Nous sommes à la veille d’une révolution industrielle considérable dont nous n’arrivons pas encore à percevoir tous les effets. Si on recense les scientifiques, mathématiciens ou physiciens depuis l’aube de l’humanité, 80 % d’entre eux sont en activité et interconnectés. Pour des résultats à n’en pas douter prodigieux dans divers domaines comme celui du vivant avec le séquencement de l’ADN ou de la physique quantique qui donnera naissance à une nouvelle génération d’ordinateurs. D’un autre côté, les moyens de communication offrent à chacun de nous la possibilité de jouer un rôle de plus en plus grand ou tout du moins de tenir une place non négligeable. « Et pourquoi pas moi ? » peut se dire tout citoyen d’un pays développé ou non.
Cette présence du numérique se fait sentir dans chacun des secteurs de notre économie. Elle envahit petit à petit tous les champs de notre activité humaine pour offrir une masse d’informations considérable. Comment exploiter ces données et comment protéger nos droits fondamentaux lorsque le virtuel se mélange au réel ?
L’opendata est vite apparu comme une nécessité sous la pression des associations avec la bénédiction de certains pouvoirs publics comme les étasuniens qui font la course en tête, une fois de plus. En accédant aux données détenues par une administration et ses opérateurs on cherche à améliorer la qualité des services publics et la confiance des citoyens envers leur administration.
L’exemple le plus frappant est celui de la santé. L’accès libre aux données ouvre un champ d’analyse considérable pour les professionnels. Des gisements se trouvent dans les laboratoires pharmaceutiques, les hôpitaux et les caisses d’assurance maladies. Rien qu’en France on compte annuellement 1,2 milliards de feuilles de soin, 500 millions d’actes médicaux et 11 millions de séjours hospitaliers avec un historique de 14 ans.
Les avantages peuvent être attendus pour les patients qui, sur la base des factures, peuvent sélectionner leur hôpital ou leur médecin. Pour la recherche qui en croisant de multiples données économiques, peut détecter plus tôt les dérives d’usage d’un médicament, évaluer l’état de santé de la population ou suivre la propagation d’un virus.
Les communes commencent également à utiliser cette méthode pour améliorer le service public et le quotidien des personnes sur des thèmes porteurs comme l’éducation, l’emploi, la prévention ou les transports. L’élaboration des budgets se fait maintenant avec des équipes chargées d’éplucher les résultats afin de sélectionner les actions qui font leurs preuves et mieux cibler et développer les projets porteurs.
L’éducation est entrée dans l’ère des données où certaines universités analysent les comportements des étudiants pour optimiser la pédagogie. Et aussi le commerce comme les supermarchés où des caméras suivent jusqu’aux déplacements et regards des consommateurs pour anticiper les comportements.
Openstreetmap (OSM) est un autre exemple ou l’opendata fait des merveilles. Le projet a vu le jour en 2004 lorsque des universitaires ont demandé à leur organisme public de leur fournir les données cartographiques. Devant leur refus l’idée a germé de constituer à l’instar de Wikipedia, une base de données libre, ouverte et gratuite alimentée par des données publiques et par la libre contribution de chacun d’entre nous. C’est près de 2 millions de contributeurs qui alimentent régulièrement la base mondiale pour en faire la base de données la plus riche et la plus fournie. En 2014 OpenStreetMap arrive au Maroc pour relayer localement le mouvement mondial, pour le faire connaître des pouvoirs publics et pour servir de relais auprès des sociétés oeuvrant dans le numérique.
Le contexte est relativement favorable, mais on n’est jamais à l’abri de surprises car la notion de droit est toute relative chez certains gouvernants. Quoi qu’il en soit, la nouvelle constitution prévoit que « les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public.» C’est déjà un grand pas.
Dès sa constitution l’association s’est mise à la recherche d’un président de commune en mesure de comprendre les enjeux, de s’engager dans une nouvelle voie et d’accompagner le changement. Ce fut Chefchaouen au nord du Maroc. Tout d’abord il a été procédé à une injection des données et plans détenues par la commune avec le concours actif des fonctionnaires : les délimitations, les zones remarquables, les voies, les noms des rues, le bâti, certains points d’intérêt et même les arbres. Le résultat a été de suite impressionnant. Allez voir la commune de Chefchaouen sur le site openstreetmap.org. Vous y trouverez un détail d’informations unique au Maroc et inégalable par des sites propriétaires comme Googlemaps. La deuxième phase s’est tenue avec la formation des contributeurs locaux comme les associations de la région pour les amener à compléter bénévolement l’ensemble des données : les hôtels, les bâtiments administratifs, les pharmacies, les boulangeries, les distributeurs …
Et demain s’engagera la 3ème étape de restitution aux citoyens avec le concours actif des bureaux d’études et startups permettant un développement local d’une économie numérique. L’objectif étant d’offrir une grande visibilité de la région et d’inspirer le reste de l’industrie touristique en utilisant le potentiel des services en lignes et des mobiles : organiser son séjour, télécharger les chemins de randonnée, valoriser les zones naturelles, s’informer des lieux historiques, dynamiser l’artisanat, entretenir le patrimoine. Une multitude de projets laissée à la libre imagination des citoyens et rendus possibles par la disponibilité de produits libres et gratuits et par le partage d’une expérience au sein d’une large communauté.
A une époque où les citoyens ont l’impression d’être incompris ou mal représentés, l’opendata est abordé comme une nouvelle approche de la démocratie. Noter les politiques publiques comme on note un restaurant, créer de nouvelles solutions, se montrer plus responsables et innovants, et si c’était tout simplement les politiques qui n’avaient pas compris que la règle du jeu, de par la transparence et l’intrusion du citoyen, venait d’irrémédiablement changer. Ce n’est pas la première fois que notre système de gouvernance évolue contraint et forcé.
Serge Constantin
Président Openstreetmap Maroc