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12H57 - mercredi 4 février 2015

Election historique au Sri Lanka… en attendant la réconciliation !

 

 

Le 8 janvier dernier, Maithripala Sirisena a été élu nouveau président du Sri Lanka avec plus de 51% des voix contre Mahinda Rajapaksa qui dirigeait le pays depuis 2005. Vu la dérive autocratique prise par le régime depuis dix ans, peu d’experts s’accordaient sur une victoire de Sirisena au cours d’élections justes et impartiales, les résultats du mois dernier marquent en cela une victoire pour la démocratie dans ce pays de 21 millions d’habitants. En revanche, la succession présidentielle permettra-elle d’enclencher un processus de réconciliation nationale dans un pays déchiré depuis 25 ans par la guerre civile ? Rien n’est moins sûr…

 

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AFP

 

La renaissance de la démocratie au Sri Lanka 

En 2005, Mahinda Rajapaksa est élu à une très faible majorité 6ème président du Sri Lanka, Etat insulaire au sud du sous-continent indien et indépendant depuis 1948. Il s’engage à relancer l’économie, réduire la pauvreté et mettre un terme à la guerre civile qui ravage le pays depuis les années 1980. Rapidement, le régime dérive vers l’autocratie. Rajapaksa dirige le pays avec ses proches, ses frères et son fils aîné, muselle les médias et l’opposition politique. Une révision constitutionnelle en 2010 finit par dénaturer totalement la nature parlementaire du régime sri lankais et voit le président devenir la pièce maîtresse et intouchable de l’Etat. Ayant supprimé la limite de deux mandats présidentiels et verrouillé en apparence tout l’appareil administratif, Mahinda Rajapaksa a été réélu triomphalement en 2010 après des élections anticipées et pensait pouvoir réaliser la même performance la semaine dernière.

Ce fut sans compter l’arrivée d’un outsider particulièrement gênant pour l’ancien président, Maithripala Sirisena, ancien ministre de la santé de Rajapaksa, qui a déserté ses rangs. D’ascendance très modeste, il se lance dans la compétition politique contre son ancien chef en rassemblant une coalition hétéroclite qui décrie les dérives et les scandales du régime présidentiel sri lankais. Sirisena, qui a promis qu’il ne briguerait pas de secondant mandat, s’est notamment engagé à mettre en place un ambitieux programme dans les 100 premiers jours de sa présidence : révision constitutionnelle qui doit redonner ses pouvoirs au Parlement, réexamen des grands chantiers publics décidés par son prédécesseur mais décriés par ses opposants pour des scandales de corruption et notamment la construction d’un port gigantesque Hambatota, fief de Rajapaska, et qui doit porter le nom du président, participation des minorités tamoules et musulmanes dans le nouveau régime …

Fort du soutien des minorités discriminées pendant la présidence Rajapaksa qui s’appuyait uniquement sur la majorité bouddhiste cinghalaise, y compris sa frange extrême (le Bodu Bala Sena), Maithripala Sirisena l’a emporté lors des élections. A la surprise de tous, Rajapaksa a reconnu sa défaite, laissant son adversaire prêter serment dès le lendemain. Ces élections laissent donc le sentiment d’une transition démocratique pacifique réussie, même si un instant l’ancien président a envisagé d’annuler les résultats et déclarer l’état d’urgence dans le pays. L’opposition singulière de la Commission électorale, de la police et de l’armée à ce projet, marque la fin d’une décennie marquée par le népotisme, la corruption et la violence au Sri Lanka.

 

L’impossible réconciliation nationale

Le 13 janvier, le Pape François a débuté sa tournée asiatique par une visite au Sri Lanka où 7% de la population est chrétienne. Dès son arrivée à l’aéroport international de Colombo, le souverain pontife a exhorté les nouvelles autorités à se saisir de l’opportunité qui leur est offerte pour réaliser enfin la paix et la réconciliation nationale. C’est que le Sri Lanka est un pays déchiré. Cet Etat compte en effet une majorité de Cinghalais bouddhistes et une forte minorité tamoule dont une partie est de confession musulmane. Pendant la dictature (1960-1987), les idées suprématistes bouddhistes ont conduit dans les années 1980 au déclenchement d’une guerre civile entre le gouvernement et la guérilla des Tigres de libération de l’Ilam Tamoul (LTTE).

Mai 2009, AFP

Mai 2009, AFP

Après plus de 25 années de conflit et près de 100.000 morts, les Tigres tamouls, fortement affaiblis après le tsunami de décembre 2004, ont déposé les armes en 2009, permettant à Mahinda Rajapaksa, soutenu militairement par la Chine et la Russie, d’être réélu triomphalement en 2010. Les dernières années du conflit auront toutefois été marquées par des atrocités commises dans les deux camps : déplacements forcés, destruction de villages, meurtres, attentats suicides, blocage de l’aide alimentaire… En 2010, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, mandate Marzuki Darusman pour rédiger un rapport concernant ces événements. Il conclut à l’existence de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés à la fois par les Tigres tamouls et par l’armée du Sri Lanka. Rajapaksa ne sera toutefois pas condamné par la communauté internationale suite au veto chinois qui devient dès lors l’allié principal du pays. Pire, en 2012, il convoque une Commission pour la réconciliation qui blanchit définitivement l’armée sri lankaise et condamne les violations du droit international et humanitaire commises par les séparatistes tamouls.

Aujourd’hui, les régions du nord, peuplées en majorité par les tamouls, sont toujours occupées militairement et sont dirigées par des gouverneurs militaires. Maithripala Sirisena dispose d’un mandat historique qui lui permettrait de mettre un terme à cette injustice. Pourtant, il semble peu probable qu’il s’engage dans cette voie. Si le nouveau président souhaite revenir sur le statut administratif et politique des minorités, il a toutefois fait savoir qu’il ne souhaitait pas faire comparaître devant la justice les responsables politiques ou militaires impliqués dans les dernières années du conflit qui ont fait selon l’ONU, 40.000 victimes depuis 2006 et provoqué le départ de plus de 300.000 personnes.

L’élection de Sirisena est un grand jour pour la démocratie sri lankaise, gageons qu’elle mette un terme au népotisme de son prédécesseur qui dirigeait le pays d’une main de fer et pour son enrichissement personnel. Pour autant, l’autre enjeu principal de ces élections, la réconciliation nationale, semble être passé totalement au second plan. Si le nouveau président avait besoin du vote des minorités pour remporter l’élection, il lui fallait après tout aussi gagner le vote de la majorité cinghalaise …

Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, Guillaume publie notamment des articles consacrés au continent asiatique.

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