Mohammed Dahlan est un parlementaire palestinien, membre du comité central du Fatah. Dans les années 2000, il a été notamment ministre en charge de la Sécurité du gouvernement de Mahmoud Abbas, puis conseiller pour la sécurité de ce dernier.
De passage à Paris pour participer à une conférence sur la lutte contre le terrorisme, à l’invitation de l’Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE) et l’Association de la Presse Européenne pour le Monde Arabe (APEMA), il a bien voulu répondre à nos questions.
Vous êtes actuellement en France pour participer à une conférence sur la lutte contre le terrorisme. Quel est selon vous la meilleure manière de lutter contre le terrorisme islamiste ?
Il faut pour cela une volonté politique réelle. Jusqu’à ce jour, la plupart des pays se servent du terrorisme comme prétexte pour servir leurs propres intérêts. Mais aujourd’hui la situation est de plus en plus grave, notamment en Lybie, ou dans le Sinaï. Il y a là-bas une sorte de « combinaison des diables », entre Al-Qaïda, les Frères Musulmans, et l’Etat Islamique.
Ensemble, ces mouvements cherchent à changer en profondeur la culture des gens et la nature des régimes dans ces pays. Ils utilisent la violence extrême (notamment les décapitations) pour terroriser les populations et parvenir ainsi à instaurer des régimes basés sur la terreur.
Je pense qu’il est indispensable que des décisions très fortes soient prises, notamment par les pays européens. Car avant, ce terrorisme sévissait essentiellement en Afghanistan, dans le Sinaï, ou dans d’autres pays arabes, mais aujourd’hui ces terroristes sont présents dans la plupart des pays d’Europe. C’est donc un danger majeur pour toute la civilisation, et en particulier un danger majeur pour les musulmans.
La réponse se situe selon vous sur le terrain militaire ?
Non, elle doit être globale, et elle passe avant tout par la coopération entre les pays européens, la communauté internationale et les pays arabes, comme l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, etc. Mais la réponse doit être à la fois militaire, sécuritaire, économique… Ils savent comment faire ; les experts savent exactement quoi faire. Mais il faut pour cela une réelle volonté politique, et non pas une distinction entre les bons terroristes et les mauvais terroristes. Il faut mener de sérieuses actions pour combattre très fermement tous ceux qui répandent la violence et la haine entre les nations et les cultures, sans quoi les terroristes continueront leur expansion.
Aujourd’hui l’Etat Islamique contrôle la taille de la Grande Bretagne en superficie, en Irak et en Syrie. Ils ont du pétrole, ils ont de l’argent, ils pillent toutes les richesses. Pourquoi ? Pour tuer des gens. C’est leur unique but, tuer des gens. Nous voyons là également un nouveau profil de terroristes, différent de ce qu’on avait l’habitude de voir. Nous voyons des gens qui parlent français, qui parlent anglais, qui arrivent de pays stables et démocratiques, comme la France, la Grande Bretagne ou même la Norvège. Cela est nouveau au Moyen-Orient.
Malheureusement certains pays, qui ont de très bonnes relations avec l’Europe, comme la Turquie, leur facilitent la tâche, ce qui revient d’une certaine manière à les soutenir.
On entend souvent dire que certains Etats, tels que le Qatar ou l’Arabie Saoudite, soutiendraient et financeraient le terrorisme. Qu’en est-il réellement ?
Je n’ai pas de preuve de cela, mais tout pays qui soutiendrait le terrorisme, directement ou indirectement, devrait être dénoncé, car cela impacterait toute la région, toutes les nationalités et toutes les religions.
Je crois que la France, qui a une excellente relation avec le Qatar, devrait l’interpeller sur ce sujet si elle a la moindre preuve de cela.
Aucun état ne doit de quelque manière que ce soit soutenir ces fanatiques, que ce soit au niveau médiatique, en reprenant leurs messages, en les finançant, en les utilisant pour faire du chantage à d’autres états. Toutes ces choses sont illégales et nuisent à l’ensemble de la région. Et si la région s’effondre, c’est vous les européens qui serez menacés, car des pays comme Lybie, la Tunisie ou l’Algérie sont très proches de l’Europe. Le terrorisme est à vos portes.
Parlons si vous le voulez bien de la Palestine. Selon vous, existe-t-il des chances de parvenir à un accord de paix dans les prochains mois ?
Non, je pense qu’il n’y a pas la moindre chance pour cela, dans la situation actuelle, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, je ne pense pas qu’il y ait un seul leader politique israélien qui croie à une solution à deux états, pas même dans la gauche israélienne. Même ceux des dirigeants israéliens qui sont pour la paix ne croient pas à une solution à deux états. Quant à Netanyahu et sa coalition, ils ne reconnaissent même pas les droits les plus élémentaires des palestiniens, sans même parler de leur droit à avoir un Etat. Et pendant ce temps, la colonisation continue, ainsi que les confiscations de terres, le siège de Jérusalem et de villes palestiniennes telles que Ramallah, Naplouse et Jénine.
D’un autre côté, nous n’avons pas de leader palestinien élu. Nous sommes normalement élus pour 5 ans. Or cela fait 5 ans que notre mandat est arrivé à son terme. C’est le cas tant pour Mahmoud Abbas que pour le Hamas. Donc je pense que le seul moyen de sortir de l’impasse est d’organiser de nouvelles élections pour donner de la légitimité à un nouveau leadership qui puisse parler au nom des palestiniens.
Qu’est-ce qui empêche la tenue de nouvelles élections ?
Le Hamas ne le souhaite pas, et le monde s’en lave les mains. La communauté internationale se fiche de la démocratie dont elle se réclame pourtant. Je pense que la communauté internationale devrait exiger des palestiniens la tenue d’élections. Mais personne n’en parle, car tout le monde se satisfait de cette situation : Gaza séparée de la Cisjordanie, un gouvernement à Gaza et un autre gouvernement en Cisjordanie, ce statut quo arrange le Hamas, et arrange également Mahmoud Abbas, puisqu’il n’y a pas de Parlement pour contrôler son action, personne pour lui demander des comptes.
Que pensez-vous des récentes initiatives pour la reconnaissance de l’Etat Palestinien par plusieurs parlements en Europe ?
C’est une excellente chose. Cela donne un peu d’espoir aux palestiniens, et adresse un message aux israéliens : la solution à deux états est inévitable. Mais cela reste insuffisant.
Certains disent que vous pourriez constituer une alternative, pour succéder à Mahmoud Abbas ?
Mon avenir personnel n’a aucune importance. Ce qui m’intéresse, c’est que les palestiniens soient unis, que la Bande de Gaza et la Cisjordanie soient réunies. Nous devons organiser des élections et restructurer le système politique palestinien.
Que pensez-vous du rôle de la France dans le conflit israélo-palestinien ? Qu’attendez-vous de la France ? Joue-t-elle suffisamment son rôle ?
La France est derrière les palestiniens, elle nous aide. Ça ne veut pas dire qu’elle s’oppose à Israël mais au moins elle a une attitude qui est juste, et ça ne date pas d’hier. La France aide vraiment à la recherche d’une solution entre israéliens et palestiniens.
La France a par ailleurs une très bonne relation avec les états arabes. C’est un grand pays d’Europe qui a un rôle important à jouer au Moyen-Orient, que ce soit pour la résolution du conflit israélo-palestinien ou dans la lutte contre le terrorisme.
Contrairement aux Etats-Unis, pour qui la lutte contre le terrorisme n’est qu’un slogan, la France combat sérieusement le terrorisme. Elle en a d’ailleurs payé un lourd tribut le mois dernier, avec les odieux attentats de Paris.
Propos recueillis par Ali Bennis