C’est une campagne qui a fait couler beaucoup d’encre chez nos voisins helvètes ces dernières semaines. La Fédération suisse des centres de fitness et de santé souhaite lancer en mars prochain une initiative « Oui à la médecine de mouvement » pour que l’assurance maladie de base prenne en charge l’intégralité de l’abonnement en salle de sport. Une idée farfelue ? Pas si sûr, à condition de savoir trouver la recette adaptée à chaque système de santé, et à chaque pays. Déjà effectives à l’étranger, comme en Belgique ou encore en Afrique du Sud, les initiatives privées donnent parfois des idées… aux pouvoirs publics. Analyse.
En Afrique du Sud, promouvoir le sport : la carotte plutôt que le bâton
En 2011, The Economist revenait sur le succès de Discovery, une entreprise sud-africaine spécialisée dans les assurances santé, qui a développé son business model autour de l’économie comportementale. Comprendre par là : qui a mis en place un système de récompense en fonction des habitudes de consommation et du mode de vie – sain ou non – de ses clients. Cette nécessité est née d’un constat : avec la prospérité économique, apparaissent des « maladies de riches », explique l’hebdomadaire britannique, principalement les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2. Avec son programme « Vitality », la compagnie sud-africaine a donc encouragé le changement de comportement de ses clients avec la bonne vieille technique de la carotte plutôt que celle du bâton. Au lieu d’augmenter les prix de ses mutuelles Santé en fonction de critères fixes privilégiés par ses concurrents, comme l’âge ou les antécédents familiaux, la compagnie a mis en place une carte bancaire avec un système de Miles. Avec l’aide de dizaines de partenaires savamment choisis, elle a ainsi mis en place une énorme machine basée sur l’ « incentive » : la motivation.
Le principe ? En résumant grossièrement ce système complexe : Discovery va payer à hauteur de 80% votre abonnement à Virgin Active – l’un de ses partenaires, un immense réseau de fitness – à la condition que vous ‘pointiez’ à l’entrée et à la sortie de la salle de gym X fois par mois. Pour garantir la forme de ses clients, l’entreprise va plus loin. Partenaires de deux grands distributeurs, Discovery décide d’établir une liste de produits alimentaires considérés comme « sains ». Indiqués par un petit cœur, ces produits apportent aux détenteurs de la carte Discovery, une fois à la caisse, de précieux miles. Des « bons points » qui peuvent s’obtenir de plusieurs façons, comme en se soumettant à des check-up santé plus ou moins réguliers, qui détermineront entre autres, votre taux de mauvais cholestérol, votre glycémie ou encore votre résultat au test HIV (rappelons que la prévalence du Sida dans le pays est l’une des plus importantes au monde). Ces miles peuvent ensuite être réutilisés auprès des nombreux partenaires, comme Kulula, une compagnie aérienne domestique qui offrira donc aux meilleurs élèves des vols gratuits. La carotte.
Le modèle fonctionne si bien que le fondateur et PDG du groupe, Adrian Gore, détient des chaires de prestige un peu partout : du Conseil Consultatif Santé de Davos, au Comité Santé (Mailman School of Public Health) de l’Université Columbia en passant par celui de l’hôpital du Massachusetts, dont le mandat est d’améliorer les soins pour les populations les plus vulnérables dans le monde, ainsi que d’éduquer et de préparer la prochaine génération de leaders dans le domaine de la santé (rien que ça).
Lutter contre la sédentarité, lutter contre les maladies : prévenir plutôt que guérir
Car le lien entre sport et prévention santé ne fait plus débat. En 2011 La Haute Autorité de santé française avait souligné les avantages des thérapies non médicamenteuses face à certaines pathologies, notamment le diabète de type 2. Les programmes d’exercice physique auraient un effet favorable sur l’hémoglobine glyquée, qui permet de déterminer la concentration de glucose dans le sang.
Une note de l’Institut national du cancer (INCa), publiée un an plus tard, allait bien plus loin, en affirmant que l’activité physique s’associait à une diminution de 25 % à 30 % de survenue des cancers du côlon, du sein (surtout après la ménopause) et de l’endomètre. Onze ans plus tôt, le Ministère de la Santé, conjointement avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) avaient lancé le Programme national nutrition santé (PNNS) dont la campagne Manger-Bouger est aujourd’hui connue de tous.
Le sport remboursé, bientôt en France ?
Alors comment transposer en France des initiatives privées couronnées de succès dans d’autres pays, alors que les habitants de l’hexagone jouissent d’un régime d’assurance maladie unique au monde ? Avec un déficit du régime général de la Sécurité sociale prévu à 14,7 milliards d’euros en 2015, difficile d’imaginer faire peser le remboursement du « tout sport » sur les caisses d’assurance maladie.
En 2012, loin de tomber dans l’utopie de mesures irréalisables – et irréalistes – Marisol Touraine (Ministre de la Santé) et Valérie Fourneyron (ex-Ministre de la Jeunesse et des sports), avaient déjà fait part de leur aspiration à remplacer la surmédication par le sport afin de prévenir de nombreuses maladies. L’idée ? Faire en sorte que les médecins puissent prescrire des séances de sport… remboursées par la Sécurité sociale. Une mesure qui aggraverait considérablement le « trou » de la sécu, avaient hurlé les opposants à la réforme. Pas si sûr. Car si ce projet avait abouti, les assurances maladies auraient pu économiser 6 milliards d’euros par an, selon des chiffres publiés par un regroupement de la fédération des mutuelles de France et de divers acteurs du mouvement sportif.
Où en est ce dossier complexe en 2015 ? « On ne part pas de rien et on avance », assure Valérie Fourneyron, que nous avons pu joindre au téléphone : « On a déjà des pratiques sportives prises en charge pour un certain nombre de pathologies, comme pour les personnes atteintes de bronchites chroniques, ou pour les suites de chirurgie cardiaque ». Au-delà de ces cas particuliers, la députée insiste sur le nombre croissant de réseaux Sport Santé et Bien-être, « des structures de collaboration entre agences régionales de santé, jeunesse et sport et souvent les universitaires [avec notamment] les étudiants STAPS ». Se battant en duel en 2012 (ils étaient deux seulement), ces réseaux sont désormais présents dans toutes les régions françaises, et ne demandent plus qu’à se faire connaitre du grand public.
Enfile ton jogging, c’est gratuit !
Mais à la question de savoir si l’on pourrait imaginer, dans un avenir proche, se voir remboursé tout ou partie de son abonnement annuel au club de sport, l’ancienne Ministre est catégorique : non, la prise en charge ne se concentre que sur les personnes dites « à risque » ou ayant une pathologie déjà connue. Le tout « avec des professionnels de plus en plus formés », insiste cette ancienne médecin du sport, en critiquant les mesures avançant le remboursement des abonnements de fitness. Une pratique loin d’être anodine lors de laquelle le suivi par un « coach » qualifié… est souvent laissé aux vestiaires selon elle.
Interrogée sur les mesures à venir, Valérie Fourneyron « ne doute pas qu’il y aura, dans le projet de loi santé [2015], un débat autour de la place de l’activité physique et sportive comme outil de santé publique et de prévention ». Quant aux mutuelles privées françaises, elles ne semblent pour le moment pas prêtes à prendre exemple sur les compagnies belges ou sud-africaines. Affaire à suivre donc.