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16H00 - mercredi 15 octobre 2014

Elections en Lettonie : qui a peur du grand méchant Poutine ?

 

Samedi 4 octobre, les citoyens lettons étaient appelés à renouveler le mandat des députés de l’unique chambre parlementaire du pays, la Saeima. A l’issue de ces élections, la coalition actuelle de droite composée du parti Unité du Premier ministre, Laimdota Straujuma, de l’Union des verts et des paysans, dirigée par Raimonds Vejonis, et du parti d’extrême-droite de l’Alliance nationale, emmené par Raivis Dzintars, maintient sa majorité en emportant 67 des 100 sièges à pourvoir. Le principal parti d’opposition, le Centre de la Concorde, parti social-démocrate et pro-russe, ne conserve que 24 sièges. Le taux d’abstention, traditionnellement haut en Lettonie, a atteint 43%.

57% des Lettons se sont rendus aux urnes pour le renouvellement de leur Parlement, le 4 octobre 2014. © Ints Kalnins

57% des Lettons se sont rendus aux urnes pour le renouvellement de leur Parlement, le 4 octobre 2014. © Ints Kalnins

Dans ce petit Etat balte de 2 millions d’habitants membre de l’Union européenne au nationalisme crispé et à la démographie déclinante, ce sont bien les questions identitaires qui ont joué un rôle moteur dans la victoire des principaux partis de la majorité actuelle plus que les problèmes économiques. Les élections se sont en effet déroulées à l’ombre de la crise ukrainienne qui a ravivé la profonde division identitaire entre partis « lettophones » représentant les Lettons « ethniques » et partis russophones qui représentent l’imposante minorité (plus de 30% de la population) de descendants d’anciens citoyens venus de toute l’Union soviétique et dont une partie reste sans nationalité.

Des élections à l’ombre de la crise ukrainienne

La Lettonie entretient depuis son indépendance retrouvée en 1991, des relations ambiguës avec la Russie qui demeure son principal débouché économique. Sur le plan international, ce petit Etat se voit comme une plate-forme connectant le continent européen avec le géant russe et au-delà l’Asie centrale. Mais bien que la Russie semble aussi vitale pour l’économie lettone (premier partenaire à l’exportation, dépendance totale au gaz russe), le gouvernement letton a jugé très sévèrement l’action de Poutine dans la crise ukrainienne – tout en conservant malgré tout une retenue toute lettone. Cette réaction provient de la peur quasi-ontologique des Lettons de voir leur pays revenir dans le giron russe.

Intégré à l’empire russe au XVIIIe siècle, le territoire de l’actuelle Lettonie n’est devenu indépendant qu’en 1920. Staline annexe de force les pays baltes en juin 1940 et la Lettonie devient une république socialiste jusqu’en 1991 date de l’implosion de l’Union soviétique. En son temps, Nikita Krouchtchev initie à la fin des années 1950 une campagne massive de russification dans le pays qui devient dans le même temps un haut lieu du tourisme soviétique. Aujourd’hui encore dans certaines grandes villes dont la capitale, Riga, la langue russe et plus parlée que le Letton. Dans la province orientale du Latgale, à la frontière entre la Biélorussie et la Russie, c’est plus de 80% de la population qui est russophone.

Cette situation explique le caractère problématique de la question nationale en Lettonie. La construction identitaire relève dans ce pays, plus que dans d’autres Etats de l’ex-URSS, d’un impératif à la fois pour les politiques et les citoyens. Cette crainte de disparaître et cette volonté de recréer une nation homogène quitte à exclure les éléments potentiellement subversifs, sont illustrées par l’existence des « nepilsoni », des non-citoyens descendants de ressortissants soviétiques installés en Lettonie après la seconde guerre mondiale. Au moment de l’indépendance, ces personnes en grande majorité d’origine russe, ukrainienne ou biélorusse n’ont pas obtenu la nationalité lettone et constituent aujourd’hui près de 15% de la population. S’ils n’ont pas besoin de permis de séjour et peuvent bénéficier des programmes sociaux, ils sont exclus de la vie publique : pas de droit de vote, interdiction de devenir fonctionnaire.

La question de l’identité nationale est ainsi une question particulièrement sensible en Lettonie, en témoigne de nombreux événements, comme le référendum de 2012 portant sur l’inscription de la langue russe comme deuxième langue officielle qui a été rejeté par près de 80% des participants (70% de taux de participation), les polémiques stériles concernant la conservation du Monument de la victoire, édifice ambigu célébrant la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie, le débat très vif sur la description d’une l’identité lettone dans le projet de préambule de la Constitution ou l’attachement maladif des Lettons à des critères très stricts pour les naturalisations. Cette configuration ethnique et linguistique rappelle en outre, dans les esprits de nombreux lettons, la situation en Ukraine ou en Géorgie, si bien que les élections de 2014 sont devenus essentiellement des élections pour ou contre Vladimir Poutine.

La double lecture de la vie politique en Lettonie

L’observateur de la vie politique lettone doit donc utiliser une double grille de lecture afin de comprendre les résultats de ces élections. En plus d’une division idéologie classique droite/gauche, il faut rajouter une division identitaire entre des partis lettophones et des partis russophones.

Les Lettons ethniques se retrouvent dans des partis plutôt marqués à droite comme Unité (Vienotiba), le parti conservateur dont le leader historique est l’ancien Premier ministre Valdis Dumbrovskis, devenu membre de la Commission Juncker, l’Union des verts et des paysans, alliance improbable entre écologistes et oligarques, et l’Alliance nationale (AN). Ce parti nationaliste connaît depuis sa formation en 2010 une forte progression dans une opinion inquiète pour l’avenir du pays après la très forte récession des années 2008-2009 (23% de taux de chômage en 2009) qui continue de pousser des dizaines de milliers de Lettons à quitter le pays chaque année. Malgré de graves incidents racistes et antisémites et la présence de certains de ses membres dont l’actuel dirigeant, Raivis Dzintars, lors des manifestations des anciens légionnaires qui célèbrent chaque année l’ancienne légion SS lettone, l’Alliance Nationale participe à la coalition gouvernementale depuis 2011.

A l’inverse, les russophones sont principalement représentés par le Centre de la concorde, une alliance politique de plusieurs partis de gauche dont le dirigeant, l’actuel maire de Riga, Nils Usakovs, ne cache pas ses liens avec la Russie et son admiration pour Vladimir Poutine. Aujourd’hui encore, une écrasante majorité de la minorité russophone disposant du droit de vote fait bloc au sein de ce parti qui rassemble à lui seul toujours le plus grand nombre de sièges, forçant les partis lettophones à forger des coalitions hétéroclites pour faire barrière à ce qu’il désigne comme un cheval de Troie de la Russie en Lettonie.

Préférer la stabilité au changement

Ce fonctionnement particulier de la vie politique lettone fait de lignes rouges infranchissables entre les partis n’a pas été bouleversé par les élections de 2014. La coalition actuelle devrait être maintenue et le parti Unité conforté dans son rôle de leader de la majorité. Mme Straujuma devrait donc en toute logique conserver le siège de Premier ministre qu’elle a hérité suite à la démission de Valdis Dombrovskis après l’effondrement d’un supermarché à Riga qui a fait 54 victimes en novembre dernier. Cependant, certaines voix lui préféreraient l’ancien commissaire européen Andris Piebalgs.

Dans le contexte politique et économique régional actuel, les priorités du nouveau gouvernement ne devraient pas changer : soutien à la croissance et lutte contre le chômage par une politique de l’offre, lutte contre l’émigration massive et affirmation de l’identité nationale (débat sur les permis de séjours accordés aux non-résidents de l’Union européenne). Dix ans après son entrée dans l’Union et après avoir adopté la monnaie unique le 1er janvier, la Lettonie espère également renforcer sa place dans les institutions européennes. Elle assurera ainsi pour la première fois la présidence tournante du Conseil le premier trimestre 2015 au cours de laquelle elle compte poursuivre la politique du Partenariat oriental et rapprocher davantage de l’Europe l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, pays qui craignent tous l’ours russe. La Lettonie souhaite également faire entendre sa voix dans la protection des identités au sein de l’UE.

Enfin, dans le contexte actuel, la Lettonie cherche également à renforcer la défense européenne, tout en privilégiant cependant le cadre de l’OTAN dont elle est membre depuis 2004. Face à la menace russe, les alliés ont réaffirmé leur soutien au pays en organisant en septembre dernier d’importantes manœuvres militaires qui font suite à l’exercice « Steadfast Jazz », le plus grand organisé par l’OTAN depuis 2006, qui a eu lieu en novembre 2013 en Pologne et en Lettonie. Enfin, rappelons que la France est engagée dans la défense des Pays baltes au travers de missions « police du ciel », missions de protection de l’espace aérien estonien, letton et lituanien.

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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