Quand le général Than Shwe, à la tête de la junte militaire birmane au pouvoir dans ce pays depuis 1962, annonce en 2010 l’organisation de nouvelles élections, l’amorce de réformes devant conduire à une transition démocratique longtemps espérée et la dissolution de son groupe, la communauté internationale se prête à rêver de la fin d’une des dictature les plus répressives du monde. Aujourd’hui, alors que de prochaines élections doivent avoir lieu en 2015, la situation est désespérante : verrouillage institutionnel par l’armée, persécution accrue contre la minorité musulmane rohingya, relance du conflit avec les Kachins …
Loin des promesses, l’Etat birman poursuit sa politique xénophobe et instrumentalise la violence interethnique pour maintenir son emprise sur le pays. Malgré les appels des ONG, le monde semble assister à ce spectacle dans l’indifférence la plus totale préférant accorder le « bénéfice du doute » à un régime bancal et mortifère. L’opposition démocratique elle-même, incarnée par Aung San Suu Kyi, la « Dame de Rangoon » et prix Nobel de la paix en 1991, se meut dans le silence.
Un pays multiethnique où l’Etat instrumentalise la violence
La Birmanie, appelée officiellement Myanmar par les autorités depuis 1989, est un Etat multiethnique composé de plus d’une centaine de peuples différents dominés par les Birmans et qui reconnait au niveau national 7 ethnies principales rassemblées dans des régions administratives spéciales. Depuis l’indépendance du pays, les tensions intercommunautaires ont toujours été nombreuses dans le pays et sont instrumentalisées par la junte au pouvoir. Ont ainsi été persécutés les Rohingyas, ethnie musulmane apatride depuis 1982 quand les militaires ont décidé de leur retirer la nationalité, les Kachins, peuple chrétien qui mène une guérilla contre le gouvernement central depuis les années 1960, et les Shans qui, malgré des accords avec le gouvernement, continuent d’entretenir des relations tendues avec Naypyidaw.
Les réformes politiques introduites en 2011 se sont accompagnées d’accords de cessez-le-feu entre l’armée birmane et les guérillas. Le régime a également libéré de nombreux prisonniers politiques et permis aux groupes ethniques de disposer d’une représentation – minimale – au sein du nouveau parlement birman. Cette volonté affichée par le gouvernement, incarné par le Président Thein Sein, de mener à bien la transition vers un Etat pacifiée a été anéantie par les rapports de nombreuses ONG dont Human Rights Watch qui dénoncent en avril 2013 les crimes contre l’humanité commis par l’armée et les milices bouddhistes à l’encontre des Rohingyas depuis 2012.
Chassés et pourchassés, ils sont les victimes de la politique xénophobe engagée depuis des décennies par le pouvoir. Apatrides, ils ne peuvent trouver refuge dans un autre Etat comme le Bangladesh ou la Thaïlande qui les rejettent, ne leur laissant pas d’autre choix que de vivre dans des camps aux conditions de vie déplorables et sous la menace permanente d’une agression armée. L’administration a récemment renforcé la ségrégation envers cette communauté en l’excluant de sa campagne de recensement, en la désignant comme « Bengali » donc étrangère, et en lui refusant l’accès à l’aide humanitaire. On peut ainsi parler d’un véritable nettoyage ethnique qui doit permettre aux Birmans ethniques et aux militaires de s’approprier les terres et les richesses de la région en vue de la signature de juteux accords commerciaux qui se négocient actuellement avec des entreprises internationales et plusieurs Etats.
En 2011, l’armée birmane a également attaqué des villages dirigés par l’Armée pour l’indépendance Kachin (AIK) mettant fin de facto à un cessez-le-feu qui tenait tant bien que mal depuis plus de quinze ans. Des échanges de tirs le 21 novembre, tuant 23 rebelles, ont également conduits à une rupture du dialogue entre la guérilla Kachin et l’armée birmane, faisant craindre une escalade militaire dans une région où le conflit a déjà fait plus de 300 morts en deux ans dans les rangs de l’AIK et forcé 90 000 personnes à fuir.
Ces conflits intercommunautaires sont instrumentalisés par le pouvoir central qui souhaite, à l’approche des élections de 2015, renforcé sa légitimité auprès des Birmans ethniques bouddhistes. L’armée n’hésite ainsi pas à exacerbé le sentiment nationaliste bouddhiste conduisant à la formation de milices violentes et xénophobes à l’origine de nombreuses violations des droits de l’homme et qui agissent en toute impunité sur le territoire.
Le silence dérangeant de l’opposition démocratique et de la communauté internationale
Cette situation dramatique pour les minorités se poursuit dans l’indifférence la plus totale aussi bien de la part de la communauté internationale, qui ne s’est jamais réellement intéressée à cet Etat, mais également, et c’est le plus inquiétant, de la part de l’opposition démocratique incarnée par Aung San Suu Kyi, leader du principal parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).
Sur la promesse de vastes réformes politiques et économiques et malgré la mascarade des élections de 2010 durant lesquelles la majorité des postes restaient « réservés » aux dignitaires de l’armée, l’ensemble de la communauté internationale a prononcé en 2012 la levée de l’embargo (sauf sur les armes) prononcé contre la Birmanie depuis une décennie. Cette décision a permit aux entreprises multinationales d’envisager des investissements monumentaux dans un Etat sous-développé qui dispose d’une position stratégique et bien doté en ressources naturelles (gaz naturel, gemmes, bois précieux, potentiel hydraulique). Elle permet également aux organismes de coopération, principalement japonais et coréens, de revenir sur le terrain et donne aux Etats l’opportunité de renforcer leur coopération politique, culturelle mais surtout économique avec le régime de Naypyidaw. L’Union européenne (UE) espère ainsi la signature d’un accord bilatéral qui permettrait de doper les échanges.
Malgré les avertissements des ONG qui ont déclaré la levée des sanctions était « prématurée » et contreproductive car n’incitant pas le pays à poursuivre les réformes, la transition démocratique pourtant largement instrumentalisée par l’armée exerce toujours son charme sur la communauté internationale qui accorde encore volontiers le bénéfice du doute au nouveau régime. Désormais, ce dernier peut jouer désormais de la rivalité économique entre les principaux acteurs de la région (Chine, Japon, Etats-Unis, UE) qui n’ont aucun intérêt à se mettre à dos le gouvernement birman pour ne pas se mettre hors-jeu de la compétition économique. Ainsi, les réformes menées par Thein Sein ressemblent plus aujourd’hui à un jeu de dupes qui doit permettre aux militaires de garder leur emprise sur le pays en faisant évoluer leur leadership vers une forme « acceptable » d’autoritarisme pour le reste de la communauté internationale.
Plus dérangeant encore que l’absence de réaction forte au sein de la communauté internationale contre le Myanmar qui vient pourtant d’accueillir le dernier sommet ONU/ASEAN le 12 novembre, c’est le silence de Aung San Suu Kyi qui incarne pourtant depuis plus de 25 ans la lutte contre l’autoritarisme en Birmanie. Au contraire, la dame de Rangoon qui a mené la révolte étudiante contre le régime en 1988 et reçu le Prix Nobel de la paix en 1991, a préféré renvoyer dos à dos les milices bouddhistes et musulmanes dans l’escalade de la violence. Son parti a également refusé de parler de nettoyage ethnique et emploi le terme « Bengali », comme les autorités birmanes, pour désigner les Rohingyas. Win Tin, mort en avril, l’autre fondateur de la LND, enfermé pendant 19 ans par le régime entre 1989 et 2008, et fervent défenseur des droits des prisonniers politiques (il ne quittait plus sa chemise bleue, symbole de son emprisonnement), ne se montrait guère plus tendre envers eux, tout en dénonçant cependant Aung San Suu Kyi qu’il considérait à la fin de sa vie comme une partisane du régime.
La LND s’est même illustrée en étant à l’origine du projet de loi qui prive de fait les Rohingyas de voter lors du prochain référendum portant sur la constitution du Myanmar qui aura lieu l’an prochain. Le 17 novembre, Htlin Lin Oo, cadre du parti, a également été privé de son droit de s’exprimer au nom de l’organisation, sous la pression des milieux bouddhistes nationalistes, après avoir prononcé un discours de tolérance le 23 octobre. Il semble donc qu’en incluant de façon officielle Aung San Suu Kyi et son parti à la vie politique, les militaires ont indirectement renforcé leur position. Désormais associé au pouvoir et à la lutte pour le pouvoir, la LND a perdu son statut de parti persécuté pour s’attirer désormais le vote des Birmans ethniques. Ainsi la dame de Rangoon elle-même cède à l’électoralisme au détriment des droits fondamentaux de communautés entières pour lesquelles elles avaient pourtant combattu affronté la dictature militaire birmane.
Encore une fois, seules les Nations Unies ont appelée, le 21 novembre, le gouvernement birman a cessé sa campagne de répression envers les Rohingyas et lui ont demandé d’accorder la nationalité à cette communauté, l’une des plus persécutées au monde.