Il avait vingt ans et un futur de star de l’équipe nationale de football de la Tunisie et de l’Etoile du Sahel, Nidhal Selmi. Un avenir comme en rêve n’importe quel enfant de vingt ans. Mais la conviction de contribuer à une guerre juste a été plus forte que toute autre promesse : en avril dernier, sur son profil Facebook, la photo de profil du sportif à la petite barbe, a cédé la place au drapeau noir avec la Shahada, les versets de la déclaration de foi islamique.
Comme Nidhal Selmi, ils sont trois mille Tunisiens qui ont décidé de se joindre à la cause de « l’Etat islamique » et qui sont partis vers la Syrie et l’Irak, selon les données publiées par l’Institut du renseignement américain Soufan. Trois mille autres seraient partis vers d’autres régions du monde. Neuf mille cependant, selon les données publiées par le ministère de l’Intérieur tunisien, auraient été arrêtés avant leur départ. Deux cent cinquante sont revenus, certains sont en prison, d’autres sont déjà libérés, mais tous sont profondément endoctrinés.
« Quand ils rentrent chez eux, ils ne parlent pas avec nous » dit Mohamed Iqbel Ben Rejeb, qui, avec quatre autres personnes, a fondé l’association pour Sauver les Tunisiens piégés à l’étranger (Rescue Association of Tunisians Trapped Abroad – RATTA). « Ils ne nous disent rien à propos de la Syrie, pour deux raisons : parce qu’ils craignent des représailles sur les familles et parce que ce secret renforce leur sentiment d’appartenance ».
Mohammed sait de quoi il parle, même s’il n’est resté que dix jours grâce à la pression de la famille. Son frère, Hamza, bien que souffrant de dystrophie musculaire est parti à 25 ans pour la Syrie. « Ils sont endoctrinés par internet, principalement par les Tunisiens détenus en prison à l’époque de Ben Ali ou en exil à l’étranger, ou par les musulmans qui ont développé une idée du jihad basée uniquement sur la violence. Soit par les imams qui recrutent nos jeunes dans les mosquées et les revendent à l’Etat islamique pour 3 000 ou 10 000 dollars, selon les fonctions. Parce que l’État islamique est organisé, il y a des hiérarchies, et chaque compétence est rétribuée d’une manière différente ».
Les futurs martyrs tunisiens ont tous entre 17 et 27 ans. Ils ont commencé à partir il y a trois ans, lorsque la révolution a éclaté pour faire tomber le régime du « mécréant » Bachar al Assad. Avant Nidhal Selmi, un autre sportif tunisien, Ahmad Yassin, le gardien de l’équipe de handball de Zaituna s’était déjà rendu en Syrie pour intégrer l’Armée syrienne libre. Démonstration faite, s’il en était besoin, que ce ne sont pas seulement les plus pauvres ou ceux qui ont perdu l’espoir d’une vie meilleure qui répondent à’appel à la « guerre sainte ».
Pourtant, la situation économique difficile dans laquelle est plongée la Tunisie depuis la révolution constitue certainement un terrain fertile pour les extrémismes, mais Ben Rejeb n’a aucun doute : « Les responsabilités de l’Etat comprennent également le fait de ne pas avoir explicitement condamné la violence en Syrie dans le passé, et celle qui a lieu aujourd’hui en Irak ».
Rachid Ghannouchi, leader d’Ennahda, a pourtant fermement condamné les actions de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. « L’Islam n’autorise personne à parler au nom d’Allah. Chaque musulman ouvre son propre livre sacré et a une relation directe avec Dieu. C’est pourquoi il y a autant d’interprétations différentes du Coran, mais chaque musulman est responsable de ses actes » a affirmé Ghannouchi dans une interview.
Ces déclarations suffiront-elles à calmer le climat de radicalisation politique de la jeunesse, peut-être déçue par la révolution en Tunisie ?