Devant un tel acte de barbarie préparé et exécuté de sang-froid, c’est d’abord aux victimes que nous pensons. Nous pleurons les agents de police assumant le risque quotidien de leur devoir et les journalistes qui accomplissent leur mission sans qui la démocratie n’est qu’une abstraction et un leurre. Mais au-delà de l’émotion – de la colère mêlée de tristesse et d’indignation – gardons à l’esprit que nous devons maintenant affronter le funeste piège qui nous est tendu.
Car ceux qui tuent au cri de « allahou akbar » n’attendent qu’une chose, que l’émotion se transforme en haine. Quand le dogmatisme et l’intolérance de toutes sortes semblent prospérer, ceux qui trahissent par fanatisme l’idéal religieux dont ils se réclament espèrent saper les valeurs qui fondent notre société, celles du pluralisme, de la diversité, de l’État de droit et la liberté d’exercer nos droits fondamentaux.
Pire, non seulement leur fol espoir est que certains d’entre nous amalgamions Islam et extrémisme islamique mais ils espèrent aussi que la thèse d’un « clash des civilisations » s’impose à nous. Non seulement leur innommable brutalité doit susciter rejet et suspicion à l’égard des musulmans mais ils veulent que notre colère et notre indignation corroborent l’idée que l’islam, au fondement d’une civilisation « autre » et par essence inconciliable avec la « notre », soit notre ennemi principal – et existentiel.
Nous serions face aussi bien à un ennemi intérieur – Renaud Camus nous promet un « grand remplacement » et Michel Houellebecq prévoit l’introduction de la Charia en France – qu’à un ennemi extérieur – le monde actuel ne s’analyserait en grande partie qu’à l’aune d’un affrontement entre la civilisation judéo-chrétienne et celle de l’islam.
C’est en dénonçant le fanatisme, la haine irrationnelle, l’obscurantisme et l’ignorance quelles que soient leurs sources et leurs origines, en rappelant que « notre civilisation » prend ses sources dans des âges d’or chrétien, musulman et juif, en répétant constamment et sans relâche que l’islam n’est pas, par nature, incompatible avec la démocratie que nous éviterons le piège qui nous est tendu.
Il ne s’agit pourtant pas d’être les « idiots utiles » qui serviraient la cause des extrémistes, ni de se voiler la face. Pourquoi des Européens et des Français partent en Syrie et en Irak combattre dans les rangs d’une organisation que se revendique comme « Etat islamique » ? Le discours et la rhétorique de Daech prospèrent sur une situation dont nous sommes en partie responsables. L’échec cuisant de notre modèle d’intégration, l’incapacité de notre classe politique à formuler un projet d’avenir collectif et mobilisateur, un court-termisme géopolitique dévastateur au Moyen-Orient depuis trente ans contribuent à ce que la propagande extrémiste fonctionne et à ce que les discours qui identifient un « ennemi suprême » prospèrent.
Ne nous trompons pas de remède. La solution n’est surtout pas de mutiler les libertés, ni de chercher un ennemi existentiel et encore moins de désigner un bouc-émissaire. C’est en nous concentrant collectivement sur les possibilités d’un avenir prospère et inclusif que nous donnerons définitivement tort aux terroristes et que nous échapperons à leur entreprise sordide.