« Rwanda is clinically dead as a nation ». Tels étaient les mots du Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, en 1996, soit deux ans après le génocide rwandais, qualifié comme le plus rapide de l’histoire. Vingt-et-un ans plus tard, retour sur un pays qui a su se reconstruire dans la douleur.
Trois mois de terreur
Entre avril et juillet 1994, à l’apogée d’une discrimination et d’un rejet constants de la population ethnique tutsi par les Hutus au Rwanda, 800 000 personnes ont été assassinées et 250 000 femmes ont été violées par les acteurs du gouvernement hutu. Le Front Patriotique Rwandais (FPR), constitué au Ouganda par les exilés tutsis, avec à sa tête l’actuel Président du pays Paul Kagamé, avait lancé une offensive contre les forces gouvernementales dans le but d’un retour de la population tutsi au Rwanda. Le gouvernement a non seulement répliqué militairement, mais a également ordonné l’extermination de la population tutsi encore installée au Rwanda, ainsi que de tous les Hutus ne se ralliant pas à cet esprit génocidaire.
La douleur de la réconciliation
A l’été 1994, avec la fin du génocide et la défaite de l’armée nationale, le Rwanda se retrouvait psychologiquement, économiquement et politiquement anéanti. « 34% des ménages avaient pour chef de famille une femme et 21% une veuve », explique Benoît Guillou dans son ouvrage Le pardon est-il durable. C’est dans ce contexte, en Novembre 1996, que le nouveau gouvernement Rwandais décide de rapatrier les réfugiés Hutus, majoritairement installés à Zaïre. Progressivement, survivants et génocidaires étaient contraints de vivre dans les mêmes villages, au sein des mêmes communautés. Les efforts nationaux et internationaux entamés pour punir les acteurs du génocide n’ont évidemment pas suffi pour attiser la souffrance des survivants ayant perdu leur famille aux mains de leurs voisins. « Avant ce retour (des Hutus), nous commencions à oublier, mais maintenant, c’est comme si vous aviez une plaie qui était en train de guérir et quelqu’un venait vous la rouvrir ». Ces propos, recueillis par le journaliste Philip Gourevitch, montrent la difficulté d’une telle initiative.
Afin de faire face aux nombreux procès en cours, des juridictions populaires, ou gacaca, ont été mises en place entre 2005 et 2012. Des juges, élus par la communauté, étaient chargés de juger les suspects, en laissant aux tribunaux nationaux la tâche de juger les inculpés ayant planifié et donné les ordres relatifs au génocide. Le but était de faire le premier pas vers une réconciliation entre des individus s’étant repentis et la communauté. Une personne reconnaissant ses crimes pouvait ainsi rester en liberté et exécuter des tâches communautaires ou subir d’autre peines légères.
Ces efforts, en parallèle d’autres initiatives et programmes favorisant l’éducation au sujet du génocide et promouvant la paix, ont connu un certain succès et ont partiellement apaisé les tensions. Le Rwanda a pu progressivement reconstruire une identité nationale. Paul Kagamé, ministre de la Défense au moment où cette politique de réconciliation a été mise en place, reconnaissait lui-même la difficulté de ce qu’il demandait aux survivants Tutsi. « Je suis persuadé que chaque individu, quelque-part dans ses intentions, aspire à la paix, au progrès », avait-il toutefois expliqué. « Nous n’avons pas d’autre alternative ».
Paul Kagamé, l’homme fort du Rwanda
En mettant l’intérêt général en avant et en fermant les yeux sur certains génocidaires afin de reconstruire une population rwandaise avec une économie qui se développe, Paul Kagamé a fait un pari risqué, projeté sur le long terme. Si les efforts de réconciliation ont porté leurs fruits et conduit à de belles histoires, à l’image des portraits publiés par le New York Times en 2014, beaucoup s’opposent encore à un pardon généralisé, qu’ils considèrent comme impossible. Mais on constate également que, au marché ou dans la rue, Tutsi et Hutus se croisent, se côtoient.
Sur le plan économique, le Rwanda a connu un succès impressionnant. Le taux de pauvreté a baissé d’environ 25%, les exportations de matières premières ont augmenté. Le PIB a également connu une croissance considérable. Si le taux de pauvreté reste à 45% et que la croissance a freiné à partir de 2012 en raison d’une diminution de l’aide étrangère, il reste que, deux décennies plus tard, le pays est transformé.
Si Paul Kagamé a fortement contribué au développement de son pays, il n’en est aujourd’hui pas moins critiqué pour ses atteintes à certaines libertés, notamment au travers d’une politique de surveillance ressentie comme omniprésente, et pour l’instauration d’un monopartisme masqué sur la scène politique rwandaise. La diminution récente de la croissance économique du Rwanda est d’ailleurs fortement liée à la mauvaise image que renvoie parfois le Président et qui a donné lieu à une baisse des contributions financières de la part de la communauté internationale.
21 ans après
Le nouveau Rwanda atteint bientôt sa majorité. Après de tels drames humains, on aime toujours espérer que l’humanité apprend, qu’elle ne reproduit pas ses erreurs. Les tribunaux de Nuremberg, de l’ex-Yougoslavie, puis le TPI pour le Rwanda, ont tous été le fruit d’une communauté internationale qui se veut justicière et qui veut montrer que l’impunité n’existe plus. Mais ce qui se passe au Rwanda est un phénomène qui va plus loin et qu’il est donc difficile de saisir. La nécessité de se reconstruire, d’aller de l’avant, a puisé au plus profond des ressources intérieures humaines des Rwandais.
Il est vrai que sur place, les avis restent mitigés et le pardon une notion subjective, manipulable. Bien sûr, les politiques publiques, adaptées au contexte, et l’aide internationale ont également contribué de manière considérable aux différents aspects du développement. Mais il y a autre chose, qui échappe à la rationalité humaine. Cela s’élève au-delà de la justice, de la souffrance, de toute forme de rancœur et même de pardon.