Nous vivons un moment de grands bouleversements dans le monde et notre génération à un rôle important à jouer ne serait-ce que pour notre propre survie. Notre rôle passe, entre autres, par notre capacité à construire des solidarités actives, une empathie universelle pour vivre libre et notre liberté, que nous devons concevoir avec les autres. Chaque génération pèse d’une façon ou d’une autre sur les changements de son époque. Nous y contribuons, que soit par l’action ou l’inaction. Pour agir et construire notre avenir, le digital peut nous permettre d’accélérer les dynamiques. Il nous permet de nous organiser avec les autres pour construire ou combattre et tout combat réclame une stratégie.
Construire la démocratie c’est faire avec la masse des multiples !
« Pour faire la démocratie, il faut faire cesser la terrible ignorance dans laquelle nous sommes des uns des autres » disait Michelet en 1848, après la révolution. On peut donc dire que la démocratie est la capacité des citoyens, où qu’ils soient, où qu’ils vivent, à participer directement ou indirectement aux décisions qui concernent leur vie. Etre citoyen, c’est savoir choisir et choisir suppose d’être bien informé. Le digital, par sa puissance et par la masse qu’il utilise, peut être un formidable véhicule de cette recherche de l’information nécessaire aux citoyens pour accompagner leurs décisions et leurs choix. Il est utile de rappeler que la démocratie est un véritable engagement de tous les jours. Car la capacité des citoyens à participer à la gestion de la cité ne peut se faire que s’ils s’organisent de façon massive et construisent des alliances multiples afin d’établir un contre-pouvoir dynamique et efficient.
Regardons quelques données intéressantes : en 2014, une étude réalisée par We are Social démontre que :
- 6,6 milliards de citoyens dans le monde ont un téléphone portable
- 2,5 milliards ont accès à Internet
- 1,1 milliard sont sur Facebook
- 232 millions sont sur Twitter
- 1,9 milliard ont un compte sur les réseaux sociaux
Ces outils digitaux et numériques peuvent permettre l’émergence de nouveaux espaces démocratiques comme ils peuvent être le véhicule de formes de totalitarisme si nous laissons leur maîtrise et leur utilisation aux seules élites économiques ou politiques.
La solidarité : l’empathie universelle
Depuis toujours la solidarité se manifeste d’abord par une certaine empathie vis-à-vis d’une situation. Avec le digital et le numérique, cette empathie de nature universelle peut se démultiplier. Plus aucune barrière ne nous empêche d’être solidaires avec d’autres. Nous pouvons pétitionner, cofinancer et nous impliquer physiquement dans des combats démocratiques partout dans le monde
Prenons cet exemple : suite à l’arrestation d’une activiste tunisienne des droits de l’homme, nous avons monté une pétition pour faire du lobbying et faire connaitre sa cause. Le jour de son procès, nous avons mobilisé en ligne la somme nécessaire en 24h pour envoyer une délégation à son procès qui avait lieu à Sousse (j’en faisais partie). Je devais le même jour aider un activiste congolais à trouver un logement à Amsterdam où il était en formation et au même moment, une pétition internationale est lancée pour soutenir le mouvement Occupy Hong Kong. J’ai organisé une réunion Skype avec les leaders du mouvement à Hong Kong, pendant que je discutais via Facebook avec les activistes d’Amsterdam pour aider notre ami à trouver un logement pendant qu’une voiture nous ramenait de Sousse à Tunis. Cet exemple, comme beaucoup d’autres, démontre que, grâce au digital, nous pouvons mener des actions démocratique partout dans le monde en même temps et obtenir des résultats concrets qui changent la vie des gens.
Construire des nouvelles alliances subversives pour s’émanciper
Une démocratie vivante est capable de générer ses propres contre-pouvoirs notamment citoyens. Faire démocratie, c’est aussi accepter une certaine subversion des citoyens. Car comme disait Georges Bernanos, dans les enfants humiliés (1949) : « Il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre. »
Les récentes révolutions en Afrique : Tunisie, Egypte, Sénégal, Burkina Faso… nous montrent que cette indiscipline active a été possible grâce à la capacité des outils digitaux à partager de façon instantanée l’information.
Nous savons que les processus d’émancipation nécessitent du courage, l’exemple et l’exemplarité. Nous savons que les régimes totalitaires ont toujours utilisé l’exemple pour asseoir leur terreur tout en empêchant la diffusion d’exemples qui les combattent. Sans l’accès au digital, le courage certes dramatique mais néanmoins exemplaire de Mohamed Bouazizi, ce jeune vendeur ambulant tunisien de 27 ans originaire de Sidi Bouzid mort le 4 janvier 2011 à Ben Arous par immolation n’aurait pas eu d’écho et créé autant d’indignation, d’empathie et de dénonciation de l’injustice qui ont permis des mobilisations solidaires quasi instantanées partout en Tunisie et dans le monde. Le gouvernement tunisien aurait tout simplement étouffé l’affaire et emprisonné la famille et toutes personnes qui auraient tenté de s’exprimer.
Militantisme digital et renouveau de la participation citoyenne
Le développement des plateformes de pétition, de financement participatif, de partage ou échanges de biens, de co-travail, de co-construction, ou de service à moindre coûts viennent renforcer cette idée de la capacité du citoyen à conduire avec maitrise sa propre vie individuelle et collective. Chaque jour, des millions de citoyens racontent leur vie, s’organisent pour l’améliorer, la maintenir ou la changer via des milliers d’espaces dédiés. Le développement des réseaux sociaux permet de transcender toutes les catégories sociales et générationnelles. Il permet aussi de réduire certaines formes de distance entre les citoyens. Il est en effet plus facile de pétitionner pour revendiquer quelque chose ou la refuser, se mobiliser pour soutenir un projet, participer au financement d’un projet, etc. Tout se passe comme s’il y avait une rupture de frontière entre expression privée et publique.
Via les groupes d’intérêts de la communauté de valeurs et/ou des slogans, le « hashtag » permet de s’identifier à un sujet, à une parole, à un groupe et de construire ou pas une dialectique politique.
Les personnes qui hier encore ne pouvaient pas prendre la parole publiquement se retrouvent aujourd’hui sur la place publique et peuvent même remettre en cause des discours officiellement estampillés « pertinents ». Le marketing politique ne se fait plus par le storytelling de la marque ou le dogme mais sur les citoyens.
C’est l’apport du digital au progrès démocratique du 21e siècle.
Un danger pas si surprenant
Chaque fois qu’on parle d’usage du digital dans le changement, on nous oppose les dangers qui pourraient découler de l’accès du plus grand nombre à ces outils. Il est vrai que les militants racistes par exemple, expriment clairement en ligne ce qu’ils n’oseraient pas exprimer publiquement. Mais leurs profils sur les réseaux sociaux sont à la fois privés et publics ce qui augmente la responsabilité individuelle vis-à-vis de son expression. Et la démocratie c’est aussi de permettre à chacun de prendre ses responsabilités vis-à-vis de la communauté.
Une démocratie vivante est une démocratie capable de générer ces propres contre-pouvoirs notamment citoyens et le digital a l’avantage de permettre à chacun de construire ses propres contre-pouvoirs accessibles aux citoyens s’ils veulent s’en saisir.
Baki Youssoufou a trois pays. Celui de sa mère, le Sierra Leone où il est né, mais qu’il a du quitter à l’âge de 10 ans pour fuir la guerre. Celui de son père, le Niger où il a grandi. Et enfin la France, son pays d’adoption où il vient faire des études.
Il a co-fondé We sign it, un site de mobilisation citoyenne, plateforme française européenne et francophone de pétition de mobilisation citoyenne qui permet à des associations, des citoyens, des ONG de se mobiliser en utilisant internet.