pour effectuer des enquêtes au cas par cas. Les haut-fonctionnaires mis en cause sont ensuite convoqués devant un tribunal. Certains haut-fonctionnaires choisissent de comparaître sans avocat car, selon eux, la Commission de la discipline du parti a déjà pris sa décision et la procédure judiciaire n’est qu’une simple formalité. « En tant que membre du Parti communiste, comment oserais-je recourir à un avocat pour défier le Parti ? Je suis à la merci du Parti, » a ainsi avoué Liu Fangren, ex-Secrétaire du Parti pour la province du Guizhou, pris dans la corruption.
Depuis le début de l’année, près de 70 fonctionnaires se sont suicidés, selon les chiffres officiels. « C’est peut-être la meilleure façon de protéger leurs proches et leurs collaborateurs politiques, » signale la presse de Hongkong. Selon la pratique habituelle, une fois que la personne en question est morte, toute inspection en cours devrait être suspendue, ce qui permet de cacher toute éventuelle corruption pour toujours.
« Il faut garantir l’indépendance du système de contrôle, » remarque Li Yongzhong, expert en anticorruption. Le but de cette grande campagne anticorruption, selon le Président Xi Jinping, est « d’établir un mécanisme de discipline, de prévention et de garantie afin d’assurer que les responsables n’osent ou ne puissent s’engager dans des activités de corruption. »
Néanmoins, la réalisation de ces projets ambitieux est beaucoup plus difficile que de les annoncer. Pour établir un mécanisme préventif de corruption, certains sociologues chinois ont proposé de commencer par la déclaration du patrimoine des fonctionnaires, comme le font de nombreux pays occidentaux. « C’est une bonne idée, mais sa mise en application serait extrêmement difficile dans notre pays, » explique Li Yongzhong, car « à part les questions techniques, un grand nombre de fonctionnaires vont s’y opposer. »
Par ailleurs, l’opinion publique chinoise conteste la persistance et la motivation de la campagne d’anticorruption, puisqu’on a surtout vu des adversaires politiques de Xi Jinping tomber sous le coup de la campagne. Ce point de vue est partagé par de nombreux médias occidentaux.