De grandes questions de société, certains enjeux de justice, la mise en œuvre des lignes directrices de l’Union européenne en matière de droits de l’homme dans le monde relèvent de la Commission européenne. Souvent décriée et montrée du doigt, elle est un des piliers de l’action publique. Opinion Internationale se devait de décrypter les lignes de force qui traversent la nouvelle composition de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker.
Le 10 septembre, Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre luxembourgeois (1995-2013) et ancien président de l’Eurogroupe (2005-2013), choisi cet été pour succéder à José Manuel Barroso à partir du 1er novembre, a dévoilé la composition de la future Commission européenne.
Cette annonce s’est déroulée sur fond de montée de l’euroscepticisme incarné principalement par les succès du Front national (23 députés européens) en France et de l’UKIP en Grande-Bretagne (24 députés) au Parlement européen, de divergences profondes entre les Etats membres concernant les grandes orientations économiques et financières de l’Union et de volonté par les pays d’Europe centrale et orientale de renforcer leur présence dans les institutions européennes.
La nouvelle Commission Juncker, qui doit encore être validée par le Parlement européen, relève bien d’un subtil jeu d’équilibriste où ont été prises en compte à la fois les aspirations des Etats membres et des groupes politiques au sein d’un collège rassemblant les trois grandes composantes politiques de l’Union : le Parti populaire européen (PPE), le Parti socialiste européen (PSE) et l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ALDE).
Le savant dosage d’une grande coalition européenne
Après avoir revu sa copie des dizaines de fois sous la pression des Etats membres et des groupes politiques dont il a reçu le soutien le 15 juillet au Parlement européen (422 voix), Jean Claude Juncker est donc finalement parvenu à former la prochaine Commission européenne qui comprend 28 commissaires, un pour chaque Etat membre, dont 9 femmes. Elle compte 14 membres du PPE, 8 membres du PSE, 5 libéraux et un eurosceptique, le britannique Jonathan Hill.
Soucieux de ménager les sociaux-démocrates, ceux-ci occupent certains postes clés dont celui de Haut-représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui revient à l’actuelle Ministre des affaires étrangères italienne Federica Mogherini. Sa nomination avait soulevé des interrogations notamment de la part des pays d’Europe de l’Est à cause de sa prétendue timidité vis-à-vis de la Russie. Le PSE remporte également le poste de premier vice-président, bras droit du Président, en la personne de Frans Timmermans, le très respecté Ministre des affaires étrangères néerlandais.
La principale interrogation concernait principalement le poste de commissaire aux affaires économiques et financières particulièrement convoité par la France et son candidat, l’ancien ministre Pierre Moscovici. L’Allemagne s’est opposée à ce choix dénonçant le manque de crédibilité d’un candidat issu d’un pays fortement endetté et qui peine à rétablir l’équilibre budgétaire exigé par Bruxelles. Berlin s’est finalement rallié à la majorité des Etats européens soucieux de ménager Paris sous réserve d’un encadrement sévère des attributions du futur commissaire français par des personnalités proches des idées défendues par Angela Merkel. Juncker a ainsi créé des postes de vice-présidents, sorte de super-commissaires aux attributions très larges qui doivent permettre d’améliorer l’efficacité de l’institution. Le socialiste Moscovici sera, selon cette nouvelle organisation, particulièrement encadré par le Finlandais Jyrki Katainen, vice-président chargé des emplois, de la croissance, des investissements et de la compétitivité ainsi que par ses collègues belges (emploi et mobilité des travailleurs), polonais (marché intérieur), suédois (commerce), danois (concurrence) et britannique (stabilité financière).
Malgré leur défaite aux élections européennes de mai, les libéraux se maintiennent également à des postes clés dans la future Commission Juncker car ils incarnent également principalement l’Europe du nord. Sur les 5 membres de l’ADLE que comprend la future Commission Juncker, 2 sont vice-présidents : l’Estonien Andrus Ansip chargé du marché numérique unique et la Slovène Alenka Bratusek chargée de l’Union énergétique. Avec la Suédoise Cecilia Malmström, future Commissaire au commerce et la Danoise Margrethe Vestager à la concurrence, les libéraux pourront largement influencer la politique économique de l’Union.
Enfin, la dernière inconnue concernait Jonathan Hill, très proche de David Cameron, et très critiqué lors de sa nomination par le Premier ministre britannique en juillet en raison de son inexpérience – il était seulement à la tête de la très respectable et aristocratique Chambre des Lords – et de son profil technocratique – il n’est pas élu au Parlement européen. Il hérite du poste de Commissaire à la stabilité financière, aux services financiers et à l’Union du marché des capitaux, un poste important qui révèle tout l’embarras de Bruxelles envers la position eurosceptique de Londres qui demeure cependant un des « grands » dans l’Union européenne.
Des poids lourds de la politique à Bruxelles
Après une deuxième Commission Barroso jugée décevante, beaucoup espérait, au regard des défis que l’UE doit surmonter, une future Commission plus forte politiquement et qui apparaisse plus légitime. C’est notamment en partie pour cela que la personnalité conciliante de Jean-Claude Juncker, à la fois vieux routard de la politique luxembourgeoise et européenne, est parvenue à rassembler au Conseil européen de juin une majorité d’Etat membres autour de sa candidature. Juncker a ainsi toujours cumulé de nombreuses fonctions dans son pays (Premier Ministre entre 1999 et 2013 et Ministre des finances entre 1989 et 2009) et à Bruxelles (Président de l’Eurogroupe entre 2005 et 2013).
La future Commission Juncker comprend ainsi un nombre important d’anciens chefs de gouvernement et d’anciens ministres afin de contrer les accusations de « recyclage » qui ont pesé lors du mandat de Barroso. L’Estonien Andrus Ansip a dirigé son pays entre 2005 et mars 2014, date à laquelle il a annoncé sa démission afin de devenir commissaire européen. Il en est de même pour le Finlandais Jyrki Katainen qui a choisit de démissioner de son poste de Premier ministre le 24 juin. Sans compter Jean-Claude Juncker, la Commission comprend également deux anciens Premiers ministres fraîchement débarqués, la Slovène Alenka Bratusek et le Letton Valdis Dombrovskis. Ces « anciens » occupent tous des postes importants dans le nouvel organigramme de la nouvelle Commission. En outre 15 commissaires ont déjà occupé des fonctions ministérielles.
Enfin, cinq pays ont décidé de prolonger le mandat de leur actuel commissaire. C’est le cas de la Bulgarie avec la très respectée Kristalina Georgieva, un temps pressentie pour succéder à Catherine Ashton au poste de Haute-représentante de l’Union, de l’Autriche, de la Suède, de la Croatie et de l’Allemagne où Günther Oettinger, actuel Commissaire européen à l’énergie va devenir Commissaire à l’économie numérique, l’une des principales priorités de Jean Claude Juncker pour son mandat.
Le recentrage de l’Europe vers l’Est
La nomination le 30 août de l’actuel Premier ministre polonais Donald Tusk au poste de Président du Conseil Européen pour succéder à Herman van Rompuy a également révélé la volonté exprimée par certains Etats membres de mieux recentrer l’Union vers l’Est, dix ans après l’élargissement de 2004 à dix pays d’Europe centrale et orientale. La Pologne notamment a fait part de son intention de rejoindre le club des « grands » de l’Union avec les traditionnels pays d’Europe de l’Ouest : l’Allemagne, la France, l’Italie, la Grande Bretagne et l’Espagne.
Ces nouveaux pays ont présenté pour la plupart des personnalités politiques de premier plan au poste de Commissaire et ont obtenu dans la Commission Juncker des postes clés. Ainsi, sur les 7 vice-présidents, 4 sont issus de pays entrés en 2004 ou 2007 (Estonie, Lettonie, Slovénie, Bulgarie) et si certains autres Etats membres de cette région ont vu leur commissaire relégué à un poste peu intéressant (Hongrie, Croatie), d’autres au contraire ont obtenu des postes clés comme la Pologne dont la candidate Elzbieta Bienkowska, actuellement vice-premier ministre du pays, s’est vu confiée le portefeuille stratégique du marché intérieur, de l’industrie et des PME, la Slovaquie avec Maros Sefcovic qui gagne les transports ou la Roumanie et Corina Cretu qui a obtenu le portefeuille de la politique régionale.
Enfin, si on voit également une montée en puissance des pays d’Europe du Nord qui détiennent des postes clés dans la définition et la mise en œuvre de la politique économique et financière européenne, l’Europe du sud au contraire semble n’avoir obtenu que les miettes à l’exception, on l’a vu, de l’Italie, mais de façon plus surprenante aussi de la Grèce dont le candidat, Dimitris Avramopoulos, actuel ministre de la défense, aura fort à faire en tant que Commissaire à l’immigration et aux affaires intérieures.