Les attentats du mois de janvier dernier et les prises d’otages meurtrières qui ont suivi ont ravivé le débat sur les moyens d’empêcher le terrorisme de proliférer et de répandre sa terreur en Occident. Alors que les citoyens français se mobilisaient pour la liberté d’expression, les Etats européens prenaient conscience de l’urgence à mettre en place des moyens concrets et fiables pour empêcher certains de leurs citoyens de partir faire le djihad en Irak et en Syrie. Focus sur une priorité européenne absolue.
Une coopération européenne nécessaire
11 ministres de l’Intérieur européens ainsi que le ministre de la Justice américain Eric Holder, sont venus soutenir la France le dimanche 11 janvier. Déterminés à accroitre leur coopération en matière de lutte anti-terroriste, les ministres se sont notamment engagés à accentuer le partage d’informations sur les individus suspectés et la surveillance des déplacements à l’étranger, prêts ainsi à faire face à l’opposition du Parlement européen, frileux sur la question du fichier européen de données des passagers aériens (PNR).
Un protocole serait également additionné à la Convention pour la prévention du terrorisme autorisant la poursuite pénale de quiconque ayant l’intention (preuves à l’appui) de quitter le territoire en vue de perpétrer des attentats terroristes, de propager des messages faisant l’apologie du terrorisme ou d’apporter une aide logistique quelle qu’elle soit aux organisations terroristes. D’autres points de coopération ont été abordés comme, curieusement, pour ne pas dire hypocritement, le commerce illégal des armes ou la traçabilité des finances des organisations terroristes.
Triste hasard, six ministres de l’Intérieur européens (France, Espagne, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Pologne) avaient déjà invité les américains Facebook, Google et Twitter en novembre dernier, afin de discuter d’une cyber-coopération en matière de lutte antiterrorisme.
Jean Jambon, ministre de l’intérieur Belge, avait annoncé « une opération de contre-propagande » sur internet. Le concept : diffuser des messages de prévention diabolisant les actions de Daech et alertant les internautes sur les dangers de l’endoctrinement. Les autorités françaises viennent d’en faire de même avec le portail www.stop-djihadisme.gouv.fr.
Les gouvernements occidentaux ne peuvent en effet plus nier l’importance de la toile dans la propagande djihadiste. On parle de « cyber-djihad ». Ce n’est pas tant depuis les mosquées que depuis les réseaux sociaux que leurs actions s’organisent. Si Facebook et Twitter coopèrent déjà en supprimant les profils suspects, l’immensité de la toile et la facilité d’accès aux réseaux sociaux rendent la tâche complexe aux agents gouvernementaux en charge de repérer les individus susceptibles de passer à l’acte.
La réponse sécuritaire ne peut suffire
Les atrocités de ces derniers jours révèlent l’urgence d’une profonde remise en question des procédés de lutte contre le djihad et soulève une question de fond : si les Etats mettent en œuvre des actions défensives, accès sur l’ « après », sur le statut de l’individu une fois celui-ci plongé dans ses activités criminelles, sur son avenir après un possible départ « sur le terrain », qu’en est-il de l’action préventive ?
Ne serait-il pas temps de porter un regard objectif et de remettre en question par le bas un système qui démontre toutes ses limites ? Car ces actes de violence nous démontrent toute la fragilité de notre système d’intégration. Les experts sont clairs : il n’y a pas de profil psychologique type des candidats au djihad, mais il ressort leur souci d’appartenance à un groupe et la reconnaissance qu’ils reçoivent des prédicateurs, alors que la vie en société leur impose souvent racisme et chômage.
La propagande djihadiste ne touche pas seulement les potentielles recrues. Les actes et les messages de haine atteignent tous les esprits et le risque d’islamophobie se fait alors plus oppressant. Tel est leur objectif : susciter la haine pour isoler la communauté musulmane, y diffuser un sentiment de rejet et de rancœur, pour mieux entraîner certains individus.
Leur message ne se résume ainsi pas à l’opposition féroce à l’Occident, mais bel et bien à la stigmatisation de l’Islam au sein de nos territoires. Le bon vieux « diviser pour mieux régner ». Outre la question épineuse de l’islamophobie en France, c’est un remodelage des pensées qui se révèle primordial après ces événements. Au lieu de sauver les apparences lors de parades commémoratives, les gouvernements européens devraient se plonger dans la remise en question que leur peuple respectif leur suggère déjà, par son abstention, son désintérêt (relatif) pour la politique, et par la montée des extrêmes.
Comment répondre à la stratégie terroriste ?
Il ne s’agit pas seulement d’inverser la propagande, de diaboliser Daech et de faire de ses soldats des apatrides. Il est nécessaire de remodeler la mentalité de notre pays en créant un climat de fraternité et d’ouverture à l’autre, en commençant avec les enfants, en leur rappelant l’héritage et l’histoire commune des religions et l’importance de la laïcité.
Notre système socio-économique est également à repenser, en arrêtant de ponctionner les classes moyennes, en soutenant l’entrepreneuriat, en luttant contre le racisme à l’embauche et au logement.
Enfin, la lutte anti-terroriste amène à reconsidérer l’action internationale et met en relief la limite des politiques interventionnistes violentes menées de front par les Etats-Unis ces vingt dernières années. Elle permet surtout de se rendre compte de la dangerosité de la Guerre contre le terrorisme de George W. Bush, fondée sur l’opposition de deux clans, dans ce cas l’Occident et le monde musulman, faisant fi de l’hétérogénéité et des particularités de celui-ci. Elle permet de percer le voile et de mettre le doigt sur les activités financières douteuses de sociétés occidentales sur place, et de soulever le paradoxe des alliances entre l’Occident et les puissances finançant les groupes terroristes.
Pour résumer, le rapide transfert d’informations sur internet de citoyen à citoyen, sans intermédiaire institutionnel, et la montée de la menace terroriste ces dernières années ne permettent plus à l’Occident de fermer les yeux sur ses propres responsabilités.
Les événements du mois dernier nous amènent donc à repenser notre position face au terrorisme, à dépasser la tentation de se limiter à une réponse sécuritaire, et d’élargir la réflexion aux racines du problème, que les gouvernements européens et américain ne peuvent plus occulter.