Depuis plusieurs semaines maintenant, à l’appel d’opposants politiques, de leaders étudiants et syndicaux, ils sont des dizaines de milliers à manifester au cœur du dragon asiatique revenu dans le giron chinois en 1997 après cent cinquante cinq ans d’administration britannique, et à avoir engagé le rapport de force avec les autorités centrales. Suite à l’ultimatum lancé par les autorités, le mouvement est certes plus faible que jamais et a abandonné certains lieux qu’il occupait jusque là, mais la contestation demeure. Décryptage d’une crise dont les images rappellent à tous la répression brutale de la place Tiananmen à Pékin en 1989.
Alors que la Chine fête le 1er octobre le 65ème anniversaire de la proclamation de la République populaire de Chine, les affrontements entre les forces de l’ordre et les milliers d’étudiants et de militants démocrates qui occupent pacifiquement le quartier d’affaires et du gouvernement de Hong Kong se poursuivent. Les opposants ont notamment lancé un ultimatum à Chun-ying Leung, chef de l’exécutif de la ville, et exigé sa démission. Plus généralement, ils s’opposent au refus des autorités de Pékin d’accorder à la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong le droit, inédit en Chine, d’élire démocratiquement au suffrage universel le chef de l’exécutif de la ville à partir de 2017.
Depuis plusieurs semaines maintenant, à l’appel d’opposants politiques, de leaders étudiants et syndicaux, ils sont ainsi des dizaines de milliers à manifester au cœur du dragon asiatique revenu dans le giron chinois en 1997 après cent cinquante cinq ans d’administration britannique, et à avoir engagé le rapport de force avec les autorités centrales.
Le réveil de la société civile à Hong Kong
Hong Kong occupe une place particulière en Chine depuis la concession de ce bout de terre à l’empire britannique accordée par l’empereur chinois en 1842. La ville n’est revenue à l’Etat chinois qu’en 1997 après un accord signé entre le gouvernement de Tony Blair et le gouvernement chinois dirigé par Deng Xiaoping. Avec la récupération de Hong Kong, c’est ainsi le dernier vestige du colonialisme européen en Chine qui s’efface. Cet accord, tout comme celui qui mit fin à la souveraineté portugaise sur Macao en 1999, revêt ainsi d’une grande importance symbolique pour les Chinois continentaux.
En échange, Hong Kong a obtenu de la part de Pékin des droits sans précédents dans le reste du pays avec le maintien d’une constitution, la « Basic law », et de certains attributs de la souveraineté (drapeau, représentation garantie lors des rencontres sportives internationales et dans certaines organisations internationales, double langue officielle chinoise et anglaise …). Hong Kong possède également sa propre politique économique, sa propre monnaie, le dollar de Hong Kong, son propre système judiciaire fondé en grande partie sur le droit coutumier britannique et sa propre police. Avec cet accord de transition prévu pour durer 50 ans, les habitants de la ville jouissent de fait de droits et libertés inconnues en Chine continentale.
Ce sont ces droits et en particulier celui de choisir librement ses dirigeants que les habitants de la RAS ont choisi de défendre aujourd’hui face à la volonté des autorités centrales de contrôler le processus de l’élection du prochain chef de l’exécutif de la ville de Hong Kong. En effet, selon l’accord prévu auparavant avec Pékin, il devait être, à partir de 2017, élu au suffrage universel. Cependant, sans remettre en question le caractère effectif de l’élection, les autorités chinoises souhaitent désormais que les candidats à cette élection reçoivent au préalable un blanc-seing du gouvernement. Accusant la Chine de vouloir remettre en cause la démocratie à Hong Kong, plusieurs opposants politiques ont dès lors rapidement menacé de voter contre ce projet et appelé aux premières manifestations.
Celles-ci ont été reprises à partir de la fin du mois de septembre par les leaders étudiants et syndicaux, toujours en pointe concernant les questions politiques ou sociales, avec le lancement du mouvement « Occupy Central », du nom du quartier d’affaires et centre du gouvernement à Hong Kong. Cette opération pacifique de désobéissance civile a viré à l’affrontement avec les forces de l’ordre depuis le 28 septembre, radicalisant les opposants qui tentent désormais de s’organiser en vue d’un mouvement durable qui reçoit en outre le soutien de la population. Aujourd’hui, la situation reste très tendue dans le dragon asiatique sur fond de rumeurs d’intervention militaire de Pékin.
Quel avenir pour Hong Kong ?
Au-delà de la question institutionnelle, la crise en cours pose la question plus générale de la place de Hong Kong au sein de la Chine. Quand ce fleuron de l’empire britannique rejoint la Chine en 1997, Hong Kong représentait en effet pour près de 20% du Produit intérieur brut (PIB) chinois pour seulement 6 millions d’âmes. Cette importance vitale pour Pékin lui a sans doute permit d’obtenir ses prérogatives inédites résumées sous le slogan « un pays, deux systèmes ». A travers la réforme institutionnelle, c’est cet accord que le gouvernement central cherche précisément à modifier. Aujourd’hui, si Hong Kong reste une place financière et commerciale importante pour Pékin, elle a cependant peu à peu perdu son influence et les opposants pourront sans doute difficilement faire accepter leurs vues à un Etat dont le PIB est désormais 337 fois supérieur à celui de la RAS.
La place capitale de Hong Kong pour la Chine au niveau économique, commercial, financier et symbolique justifiait ses larges concessions offertes à la nouvelle région. 17 ans plus tard, si elle est toujours l’un des poumons économiques de la Chine avec un PIB de 274 milliards de dollars, et est restée avec Tokyo et Singapour l’une des places financières les plus importantes du continent asiatique, voire du globe, elle ne revêt plus un caractère aussi vital pour le continent. En témoigne notamment l’insolente croissance de la ville voisine de Shenzhen qui, si elle profitait au départ uniquement de sa proximité avec la RAS, est en passe désormais de la dépasser en devenant l’une des plaque-tournantes du commerce international et en attirant massivement les investissements étrangers. Hong Kong compte aujourd’hui pour moins de 3% du PIB chinois. Dès lors, une partie du gouvernement central estime que certaines des concessions accordées en 1997 ne sont plus justifiées aujourd’hui.
La volonté de Pékin de reprendre en partie le contrôle sur la vie politique de Hong Kong en orientant le choix des candidats répond ainsi à la volonté d’atténuer le décalage entre la RAS et le reste de la Chine. Xi Jinping et le chef de l’exécutif de la ville, Chun-ying Leung, s’attendait-il en tout cas à une telle opposition de la société civile ? Ce réveil brusque et violent d’une population attachée à ses libertés et à sa place particulière dans le monde chinois pose aujourd’hui un dilemme douloureux pour Pékin.
Un choix difficile pour le gouvernement central
Si à bien des égards la stratégie privilégiée par les opposants apparaît de plus en plus stérile en raison du décalage des forces en présence, entre eux et le pouvoir des autorités centrales, elle pose cependant un dilemme pour le gouvernement autoritaire de Pékin qui se retrouve face à une opposition pro-démocratique, organisée et populaire dans sa région la plus ouverte au monde extérieur et où, contrairement au Tibet et au Xinjiang, les évènements sont couverts par les médias du monde entier.
Il est évident que Pékin ne peut se permettre d’intervenir massivement par le déploiement de forces de police et de militaires comme elle l’a fait lors de la répression de la place Tiananmen en 1989 ou contre les Tibétains et les Ouïghours actuellement. Le gouvernement chinois, peu habitué cependant à de telles manifestations, ne peut cependant pas prendre le risque de voir ce type de revendications s’étendre au reste de la Chine. Les médias sur le continent continuent donc d’être étroitement surveillés par les autorités tandis que des renforts policiers ont été envoyés à Hong Kong afin d’envoyer un signal clair aux opposants, en espérant que la démonstration de force permette le retour au calme.
Aujourd’hui la situation semble figée et sulfureuse tant les deux parties ont des opinions qui semblent irréconciliables. Les opposants qui contestent la volonté de Pékin d’influer sur la vie politique de Hong Kong sont excédés par le refus du pouvoir de revenir sur leur projet et, avec les récents affrontements avec les forces de l’ordre, sont désormais radicalisés. L’on peut toutefois se demander si le maintien d’une position inflexible par ces mêmes opposants, et ce dès le début de la crise il y a quelques semaines, n’a pas également rendu les autorités chinois, déjà peu sensibles au compromis sur les questions régionales, encore moins enclines à négocier. Si plusieurs manifestations de masse ont déjà eu lieu à Hong Kong en 2003 et 2012 et ont permis l’abrogation des textes contestés, ceux-ci n’étaient le fait que du gouvernement local, cette fois-ci il s’agit d’un bras de fer engagé avec le gouvernement central.
La négociation et le compromis semblent pourtant les seules solutions à la résolution de cette crise. Mais comment rétablir le lien brisé entre les deux parties ? Après les affrontements des nuits dernières, la démission de l’actuel chef de l’exécutif de Hong Kong, Chung-ying Leung, discrédité aux yeux de l’opinion de la RAS, pourrait constituer une première étape vers le retour au calme plus pérenne que la fragile situation qui règne en ce moment dans la ville.