Connected Citizens
10H28 - jeudi 18 décembre 2014

Internet : une nouvelle forme d’action citoyenne au Maroc

 

 

#100DHSpouraider a récolté 302 688 DHS (27 000 €) pour venir en aide aux victimes des inondations survenues à partir du 27 novembre au sud d’Agadir. Les inondations ont surpris les habitants autant par leur ampleur que par l’étendue des zones touchées. On dénombre une cinquantaine de morts, et des milliers de sans abris. Face à cette catastrophe, une opération de crowdfunding (financement participatif) a été initiée par les internautes marocains. Retour sur un programme qui a aussi lancé le débat sur les nouvelles formes d’action citoyenne au Maroc.

 

Oued passant au niveau de Tassila à Agadir

Oued passant au niveau de Tassila à Agadir

 

Clôturé le 7 décembre 2014, le programme #100dhspouraider n’a pourtant pas duré plus d’une semaine. Celui-ci a reçu 1046 contributions aussi bien de la part des citoyens que d’entreprises telles que Meditel, Sagem ou encore Addoha. La cagnotte initiale avait tout d’abord été fixée à 50 000DHS et a dû être augmentée au cours de la semaine face au succès de l’opération. La contribution, ouverte à partir de 50DHS (4€), a suscité l’émotion des internautes qui se sont mobilisés pour venir en aide aux sinistrés. C’est autant par le montant atteint que par la vitesse à laquelle il a été récolté que le programme se démarque. Comment expliquer ce succès ?

L’une des raisons pourrait s’apparenter à la présence de la blogoma (contraction de blogosphère marocaine). Cette communauté importante de bloggeurs est l’une des plus actives de la région. Celle-ci a permis de relayer rapidement l’information. La mobilisation sur les réseaux sociaux, sur les blogs et sur les journaux en ligne a été immédiate. Non seulement les internautes ont ainsi pu être informés de la situation mais ils ont également pu s’engager, de chez eux, par une simple contribution. 

Le mécontentement des citoyens face à l’inaction du gouvernement

Les internautes ont pointé du doigt le retard et l’insuffisance des convois d’aide alimentaire ainsi que l’état des infrastructures, délabrées, délaissées, dans une région qui a pourtant connu de nombreuses catastrophes ces dernières années. Les critiques sont apparues au lendemain même des catastrophes, signe de la frustration et de la colère des citoyens. Le lien entre frustration et mobilisation n’est cependant pas automatique et ne suffit pas seul à expliquer la mobilisation. Selon Ted Gurr, auteur de Why men rebel (1970), la frustration résulte d’une privation relative, à savoir la perception d’un décalage entre des attentes et une situation donnée à laquelle est confrontée un individu. A partir du moment où l’individu va attribuer la responsabilité de cette frustration à des acteurs politiques, il va se mobiliser. A l’ère du numérique où les informations se diffusent à grande vitesse, non seulement le sentiment de frustration se développe plus facilement, voire s’accentue, mais les moyens de mobilisation sont grandement facilités.

Lors de ces inondations au sud d’Agadir, il est surtout notable que la mobilisation soit allée au-delà de la critique. Elle s’est transformée en engagement pour aider concrètement les victimes de ce sinistre. La frustration, dans ce cas, s’est transformée en solidarité. L’ère du numérique a ainsi ouvert la voie à une nouvelle forme d’action citoyenne, une nouvelle forme de mobilisation. S’il était possible, avant l’émergence d’internet, de rassembler des individus autour d’une cause, il fallait non seulement être un excellent orateur, mais également utiliser les moyens « traditionnels » de communication (journaux, télévision…). Or internet est un outil qui a le potentiel de rassembler les individus à l’échelle planétaire. Les citoyens communiquent plus rapidement entre eux et deviennent acteur du changement par leur contribution. Que ce soit par le crowdfunding, la signature d’une pétition sur des plateformes comme « We Sign It », ou encore en fournissant des informations géographiques à la plateforme « Open Street Map », il est aujourd’hui possible de contribuer au développement de la société.

Néanmoins, comme le rappelle Fadel Abdellaoui, l’un des fondateurs du projet, dans une interview accordée à illi, l’action citoyenne sur internet comme le crowdfunding souffre d’un vide juridique. Il n’existe aucune réglementation permettant de réguler cette nouvelle forme de financement. A une époque où internet est de plus en plus considérée comme une ressource indispensable, tel l’eau ou l’électricité, l’idée d’une législation internationale sur le numérique voit le jour petit à petit. Si celle-ci vise notamment des questions éthiques concernant l’usage d’internet comme les enjeux de la vie privée sur internet survenus lors de l’affaire Snowden en 2013, la dimension économique n’est pas à négliger comme le montre la campagne #100dhpouraider. Comment récupérer l’argent récolté par le crowdfunding? Comment prouver qu’il a été légalement acquis et utilement employé ? Les structures classiques de l’économie sont modifiées en profondeur. La banque n’est, par exemple, plus la seule source de prêts, de même que les dons qui peuvent être faits de façon anonymes. Il n’existe à ce jour aucune législation permettant de réguler et de structurer cette nouvelle forme de financement. 

Le numérique est ainsi la source de nouvelles potentialités – de mobilisation, d’engagement et d’actions citoyennes notamment – mais suscite en même temps de nombreuse questions que les Marocains doivent s’approprier.

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