L’Indonésie a-t-elle élu son Obama ? Celui que la presse présente souvent comme un homme providentiel saura-t-il relever les défis d’un des pays les plus difficiles à gouverner ? Avec 240 millions d’habitants, la 3ème plus grande démocratie du monde et le cinquième pays le plus peuplé du monde (360 différentes ethnies vivent sur 13.466 îles et parlent 719 langues différentes) a élu comme président de la République Joko Widodo – ou Jokowi par les Indonésiens. Jokowi a été élu sur un programme ambitieux visant à impulser des changements majeurs en Indonésie : combattre la corruption, améliorer l’économie et surtout diminuer la pauvreté. Les attentes sont donc grandes mais les risques de déception le sont tout autant.
Jokowi – un président indonésien hors du commun
Contrairement aux autres présidents indonésiens qui faisaient tous partie de l’élite militaire ou politique du pays, Jokowi vient d’une famille pauvre et représente pour beaucoup d’Indonésiens l’homme simple qui a réussi à accéder au pouvoir sans appartenir à l’élite.
Cette différence importante s’est déjà révélée pendant la campagne électorale dans la polarisation entre Jokowi et son rival, Prabowo, qui représentait cette vieille élite militaire indonésienne. Bien avant les élections, il y avait un sentiment de renouveau incarné par une mobilisation inédite dans la société indonésienne. Si ce sentiment se perpétue même après les élections, il s’est désormais transformé en expectative de la part des pro-Jokowi qui attendent de vrais changements dans leur pays.
Cette euphorie pour Jokowi ne date pas des récentes élections présidentielles. En 2005, il a été élu maire de la ville Javanaise de Solo. Il a été tellement populaire à ce poste qu’il a été réélu en 2010 avec 90% des voix et qu’il est devenu ensuite gouverneur de la capitale Jakarta en 2012. Le journal indonésien « Tempo » l’a élu comme l’un des dix meilleurs politiciens régionaux. Pendant qu’il était maire de Solo et en 2012, il a atteint la troisième position d’une compétition mondiale des maires qui ont réussi à revitaliser leurs villes. Il a reçu cette distinction internationale pour les changements impressionnants qu’il a réussi à introduire à Jakarta : pendant ses deux ans comme gouverneur, il a construit des maisons dans les banlieues de Jakarta pour les familles les plus pauvres, il a introduit un système d’assurance maladie universelle, il a initié des projets de construction contre les inondations lors de la saison des pluies et il a commencé à construire un métro dans sa ville. L’engouement grandissant qu’ont suscité tous ces changements l’a incité à se présenter à l’élection présidentielle. Jokowi s’est en outre fait une image d’un politicien proche du peuple. Connu pour être simple, direct et très humble, cette image à laquelle de nombreux Indonésiens s’identifient lui rapporte un large soutien populaire.
Comme président pourtant, il va lui être difficile de garder cette image de « l’homme du peuple » avec le statut que lui confère la fonction présidentielle, particulièrement en Indonésie. Mais le plus grand enjeu qui attend peut être Jokowi est sa capacité à pouvoir transférer au niveau national son style de politique directe qu’il a exercé au niveau régional.
Jokowi peut-il remplir ses attentes et relever les défis de l’Indonésie ?
Sa plus grande promesse éléctorale a été de combattre la corruption et le népotisme, tâche qu’aucun président indonésien n’a réussi à accomplir jusqu’à présent. Il a en outre promis de s’attaquer aux deux défis majeurs de son pays : la pauvreté et le faible niveau de l’éducation.
Plus grande économie de l’Asie du Sud-Est et dotée d’un potentiel énorme, l’Indonésie est à un moment charnière dans son histoire. Dans les années qui viennent, l’économie indonésienne va certainement grandir mais l’enjeu de cette croissance à long terme se situe dans la réduction de la pauvreté et l’amélioration de l’éducation. Dans un pays où la moitié de la population est âgée moins de 30 ans, ces deux objectifs sont socialement, économiquement et politiquement cruciaux.
L’autre enjeu indonésien de taille, et qui pourrait s’avérer fatal s’il n’est pas résolu, réside dans la part exorbitante des subventions accordées au carburant. Alors que Jokowi a promis de baisser ces subventions au profit notamment de l’éducation et de l’assurance maladie (subventions évaluées à 20 milliards de dollars par an), ce sujet reste particulièrement délicat en Indonésie. Dans un pays où il y a peu de transports en commun et où chacun dépend de sa voiture ou de sa moto, la moindre velléité d’augmenter le prix du pétrole se transforme immédiatement en protestations massives.
Les premiers mois de sa présidence donneront le ton et permettront de mesurer si l’Indonésie a rencontré son homme providentiel…