Multiplication des rencontres bilatérales, programmes de soutien économique massif aux pays de l’Asie du sud-est et de l’Asie centrale, aide à la lutte contre le virus Ebola et le terrorisme international, recherche d’une coopération sécurité avec les Etats-Unis … Depuis l’arrivée du président Xi Jinping, la Chine a déployé une offensive de charme qui doit permettre au pays de gagner son rôle de superpuissance à l’influence planétaire.
Lors du dernier Sommet de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique), organisé à Pékin, qui réunit 21 pays, le tiers de la population mondiale, 60% du PIB mondial et près de la moitié du commerce international, le président chinois a multiplié les annonces et les initiatives. On citera notamment le deal climatique historique avec les Etats-Unis, la rencontre avec le premier ministre japonais, ou l’annonce d’un plan d’investissements massifs en Asie centrale et en Asie du sud.
Pourtant, ces initiatives cachent mal la réalité de la situation. Si à travers elles, la Chine semble vouloir en premier lieu participer au renforcement de la croissance économique mondiale afin de garantir son propre développement, elle emploie volontiers l’économie comme une arme qui doit lui permettre d’asseoir définitivement sa place comme une grande puissance. La diplomatie économique et culturelle chinoise cherche ainsi avant tout à sécuriser les intérêts nationaux face à la guerre d’influence qui l’oppose à ses rivaux : Etats-Unis, Japon, Inde et Russie en tête.
Avec Xi Jinping, la Chine soigne son image
Quand Hu Jintao devient Président de la Chine en 2002 et ce pendant 10 ans, le pays connaît un boom économique sans précédent qui lui permet de (re)trouver sa place parmi les grandes puissances mondiales. Il engage alors une politique étrangère ambitieuse afin d’imposer son pays au sein de l’ordre international. Aujourd’hui, la Chine effraie autant qu’elle suscite l’admiration. Les Etats-Unis ont enclenché un redéploiement de leurs forces vers la région Pacifique et certains pays asiatiques comme le Japon, l’Inde, le Viêtnam et les Philippines ont entamé leur réarmement pour faire face à l’augmentation rapide des capacités de l’Armée populaire de libération (APL) chinoise.
Quand Xi Jinping arrive au pouvoir en 2012, il doit ainsi faire face à une situation intérieure complexe (corruption des élites politiques, scandales environnementaux et alimentaires, insurrections au Tibet et au Xinjiang), au ralentissement de la croissance économique et aux critiques de la communauté internationale. Cette situation l’a obligé, non pas à changer d’objectifs en matière de politique extérieure, mais bien à adapter sa tactique. Aujourd’hui la Chine soigne son image pour obtenir la reconnaissance qu’elle pense mériter. Cela passe autant par la multiplication des rencontres bilatérales, une coordination accrue dans la gestion des crises, des plans d’investissement massif ou l’organisation de grands évènements internationaux.
Cet effort considérable dans la constitution d’un véritable soft power à la chinoise est particulièrement visible sur le plan économique. Deuxième puissance économique mondiale, la République populaire tire la croissance mondiale vers le haut, exporte ses produits dans le monde entier, importe en masse pour satisfaire les besoins de sa classe moyenne émergente et surtout, investit dans le monde entier. En Asie du sud et dans l’Océan indien, la Chine construit ainsi de nouveaux ports et autres infrastructures vitales au Sri Lanka, au Pakistan ou aux Maldives, afin d’édifier une nouvelle « route de la soie maritime ». En Asie du sud-est, Xi Jinping vient d’annoncer son intention d’investir plus de 20 milliards de dollars au profit des pays membres de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du sud-est). En Asie centrale, la Chine détrône désormais la Russie qui considère pourtant cette région comme son pré-carré.
La Chine soigne également ses relations politiques pour apparaître comme une nation bienveillante et respectueuse du droit international. Après une intense activité diplomatique de Tokyo, Xi Jinping a ainsi récemment décidé de relancer le dialogue, glacial à l’heure actuel, avec le Japon. Il a également montré moins d’égard que son prédécesseur à l’encontre du traditionnel allié nord-coréen. La Chine ne s’est ainsi pas opposée à de nouvelles sanctions exigées par le Conseil de sécurité de l’ONU contre le régime de Kim Jong-un et a même provoqué le courroux de Pyongyang en se rendant à Séoul en juillet sans passer auparavant par la capitale nord-coréenne. La Chine s’est également engagée auprès des Etats-Unis avec la signature d’un véritable « deal climatique » le 12 novembre qui pose pour la première fois des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Enfin, elle semble s’être engagée dans la désescalade avec ses voisins à propos des conflits maritimes en Mer de Chine méridionale.
La diplomatie chinoise se déploie également autour des nouveaux pays émergents. Membre des BRICS (Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud), Xi Jinping entretient des relations privilégiées avec eux. Vladimir Poutine a ainsi trouvé un accueil chaleureux auprès du président chinois avec qui il vient de signer un gigantesque contrat énergétique. Les armées russes et chinoises se sont également accordées sur une meilleure coordination et l’organisation d’exercices communs. Enfin, la Chine est à l’origine de la création d’une Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, comprenant 21 Etats, et qui doit concurrencer le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement (BAD), dominés par les Etats-Unis ou le Japon.
Cette véritable offensive de charme économique et politique doit permettre à la Chine de devenir un interlocuteur valable au sein de l’ordre international. De nombreux analystes comparent ainsi le dernier projet d’investissement chinois en Asie centrale dévoilé au cours du dernier sommet de l’APEC et appelé pompeusement « ceinture économique de la route de la soie », avec le Plan Marshall qui, sous couvert d’aider à la reconstruction d’une Europe dévastée par la Seconde guerre mondiale, avait permis aux Etats-Unis de consolider leur influence politique dans l’Europe de l’ouest face à la poussée soviétique.
La diplomatie économique et des sourires ne permettent pas tout
Car il s’agit bien d’une guerre d’influence que la Chine vient de déclencher avec cette nouvelle politique. Loin des considérations symboliques, cette offensive du soft power chinois doit lui permettre d’écarter ses rivaux et préserver ses intérêts stratégiques nationaux.
La Chine de Xi Jinping s’affirme avant tout comme une puissance alternative aux Etats-Unis en entretenant des relations avec des Etats en délicatesse avec Washington ou ses alliés européens. Cette situation est particulièrement perceptible sur le continent africain où la Chine a détrôné les anciennes puissances coloniales dans leur pré-carré par sa politique commerciale agressive. La politique du président américain, Barack Obama, de pivot vers le Pacifique, a été mal perçue à Pékin. La consolidation de l’alliance américano-japonaise en donnant un rôle accru aux forces d’autodéfense nippones (FAD), le redéploiement des forces militaires américaines en Australie, la relance du dialogue stratégique avec les Philippines et le Viêtnam et le réchauffement des relations entre l’Inde et les Etats-Unis sont autant de signes qui inquiètent la Chine qui craint d’être encerclée.
Pékin cherche avant tout à consolider ses approvisionnements et débouchés qui sont à la source de son développement et de sa puissance économique. A ce titre, la Chine investit dans des Etats susceptibles de représenter une alternative aux routes commerciales habituelles dans l’Océan indien (stratégie du collier de perles) et en Asie centrale (route de la soie). Cependant, en parallèle, la Chine continue d’user de son « hard power » en Asie contre le Japon et en Mer de Chine méridionale où les incidents demeurent fréquents avec le Viêtnam et les Philippines. L’armée chinoise dont les budgets – plus qu’opaques – continuent d’augmenter, renforcent ses capacités de projection et envisagent une présence jusqu’au Moyen-Orient. Enfin, Pékin joue un rôle non-négligeable dans la prolifération des armes, en témoigne l’annonce récente du nouveau chasseur J-31 destiné principalement à l’exportation et basé sur des technologies empruntées (certains diront volées) à l’industrie américaine.
Ces démonstrations de force combinées avec la volonté chinoise d’améliorer son image dans la région montre bien que Pékin cherche avant tout à obtenir des concessions politiques de la part de ses voisins. Malgré tous ces efforts, la Chine est cependant toujours perçue comme une menace par de nombreux Etats. Le Japon et l’Australie ont d’ailleurs choisi la voie du réarmement, de même que de nombreux pays d’Asie de l’Est comme le Viêtnam, les Philippines ou la Malaisie. L’Inde, dirigé depuis mai 2014 par Narendra Modi, a également engagé une intense activité diplomatique alternative et engagé la réorganisation de son armée. La diplomatie des sourires ne permet donc pas tout et si la Chine demeure, un partenaire économique important aux yeux de ces Etats, elle est toujours vue avec suspicion. Comme le Japon, ils appliquent toujours une double diplomatie avec Pékin : relations chaudes économiquement et relations froides politiquement.
La politique chinoise actuelle n’est en sorte que le prolongement feutré de la politique extérieure ambitieuse et relativement agressive que mène le pays depuis une décennie pour l’hégémonie mondiale. Elle montre également qu’après avoir usé et abusé du « hard power » fondé principalement sur les capacités militaires et l’intimidation mais concentré sur le continent asiatique, la Chine a désormais les moyens de mener une politique d’influence à l’échelle du globe.