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10H52 - jeudi 20 novembre 2014

Confessions d’une jeune nord-coréenne

 

 

Le grand leader ordonne : « L’enfant est roi en ce pays. » C’est par ces mots que Kim Il-sung (1912-1994), leader suprême et éternel de la République populaire et démocratique de Corée, décrivait toute l’importance des enfants dans sa politique et celle du Parti des travailleurs. La Corée du Nord est d’ailleurs partie à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) depuis 1990 et a inscrit la protection spéciale accordée par l’Etat aux enfants et aux mères dans sa Constitution. 

Pourtant, la communauté internationale ne cesse de dévoiler les mensonges d’un régime où l’humain est broyé face à l’idéologie totalitaire. Les droits fondamentaux posés par les traités internationaux sont quotidiennement bafoués en Corée du Nord et les enfants sont les premières victimes de cette politique. Afin d’illustrer ce propos, Opinion internationale donne aujourd’hui la parole à Kim « Ara » – pseudonyme qui protège son identité. Transfuge nord-coréenne de 23 ans, aujourd’hui étudiante à Séoul, elle nous dévoile certains aspects de son enfance au sein de la dernière dictature staliniste du monde.

 

Village de la province d'Hwanghae du Sud, le 30 septembre 2011 © Damir Sagolj

Village de la province d’Hwanghae du Sud, le 30 septembre 2011
© Damir Sagolj

 

Une enfance perdue en Corée du Nord

Ara est née et a vécu dans la province du Hamgyeong du Nord, une province déshéritée de Corée du Nord, frontalière avec la Chine. Loin du centre du pouvoir, concentré dans la capitale, Pyongyang, cette région minière rassemble en majorité des exclus du régime et a été particulièrement touchée par la famine du milieu des années 1990. En raison de sa proximité avec le voisin chinois, cette province est également connue pour être l’endroit de tous les trafics : contrebande, commerce parallèle, introduction de produits illicites, et surtout trafic d’êtres humains.

Cette province est également touchée par la malnutrition chronique après avoir connu une longue période de disette entre 1994 et 1997, pudiquement nommée par le gouvernement « marche de la souffrance. » Les estimations les plus pessimistes font état de plusieurs millions de victimes directes et des carences alimentaires graves persistent encore dans la région. Le rapporteur spécial de l’ONU pour la Corée du Nord, Marzuki Darusman,a d’ailleurs dénoncé le détournement de l’aide et le maintien du système de rationnement dans le pays. Selon lui, ce système s’apparente de facto à un moyen pour le gouvernement nord-coréen de maintenir son emprise sur la population.

Les enfants sont les premières victimes d’un tel système qui affecte leur développement physique et mental. Nombreux sont d’ailleurs les orphelins qui errent dans les rues à la recherche de nourriture, volent et mendient. Ils sont durement traités par les autorités qui cherchent à les confiner dans des institutions sordides. Ara n’a pas vécu de telles atrocités. Elle nous explique ainsi qu’elle a toujours eu accès à de la nourriture grâce à la présence de ses grands-parents – fait rare en Corée du Nord. Leur présence permettait à sa famille de recevoir une ration plus importante de farine. Elle affirme également avoir eu accès à des soins médicaux. Toutefois, elle devait se procurer les médicaments auprès de revendeurs et de pseudo-docteurs faisant entrer les produits directement de Chine.

Aucun traitement de faveur n’est accordé aux enfants, hormis dans la capitale. Ils sont soumis aux mêmes lois et endurent les mêmes châtiments que les adultes. Officiellement prohibée, la peine de mort pour les mineurs existe bel et bien en Corée du Nord qui sont par ailleurs nombreux à avoir assisté à une exécution publique. Ara, dont le père a également été tué par le régime, a ainsi assisté à l’exécution d’un ami de la famille à l’âge de 10 ans :

« L’un des amis de mon père a volé un générateur électrique dans une usine et l’a vendu en Chine. Il a été exécuté pour cela. Tout le monde dans le village a été forcé d’assister à l’exécution. Si vous ne vous montrez pas, vous pouvez avoir des ennuis. »

« Ils tirent d’abord dans les jambes pour forcer le condamné à s’agenouiller, puis dans le ventre. Ils placent en général du coton au niveau de l’estomac pour éviter que les organes ne sortent. Puis les bras et la tête. Un sac est posé pas loin afin d’enrouler le corps qui est soit rendu à la famille, soit jeté dans les environs. »

 

Travailler et servir le pays

Pour elle, comme pour d’autres, l’enfance s’est résumée à apprendre à servir le Parti et le leader :

« A l’école, j’ai appris l’histoire et les idées de Kim Il-sung et de Kim Jong-il. » Elle ajoute :« Je faisais également partie d’une organisation de jeunesse. Il s’agissait d’un groupe de dix personnes et si une personne manquait à l’appel plusieurs fois, nous devions aller la chercher directement. Tous les jours, il y avait une séance lors de laquelle nous devions nous repentir pour nos fautes et accuser les autres des leurs. »

L’éducation est gratuite et obligatoire en Corée du Nord jusqu’à la fin du niveau secondaire (16 ans). Les enfants y sont instrumentalisés pour devenir de parfaits serviteurs du Parti et du leader. Une telle forme d’éducation totalitaire ne se retrouve guère plus dans le monde depuis la chute du bloc de l’Est. La Corée du Nord mérite bien en cela son surnom de dernier bastion staliniste du monde. Le gouvernement sud-coréen et d’autres organisations chargées de favoriser l’intégration des jeunes transfuges en Corée du Sud notent d’importantes insuffisances, y compris dans les matières fondamentales comme les mathématiques. L’enseignement de langues étrangères est également proscrit, excepté dans les écoles de la capitale, siège de l’élite nord-coréenne. L’éducation est donc essentiellement axée sur l’apprentissage de l’idéologie officielle.

Les étudiants sont également forcés de travailler, comme Ara en témoigne :

« A partir de l’entrée au niveau secondaire, tout le monde doit travailler dans les champs afin de récoler du maïs, des haricots ou du riz, ou bien aider à désherber. Nous allions en classe le matin ; l’après-midi, de 15 heures à 18 heures, été comme hiver, nous travaillions. »

« Une partie de ma journée au sein de l’organisation de jeunesse était consacrée à la collecte et à l’envoi de certains articles demandés par d’autres organisations. Par exemple, il nous était demandé de collecter et d’envoyer du papier, du cuivre ou de la ferraille dans les usines. Nous devions rassembler des peaux de lapins qui étaient ensuite envoyées aux soldats pour leur tenir chaud et en hiver, nous devions apporter nous-mêmes le charbon ou des bûches pour chauffer l’école et d’autres bureaux. »

 

L’éducation n’est pas perçue comme un ascenseur social en Corée du Nord

Seule l’élite politique, économique et militaire peut envoyer ses enfants à l’université et prétendre ensuite à un poste important dans la société nord-coréenne. Au contraire, le régime a instauré un véritable système de caste, le « songbun » dont il est difficile de sortir. Chaque citoyen se classe dans l’une des trois classes prédéfinies (le cœur, la masse et les éléments hostiles) en fonction de son métier, de sa place dans l’appareil du parti ou de son ascendance. Ainsi, les descendants de soldats sud-coréens emprisonnés au Nord pendant la guerre de Corée (1950-1953) font toujours l’objet de discriminations. Il en est de même pour les descendants de Chinois ethniques ou de criminels et délinquants condamnés.

« Un des aspects de la vie en Corée du Nord est que, si vous êtes né dans une famille de mineurs, les enfants ne pourront que devenir mineurs. Aucune liberté de choix n’existe, » nous confie Ara.

Le gouvernement nord-coréen ne cherche pas à développer l’esprit et l’autonomie de ses enfants. Il cherche simplement à fabriquer des clones dociles qui respecteront le régime. L’éducation n’est là que pour leur apprendre à servir aveuglément la politique de la dynastie Kim et éviter ainsi toute révolte. Ce système ne souffre plus aujourd’hui d’aucune comparaison dans le monde.

 

L’intégration difficile des transfuges en Corée du Sud

Dans ces conditions, ils sont nombreux à vouloir quitter le pays. Ce sont pour la plupart des jeunes qui tentent de franchir la frontière qui sépare la Corée du Nord de la Chine. Les volontaires font bien souvent appel à des passeurs chinois afin de traverser la rivière Yalu, qui sépare les deux Etats. Toutefois, ces derniers n’hésitent pas à tromper leurs victimes en les conduisant directement devant la police chinoise ou bien à vendre les jeunes filles à des Chinois pour les marier, en raison du déficit de filles dans le pays. Ces réfugiés sont également considérés comme immigrés clandestins par la Chine qui les renvoie donc en Corée du Nord où ils s’exposent aux arrestations arbitraires, à la torture et à la peine de mort. Obligés de vivre cacher, et à la merci de la moindre dénonciation, ils restent parfois des années dans le pays, principalement dans la province du Jilin.

Une fois parvenu en Chine, les réfugiés doivent entrer en contact avec la Corée du Sud via une ambassade ou un consulat. Peu sont ceux qui tentent d’entrer dans l’ambassade de Pékin, sévèrement gardée par la police chinoise. Pour la plupart, ils choisissent de partir dans un pays tiers, plus accueillant, principalement la Thaïlande ou la Mongolie. Ara nous fait le récit de sa fuite vers la Corée du Sud :

« Je me suis échappée via la Chine jusqu’en Birmanie et au Laos. Je suis arrivée en Birmanie avec l’aide d’un passeur chinois avant de traverser en bateau le fleuve Mékong pour arriver jusqu’au Laos. Là, le passeur nous a amenés directement devant le poste de police où l’on nous aenfermés. Au moment de mon incarcération, il y avait environ 300 réfugiés nord-coréens dans les prisons laotiennes. Il a fallu environ un à deux mois pour que l’ambassade de Corée du Sud prenne contacte avec nous. Les conditions de détention étaient terribles : nous devions payer pour avoir un lit et la nourriture était atroce. »

Aujourd’hui, le Laos n’est plus considéré comme un Etat-refuge pour les transfuges nord-coréens. En effet, l’année dernière, le gouvernement laotien a approuvé l’expulsion et le renvoi d’un groupe de jeunes réfugiés, âgés de 15 à 23 ans, la plupart atteints de tuberculose et d’engelures, vers la Corée du Nord où leur sort est resté en suspens.

Ceux qui parviennent en Corée du Sud sont alors pris en charge par un programme gouvernemental du Ministère de l’unification, qui leur offre pendant plusieurs mois un logement ainsi qu’une allocation. L’intégration des réfugiés nord-coréens, estimés à plus de 20 000 en Corée du Sud et rassemblés principalement dans la capitale, reste cependant difficile, en raison premièrement du climat de méfiance qui règne entre les deux Corées mais également en raison du décalage entre l’éducation et les compétences demandées pour obtenir un travail. Les notions de capitalisme et de concurrence restent difficilement assimilées par une communauté qui tend à se renfermer dans certains quartiers. Les enfants, là encore, s’intègrent difficilement à une société qui glorifie l’individualisme et où la pression sur la jeunesse est omniprésente.


Les propos de Ara ont été recueillis par Hanna Park, dentiste à l’hôpital Naraset de Incheon, et impliquée dans plusieurs programmes éducatifs en faveur des réfugiés nord-coréens.


 

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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