Quasi généralisée en Amérique latine jusqu’au début des années 1990, l’interdiction constitutionnelle de la réélection présidentielle est depuis battue en brèche dans de nombreux pays de la région : la tendance est à la réélection des présidents en place après modification de la Constitution. Même si la situation n’a pas la même ampleur qu’en Afrique, certains chefs d’Etat latino-américains sont tentés par la réélection à vie et mettent à mal les principes de démocratie.
En Equateur, le président Rafael Correa, au pouvoir depuis 2006, exerce son deuxième mandat qui prendra fin en 2017. Jusqu’alors, il ne pouvait pas se représenter car la Constitution actuelle n’autorise pas le chef de l’Etat à réaliser plus de deux mandats, qu’ils soient consécutifs ou non. Pourtant, ceci risque de changer : récemment, la Cour constitutionnelle d’Equateur a rendu possible une modification de la Constitution qui permettra une réélection indéfinie du président de la République à travers l’adoption d’un amendement qui prévoit cette réélection pour tous les postes ayant fait l’objet d’une élection populaire, y compris celui de chef de l’Etat. Le Parlement a désormais un an pour approuver la réélection indéfinie. Une fois adoptées par le Parlement, ces modifications permettront donc à Rafael Correa d’être candidat à sa réélection, même s’il n’a pas encore dit s’il se représenterait.
Ces chefs d’Etat qui s’accrochent au pouvoir
Ce type de modification est devenu courant en Amérique latine. Traditionnellement, dans les pays latino-américains, la loi fondamentale autorisait un seul mandat présidentiel, mais, depuis une dizaine d’années, les choses ont considérablement évolué. Jusque dans les années 1990, la réélection présidentielle était interdite par la Constitution de tous les pays latino-américains. Les changements ont commencé en 1993, au Pérou, quand Fujimori était parvenu à réformer la Constitution pour obtenir peu après sa première réélection. L’Argentine et le Brésil en avaient fait alors de même.
Au cours de ces dernières années, d’autres pays latino-américains ont incorporé la réélection consécutive dans leur Constitution, comme le Venezuela, la Colombie ou la Bolivie.
Aujourd’hui, le principe du mandat unique a été remis en question dans la plupart des pays d’Amérique latine. Seuls le Mexique, le Guatemala, le Paraguay et le Honduras ne permettent pas au chef de l’Etat de se présenter plus d’une fois devant les électeurs. Le Chili interdit, lui, deux mandat consécutifs. Il en est de même pour l’Uruguay, où Tabarez Vazquez, après avoir dirigé le pays de 2005 à 2010, vient de se faire réélire, succédant ainsi au fameux José Mujica, rendu célèbre dans le monde notamment par son mode de vie très atypique.
La réélection présidentielle n’est, bien sûr, pas anti-démocratique ; mais c’est l’usage de la réélection permanente qui est dangereux.
Une remise en cause du principe d’alternance
Le Venezuela a été l’un des premiers pays à permettre l’élection à vie. Dans les années 1990, Hugo Chavez avait fait modifier la Constitution : le chef de l’Etat pouvait alors se faire réélire deux fois pour 6 ans. Un nouvel amendement a été adopté en février 2009 et désormais, la loi fondamentale vénézuélienne permet d’être président à vie. Chavez avait ainsi pu diriger le Venezuela durant 14 ans, de 1999 à 2013.
Ces modifications représentent un véritable danger car elles remettent en cause le principe démocratique d’alternance et constituent une dérive autoritaire réelle. C’est, par exemple, le cas du Nicaragua. En 2011, Daniel Ortega avait modifié la Constitution de son pays pour pouvoir briguer un nouveau mandat présidentiel. La Constitution nicaraguayenne stipulait que ne pouvaient être candidats à la présidence ni le président sortant ni celui qui a déjà exercé deux mandats présidentiels. Ayant présidé le pays de 1979 à 1990 et ayant réalisé son premier mandat de 2006 à 2011, Daniel Ortega ne pouvait en principe se représenter à la présidentielle de 2011. La Cour suprême de justice du Nicaragua, composée en totalité par des sympathisants du gouvernement, avait alors autorisé la réélection de l’actuel président du pays. Désormais, Daniel Ortega peut rester indéfiniment à son poste et se représenter autant de fois qu’il le souhaite depuis la réforme constitutionnelle ratifiée en janvier 2014 : il incarne l’obsession de se maintenir au pouvoir coûte que coûte.
L’Amérique latine n’est donc pas épargnée par ces chefs d’Etat qui font tout pour rester au pouvoir. Néanmoins, modifier la constitution pour permettre la réélection peut être une bonne chose et chaque pays possède ses caractéristiques propres.
En Bolivie, Evo Morales a été réélu pour la troisième fois en octobre dernier. La Constitution limite pourtant à deux quinquennats consécutifs l’exercice du pouvoir présidentiel. Evo Morales a toutefois pu se représenter à la suite d’un arrêt de la Cour suprême qui a jugé que la première partie de son mandat, entre 2006 et 2009, ne devait pas être prise en compte car elle était antérieure à la réforme constitutionnelle. Evo Morales avait remporté l’élection présidentielle en 2005, pour la période allant de 2006 à 2011. Il avait décidé de mettre un terme à ce mandat suite à la réforme de la Constitution en 2009 en convoquant des élections anticipées qu’il avait remportées. Selon lui, son premier mandat ne doit pas être pris en compte car il n’était pas arrivé au terme légal des cinq ans. Cette interprétation est évidemment critiquée par l’opposition, mais d’autres saluent la stabilité politique inédite dans laquelle se trouve la Bolivie : le troisième mandat de Morales contraste avec les quatre présidents qui se sont succédés entre 2001 et 2005 et avec les 160 coups d’État qu’a connu le pays depuis son indépendance en 1825. Evo Morales a promis de ne pas se représenter en 2020 et pense qu’un président ne doit pas rester au pouvoir après 60 ans. Espérons qu’il tienne parole.