Chaque année, le 10 décembre, se tient la Journée mondiale des droits de l’homme. A Oslo, le Prix Nobel de la paix sera remis à Malala Yousafzai et Kailash Satyarthi, deux hérauts de nos libertés, dont nous saluons ici le courage.
On sait moins que ce même jour est marqué par la première Journée européenne de l’avocat, initiative du Barreau de Paris et du Conseil National des Barreaux français, et que la Fédération des avocats européens a décidé, pour cette année 2014, de mettre à l’honneur la liberté de la presse. C’est pourquoi je suis à Madrid aujourd’hui, à l’invitation de mes homologues avocats espagnols pour célébrer cette Journée mondiale en soutenant plus particulièrement la liberté de la presse.
Car les droits de l’homme, c’est aussi la liberté de la presse, mais leur promotion durable repose surtout sur un équilibre à trouver entre médias et justice. Or dans certains pays, on voudrait parfois opposer la justice et les médias. En France, des affaires très sensibles parce que politiques ont, en effet, mis à mal le secret professionnel des avocats et des projets de loi menacent la profession d’avocat dans son ensemble. Que le Bâtonnier de Paris découvre à la une d’un grand quotidien du soir les détails de ses conversations téléphoniques avec l’un de ses clients ne peut que susciter notre réprobation et la solidarité des avocats, au-delà de l’hexagone.
Ceci dit, le président de l’Union Internationale des Avocats se doit aussi d’affirmer sa conviction qu’il n’y a pas nécessairement, qu’il ne doit pas y avoir, un conflit entre la justice et les médias. L’Etat de droit, auquel nous entendons œuvrer, repose notamment sur l’équilibre des pouvoirs. Média et justice doivent savoir faire bon ménage dans l’intérêt des justiciables et des citoyens.
L’exemple sud-américain
Pour nous en convaincre, qu’il soit permis au citoyen d’un petit pays d’Amérique latine, l’Uruguay, de donner l’exemple de l’Amérique latine. Je partira de la question posée par l’institut de sondages ICP / Research : à qui les Latino-Américains font-ils confiance ? A peine 15 % des citoyens font confiance aux parlementaires, 20 % aux partis politiques, mais aussi aux juges, syndicats, police, entrepreneurs et responsables économiques… Cette réalité révèle un vide social, qui, selon l’enquête, est comblé par la religion : plus de 60 % des Latino-Américains s’y réfèrent ! Et, figurez-vous qu’ils donnent aussi leur confiance, dans la même proportion, aux médias.
Pourquoi ? Ma conviction est que deux citoyens sur trois de nos pays sont convaincus que ce que prônent les religions ou ce que montrent les médias relève de la vérité. Traditionnellement, les institutions telles que l’école, l’université, l’église, l’armée, l’État, l’argent, légitimaient les individus. Elles ont perdu de leur légitimité. Les médias – que cela nous plaise ou non – eux, sont effectivement légitimes du fait que le public croit ce qu’il entend. Les médias, par les mots et les images qu’ils transmettent, ont acquis la confiance du public. En fait, ce sont les médias qui finissent par définir la réalité. Être dans les médias signifie avoir de la valeur. Mieux même, on pourrait dire que n’existe que ce qui provient des médias. J’irai encore plus loin : celui qui est médiatisé une fois acquiert une certaine valeur. Celui qui est médiatisé régulièrement acquiert une grande valeur. Et les présentatrices, présentateurs et journalistes, ne parlent plus seulement au public, mais au nom du public.
Nous, avocats, devons intégrer ce facteur dans nos relations avec les médias, nous qui avons tendance à nous plaindre d’être mal traités par les journalistes. Arrêtons de nous plaindre : « ils ont mal compris » et ayons l’audace de nous dire : « nous avons mal communiqué ».
L’enjeu n’est pas que corporatiste : il est aussi démocratique. L’information est un capital éminemment précieux dans une société démocratique, et n’a son utilité que si elle est dispensée de façon fluide, légitime et constructive.
A l’instar de certains pays comme l’Uruguay qui ont choisi d’avoir un porte-parole que les journalistes sollicitent pour être informés (la Cour suprême de justice y emploie un porte-parole, un avocat rompu aux techniques de communication, qui assure une relation directe avec les médias), peut-être la profession d’avocat devrait-elle s’organiser de la sorte pour mieux faire comprendre au niveau international ses enjeux, ses défis, ses propositions.
Formons les journalistes aux secrets de la justice
Dans de nombreux pays, les médias sont parfois instrumentalisés par la justice et emportés dans une justice parallèle, médiatique, qui nuit à la résolution judiciaire d’une affaire. Les journalistes ne connaissent pas forcément les rouages complexes et techniques des procédures judiciaires, ils ne sont pas tenus aux mêmes obligations de forme. Ils sont surtout soumis à une dictature de l’urgence et de l’audience que l’on ne peut, au fond, leur reprocher. Les journalistes en conviennent souvent eux-mêmes : cette course folle à l’immédiateté n’aide pas à éclairer la vérité judiciaire. Des médias vont parfois jusqu’à offenser l’honneur de l’individu voire broyer des vies humaines injustement traînées sur la place publique en l’absence de toute réparation publique si un non-lieu ou leur innocence était finalement décidés au bout de leur parcours judiciaire.
Alors, que faire ? Il nous faut trouver des modes opératoires de dialogue entre justice et médias. Et les avocats ont leur rôle à jouer dans cet équilibre à construire, indispensable pour l’État de droit. Former les journalistes aux affaires judiciaires est un impératif démocratique que, chaque fois que nous le pouvons, nous menons avec l’appui de l’UIA.
Œuvrons à ce projet avec réalisme et avec une responsabilité optimale. Cherchons le point de rencontre avec ceux qui transmettent l’information, la parole publique, qui voyage aujourd’hui à une vitesse incroyable, sans jamais oublier que la parole porte aussi la plainte qui doit parvenir aux oreilles de la justice.
Et puisque nous nous exprimons en cette Journée mondiale des droits de l’homme, nous disons aux journalistes d’origines culturelles et géographiques différentes, qu’ils peuvent compter sur l’Union internationale des avocats pour leur protection et leur défense. Notre présidence sera particulièrement investie dans la promotion des droits de l’homme et le prochain Congrès de l’UIA, à Valence fin octobre 2015, accueillera une Assemblée mondiale des avocats pour les droits de l’homme, initiative prise par le @média Opinion Internationale. Nous ne doutons pas que de nombreux avocats spécialisés dans le droit de la presse ou engagés aux côtés de journalistes menacés y seront présents.
Après tout, revenons à l’essentiel : c’est définitivement l’obsession résolue de la recherche de la vérité qui nous unit tous, avocats, juges et journalistes.
Miguel LOINAZ
Président de l’Union Internationale des Avocats