Jean-Claude Juncker n’a de cesse de le répéter, la composition de la future Commission européenne sera validée par le Parlement européen le 22 octobre pour une prise de fonction début novembre. Pourtant les auditions par les députés européens des futurs commissaires ont été rudes pour certains candidats, notamment le Français Pierre Moscovici, l’Espagnol Miguel Arias Canete, le Britannique Jonathan Hill, le Hongrois Tibor Navracsics et la Slovène Alenka Bratusek.
Si les trois premiers ont été validés à leur poste par les commissions parlementaires après une deuxième audition, les deux derniers n’ont pas convaincu les députés qui ont rejeté massivement leur désignation. Cet échec oblige le futur président de la Commission à revoir sa copie et retarde encore l’intronisation du nouveau collège de commissaires. S’il veut faire valider son équipe, Juncker n’a désormais d’autre choix que de changer de personnalités politiques ou bien d’opérer un changement de portefeuilles entre les commissaires. Le jeu des chaises musicales au sein de la future Commission ne fait pour ainsi dire que débuter.
L’audition des commissaires, une arme entre les mains du Parlement européen
Les futurs commissaires doivent en effet passer chacun une audition devant les députés européens avant d’être définitivement désignés dans leur mandat comme indiqué dans les traités. Ce procédé a été institué par le traité de Lisbonne qui renforce considérablement les pouvoirs du Parlement européen afin de répondre aux critiques insistant sur le caractère technocratique de l’Union européenne.
Une fois la liste des futurs commissaires établie par le futur président, le Conseil l’adopte à la majorité qualifiée avant de la transmettre au Parlement européen. Chacun des commissaires est alors auditionné devant les commissions parlementaires concernées. Ces audits doivent permettre notamment de déceler si les candidats possèdent les qualités requises pour devenir commissaire européen et s’ils seront capables de travailler en toute indépendance des Etats membres qui les ont investis en premier lieu.
Si les commissions recalent un ou plusieurs candidats, le président doit alors revoir sa copie jusqu’à la validation du collège entier. Une fois les auditions achevées, le Parlement européen procède enfin au vote d’approbation de l’ensemble de la Commission. Un échec de ce vote oblige le président à relancer le processus depuis le départ. Il s’agit donc d’un véritable pouvoir accordé au Parlement européen dans la désignation d’une des institutions centrales de l’Union. Pour rappel, selon les traités européens, la Commission possède le quasi-monopole de l’initiative législative et est également chargée de l’exécution des traités.
Malgré leur caractère objectif, garanti par la représentation de tous les partis politiques européens dans les commissions, ces auditions n’échappent pas pour autant à l’implacable logique politique de Bruxelles.
Echange de bons procédés entre socialistes et conservateurs
De par l’originalité de sa composition (un commissaire européen pour chaque Etat membre) la Commission reflète l’équilibre des forces politiques au sein de l’Union. La validation par le Parlement européen renforce encore cette dimension puisque l’institution se doit désormais, sous peine d’être censurée, de représenter fidèlement l’équilibre des forces politiques au sein du Parlement issu des élections européennes.
Lors des dernières élections de mai 2014, face à la montée de l’euroscepticisme, aucune majorité claire n’a pu être dégagée aussi bien, à droite, par le Parti populaire européen (PPE) qu’à gauche, par le Parti socialiste européen (PSE), obligeant ces derniers à négocier l’instauration d’une grande coalition à l’allemande. La Commission Juncker sera donc forcément faite de compromis entre ses trois composantes principales, le PPE, le PSE et les libéraux, représentés au sein de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ALDE).
Très vite, la question de la répartition des postes et des personnalités a fait surface, les socialistes obtenant la vice-présidence de la Commission, sous la responsabilité de Frans Timmermans, Ministre des affaires étrangères néerlandais, ainsi que le poste de Haut-représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui revient à l’actuelle Ministre des affaires étrangères italienne, Federica Mogherini. Les difficultés se sont vite concentrées sur le Commissaire français, de gauche, Pierre Moscovici, désigné au très stratégique poste de commissaire aux affaires économiques et financières, et le candidat espagnol Miguel Arias Canete, de droite, désigné commissaire au climat et à l’énergie.
Dans le premier cas, certains Etats européens dont l’Allemagne acceptait mal de désigner à ce poste le candidat d’un pays n’ayant pas réussi à rétablir la situation de ses comptes publics. Dans le second cas, les intérêts que l’intéressé, ainsi que sa compagne, possèdent dans l’industrie pétrolière ont fait largement douter de sa crédibilité à ce poste. Les deux candidats ont ainsi été malmenés par les députés européens qui les ont convoqués pour un deuxième entretien, faisant durer le suspense. Finalement, le PPE et le PSE, ayant chacun décidé de s’accrocher à leur choix initial, se sont entendus pour valider la nomination respective de Canete et de Moscovici les 8 et 9 octobre dernier, malgré des doutes sur leur crédibilité.
Un dernier candidat a également été convoqué pour un deuxième entretien. Il s’agit de Jonathan Hill, l’illustre inconnu désigné par Londres pour devenir commissaire européen, et qui a obtenu, dans la composition prévue par Jean-Claude Juncker, le portefeuille des finances et de l’union bancaire. Considéré comme peu crédible à ce poste par de nombreux députés européens, sa candidature a pourtant être validée par les députés afin de ne pas mécontenter David Cameron, le premier ministre britannique.
Les chaises musicales européennes
Pourtant, malgré l’accord de coalition PPE-PSE-ALDE, deux candidats ont encore moins convaincu, il s’agit du Hongrois Tibor Navracsics, candidat au poste de commissaire à l’éducation, à la culture et à la citoyenneté et de la Slovène Alenka Bratusek, destinée au poste de vice-présidente de la Commission européenne chargée de l’énergie.
Dans les deux cas, les députés européens se sont interrogés sur les compétences des candidats et sont restés plus que perplexes devant les choix proposés de Juncker. Tibor Navracsics est en effet membre du Fidesz, parti de droite très conservateur au pouvoir en Hongrie depuis 2010 et dirigé par Viktor Orban. Ce dernier est accusé d’atteintes à la liberté des médias et à l’indépendance de la justice dans son pays. Dans ces conditions, les socialistes et les libéraux ont annoncé qu’ils n’accepteraient pas de donner à Navracsics le portefeuille de la citoyenneté. Quant à l’ancienne premier ministre Slovène, Alenka Bratusek, elle était déjà critiquée avant même d’avoir passé les auditions pour s’être auto-désignée commissaire. Elle n’a guère convaincu les parlementaires qui ont rejeté en bloc sa candidature.
Cette situation laisse donc planer le doute sur la possibilité pour Jean-Claude Juncker de réunir sa future Commission pour début novembre. Ce dernier devra jouer des pieds et des mains pour faire valider sa nouvelle équipe avec plusieurs inconnus : premièrement, si Tibor Navracsics reste, qui récupérera le portefeuille de la citoyenneté ? En toute logique, il devrait revenir au Grec Dimitris Avramopoulos déjà chargé de l’immigration et des affaires intérieures. Deuxièmement, bien que le gouvernement slovène ait déjà proposé le remplacement de Bratusek par Violeta Bulc, le profil de cette dernière ne semble pas plus correspondre que l’ancienne candidate à l’importance du portefeuille. Dans ce cas là, Juncker pourrait être tenté de remanier son équipe afin d’éviter un nouveau désaveu des parlementaires. On parle notamment de donner le poste de vice-président chargé de l’énergie au prétendant slovaque, Maros Sefcovic, chargé des transports dans l’équipe initiale, au risque cependant de déplaire fortement aux Slovènes.
Le vote sur l’ensemble du collège Juncker doit avoir lieu en principe le 22 octobre. Pour parvenir à respecter ce délai, Juncker doit prendre des décisions, et vite. Autrement, il faudra attendra la prochaine session du Parlement européen qui aura lieu à la mi-novembre. Cependant, la visite du pape, prévue le 25 novembre, empêchera, à partir de cette date, l’organisation du vote ce qui pourrait décaler l’entrée en fonction de la nouvelle Commission au début de l’année prochaine.