Laïcités et vivre-ensemble
00H21 - mercredi 15 avril 2015

Radicalisation en prison : vers une « politique globale pluridisciplinaire »

 

 

Le 14 février, Omar El-Hussein a tué deux personnes au cours d’un double-attentat à Copenhague. Ce jeune danois avait été incarcéré pendant plusieurs mois pour avoir poignardé un homme mais n’avait pas montré de signes de radicalisation avant sa détention.  Il était sorti de prison deux semaines avant l’attentat. Début janvier, Amedy Coulibaly avait tenu en otage vingt personnes, dont quatre ont été tuées, dans un magasin Hyper Cacher à Paris. Lui aussi avait été incarcéré, d’abord pour des crimes sans rapport apparent avec l’Islam radical, puis pour sa participation à la filière djihadiste des Buttes-Chaumont. C’est en prison qu’il avait tissé des liens d’amitié avec Djamel Beghal, responsable des attentats contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, et qui devint sa source d’inspiration. Que se passe-t-il dans les prisons, lieu qui semble si lointain de la vie ordinaire, et comment comprendre ce phénomène de radicalisation ? Y a-t-il des solutions au sein, mais également à l’extérieur des prisons afin d’empêcher que des détenus se fassent emporter dans la spirale des actes terroristes ? Eléments de réponse avec des acteurs pénitentiaires et religieux que la LICRA-Paris a réunis le 11 février dernier.

Prison 

Regard sur les prisons

Il est difficile de contrôler en prison la propagation des idées radicales qui mènent à l’apologie et à la perpétration des actes terroristes. Et pour cause… A ce jour, les établissements pénitenciers sont débordés et font face à des situations auxquelles ils ne savent pas réagir. 172 personnes sont aujourd’hui emprisonnées pour lien avec le terrorisme, contre 90 en juin dernier. Cette courbe exponentielle s’inscrit dans une vague de radicalisation due, directement ou indirectement, au développement de Daech. Lors de l’annonce de la mort des frères Kouachi ou encore d’Amedy Coulibaly, « les murs ont tremblé » dans les prisons, affirme Jean-Paul Ney, reporter spécialisé dans la stratégie et le terrorisme. «Dans plusieurs dizaines de prisons en France, la majorité des détenus ont crié leurs noms. Ce sont des actes qui sont très souvent mis de côté ». Selon des témoignages recueillis par Jean-Paul Ney, les surveillants de prison étaient désemparés par cette manifestation de soutien. 

60% des personnes incarcérées sont de confession musulmane. Evidemment leur détention n’a rien à voir avec les valeurs pacifiques et fraternelles de l’Islam. Mais beaucoup de ces détenus voient la religion comme un recours, une porte de secours, dans le contexte de leur incarcération. Il est donc étonnant que la France compte beaucoup plus d’aumôniers catholiques dans les prisons que d’Imams (183 Imams en tout). La faille est importante car ce sont justement les Imams qui ont la possibilité et la légitimité de guider les détenus musulmans pour leur montrer comment pratiquer la religion sans tomber dans le radicalisme. Seuls face à leur demande de repères et de foi, les détenus se font souvent embrigader par une interprétation trop stricte et biaisée des textes religieux, diffusée par des « grands frères » qui prétendent connaître l’Islam et en sont pourtant bien ignorants.

Notons également qu’une réelle pression de groupe est parfois exercée au sein des prisons. Ainsi, Hassen Chalghoumi, Imam de la mosquée de Drancy, donne l’exemple d’un jeune musulman qui s’est laissé influencer et a fait pousser sa barbe en prison afin de ne plus être l’objet d’agressions de la part de ses codétenus. Il avait ressenti, au cours de sa détention,  le besoin de se réfugier dans la religion, mais était aussi entouré de personnes qui l’ont fait basculer du mauvais côté. « Ce sont des personnes fragilisées », explique Charles Korman, trésorier de la section de Paris de la LICRA et organisateur de la conférence du 11 février. « A l’intérieur des prisons-même, il est donc important que l’action soit endiguée ».

 

L’avant et l’après : à l’extérieur de la prison, des éléments tout aussi décisifs

Il serait faux de penser que le problème de la radicalisation en prison commence avec l’incarcération et se termine à sa sortie. Il s’agit en fait d’une conséquence d’un système et de ses lacunes. Evidemment, le problème de la radicalisation en prison est lié à la radicalisation dans la société en général. Si on veut réduire le nombre de personnes radicalisées dans les prisons, il faut effectuer un travail en amont, à l’extérieur de la prison.

Khalil Merroun, recteur de la mosquée d’Evry-Courcouronnes, souligne que les radicaux qui fréquentent les mosquées représentent une infime minorité qui « blasphèment » l’Islam, mais ils doivent néanmoins être pris en charge. Les Imams jouent un rôle primordial dans l’accompagnement des personnes afin que les valeurs républicaines restent compatibles avec la pratique de l’Islam. Ils sont des figures clé afin de trouver cet équilibre et leur montrer que leur interprétation des textes religieux est destructrice et non conforme à la réalité des choses. 

D’autre part, si l’entrée en prison représente un choc, le retour à la vie normale l’est aussi. Une personne qui s’est tournée vers l’extrémisme religieux en prison n’est pas encore passée à l’action. Il faut donc mettre en place tous les moyens afin qu’un ancien détenu, même s’il semble ne pas (ou plus) représenter de danger pour la société, ne soit pas laissé à la merci de ce qui peut l’attendre : un vide identitaire qui sera souvent comblé par le recours à un mentor. « Quand on sort de prison, on a besoin de se tourner vers Dieu. Il faut des Imams formés pour leur expliquer l’Islam authentique », souligne le Recteur Khalil Merroun.

Cet aspect pédagogique doit également se retrouver dans les établissements scolaires. A l’heure qu’il est, les religions en tant que telles ainsi que le principe de laïcité, sont encore trop peu enseignées. Une connaissance des religions et une éducation qui vise à éliminer le racisme et la haine de l’autre n’ont pas encore tout à fait vu le jour en France. Nicolas Guillet, responsable du centre scolaire du centre pénitentiaire de Fresnes, rappelle que « la radicalisation commence assez tôt ». En parlant de sa propre expérience d’enseignant dans un quartier sensible, il affirme que « la question de la religion revient de manière récurrente, c’est un discours omniprésent ». Pour y faire face, les professeurs doivent disposer de plus de moyens, car ils sont aujourd’hui confrontés à des situations délicates dans lesquelles ils se sentent souvent démunis. La ségrégation sociale qu’on observe dans les quartiers contribue à la radicalisation : le premier ministre Manuel Valls avait appelé cela « l’apartheid social », suscitant un certain nombre de controverses. 

Si la radicalisation est  une question sociale, elle est donc également une  question de moyens, pas seulement pour le milieu éducatif. Dans l’équation, n’oublions pas la police et les services de renseignement. Il est nécessaire de les renforcer afin qu’ils puissent identifier les islamistes radicaux et ainsi effectuer un travail en amont. A l’heure actuelle, le service de renseignement pénitentiaire suit 800 détenus sensibles. On estime toutefois à 3000 le nombre de personnes n’ayant toujours pas été identifiées. Notamment internet pause un défi littéralement sans limites auquel se rattachent d’importantes questions éthiques. Les services de renseignement ont besoin de plus de moyens afin de travailler en commun et renforcer l’échange d’information avec la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI).

 

Coordonner les solutions

Au sein des prisons, la priorité actuelle semble être d’empêcher les personnes incarcérées pour lien avec le terrorisme de communiquer avec le monde extérieur et les autres détenus. Conformément au plan de lutte du gouvernement contre la radicalisation en prison, des expériences d’isolement sont mises en place au travers de la création de « quartiers dédiés ». A Fresnes, 25 détenus ont déjà été regroupés.  Bruno Clément-Petremann, sous-directeur de l’état-major de sécurité, préconise dans ce contexte « des dispositifs souples pour pouvoir faire marche arrière ». Il s’agit encore d’un tâtonnement afin de trouver les mesures qui permettront concrètement de réduire le risque de propagation d’idées dangereuses. « Il faut mettre en place une politique globale pluridisciplinaire pour contrer le discours », affirme-t-il par ailleurs.

Le gouvernement semble en outre vouloir renforcer le suivi psychologique des détenus. L’initiative est constructive à la condition que cet effort soit coordonné avec l’augmentation du nombre d’Imams dans les organismes pénitentiaires.

David-Olivier Kaminski, président de la LICRA-Paris, explique que si les Imams peuvent répandre les valeurs républicaines, eux-aussi peuvent être la cible des détenus radicaux. Après tout, lorsqu’un détenu s’entretient avec un Imam, personne ne sait ce qu’il s’y passe : « la porte est fermée ». Il est donc primordial que les Imams soient formés de manière adéquate. M. Clément-Petremann précise que l’Etat-major de sécurité travaille « avec le bureau des cultes du ministère de l’Intérieur pour mettre en place une formation différente pour les aumôniers ».

A l’intérieur comme en dehors des établissements pénitentiaires, les solutions sont là. Mais encore faut-il les mettre en œuvre et, surtout, les adapter les unes aux autres. Tout doit être coordonné afin d’apporter une cohérence qui permettra une meilleure efficacité des mesures.

Reste le plus important. Parler de solutions, oui, mais cultivons l’esprit d’une société plus apaisée et, osons-le, plus fraternelle. La situation complexe dans laquelle se trouvent non seulement la société française, mais l’ensemble de la communauté internationale, rend nécessaire le débat. Oui, il faut pointer du doigt les dysfonctionnements. Mais, on ne le dira jamais assez, attention aux amalgames. Pour retrouver une société sans terrorisme, sans radicalisme, il faut également une société stable, tolérante, informée. Une société qui n’a pas peur de l’autre. La haine est le plus grand obstacle à toute forme de respect entre les humains. Ne la nourrissons pas. Rappelons autour de nous que les personnes qui commettent des actes terroristes représentent une infime minorité et ne doivent être assimilées à aucune religion. Et que les victimes des extrémistes qui se revendiquent islamiques, ce sont aussi les musulmans.

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Jean-François KOVAR