Au lendemain de la clôture du Forum de Bangui, organisé dans un but de réconciliation en Centrafrique, Lydie Nzengou Koumat-Guéret, journaliste et militante centrafricaine indépendante, évoque la situation de son pays et les conclusions d’un Forum trop hâtivement présentées comme une réussite.
Quels étaient les principaux enjeux de ce Forum de Bangui ?
Le premier enjeu de ce Forum était d’apporter une réponse concrète aux différents maux auxquels font face la République Centrafricaine et le gouvernement de Transition depuis le départ de la Séléka. Le conflit entre les Anti-Balaka et la Séléka, avec d’autres petits groupes armés, est la cause principale de l’insécurité dans le pays et cela n’a que trop duré. Un accord de paix a été signé à Brazzaville en juillet 2015. Pas grand-chose de cet accord n’a été respecté, nous devrions poursuivre et contraindre les différents belligérants à déposer les armes et c’est lors de ce Forum qu’une réponse à la problématique du DDRR (le programme de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement) devait être trouvée et des pistes tracées.
Le second enjeu était d’ordre politique. Le gouvernement de transition devait avoir un mandat clair, précis et délimité dans le temps. La Transition en RCA devait se terminer normalement au mois d’août 2015 avec une élection présidentielle, un gouvernement démocratiquement élu et une légalité constitutionnelle retrouvée. Le Forum devait trouver des réponses à ces enjeux afin de tracer là aussi les pistes concrètes, réelles et réalisables pour mener les Centrafricains à la paix et la réconciliation, avec en prime une adhésion massive, un consensus à toutes les recommandations qui auraient trait à ce volet-ci.
Il y a eu un travail en amont de ce Forum qui a été effectué, notamment au travers de consultations à la base. Il s’agissait là d’un fait nouveau, mais il reste la question de savoir si les résultats des différentes consultations représentaient réellement la majorité des populations, mais aussi si lors de ce Forum la voix des populations à la base a finalement été entendue et prise en compte.
Une autre problématique à débattre lors de ce Forum était celle de la restructuration des Forces de Défense et de Sécurité centrafricaines. Il ne peut être question d’y intégrer des anciens éléments de la Séléka venus du Soudan ou du Tchad. Il devrait être question de leur rapatriement. De même, comment réintégrer dans les Forces Armées Centrafricaines les éléments Anti-Balaka, fidèles à l’ancien Président Bozizé ? L’armée doit retrouver sa fonction, être garante de la sécurité du territoire centrafricain et du peuple centrafricain.
En ce qui concerne la justice centrafricaine dans le contexte de la réconciliation, il faut savoir qu’elle n’a pour l’heure aucun moyen afin que soient traduits efficacement en justice ceux qui ont commis des crimes. Les magistrats ont peur. Tant qu’il y aura des armes dans les mains de certains groupes, il n’y aura pas de justice. Il est question d’impunité zéro dit-on, il va falloir trouver la bonne formule, la bonne méthode. En effet, comment parler d’impunité zéro à des hommes qui ont l’arme à la main. Difficile équation. Le Forum devait aborder cette question.
Moi qui suis de la Diaspora, je pense qu’elle devait se faire entendre et peser sur le cours du Forum en tant que force de proposition. La diaspora a beaucoup œuvré au plus fort de la crise alors que nos compatriotes au pays étaient pris en otage.
Quels sont les problèmes sociétaux présents en Centrafrique à l’heure actuelle ?
Vous savez, le Centrafricain lambda souhaiterait vivre en toute quiétude. Il veut vaquer à ses occupations et avoir de quoi nourrir sa famille. Les Centrafricains aimeraient que leurs enfants puissent aller à l’école et qu’il y ait de l’espoir et un avenir pour les générations futures.
Mais la fracture sociale qui existe entre plusieurs communautés a causé des dégâts et il y a aujourd’hui un mal sous-jacent. On a transposé un problème politique vers un problème confessionnel. A l’heure actuelle, vous avez les musulmans d’un côté et les chrétiens de l’autre, bien qu’aujourd’hui de réels progrès de rapprochement sont réalisés. C’est quelque chose qui n’existait pas avant et qui n’a aucun sens, mais qui est malheureusement la conséquence de toutes les dérives depuis l’avènement de la Séléka.
Il faut faire en sorte d’instaurer dans l’esprit de chaque Centrafricain l’idée qu’un Centrafricain peut être musulman, athée, chrétien, bouddhiste, animiste…mais que c’est un Centrafricain avant tout et que la religion n’a pas sa place dans la définition du citoyen centrafricain. Le dépassement des clivages ethniques et territoriaux est un problème crucial et majeur. Il est temps d’avoir, comme en Occident, des guerres d’idées, des oppositions de valeurs, d’idéologies, ce qui n’est pas encore le cas en Centrafrique.
Le Centrafricain vit uniquement au jour le jour, nous n’avons rien construit. Nous sommes un pays failli, l’occasion est là pour commencer à exister, développer notre pays et emmener la population vers un devenir meilleur. Ce sont des êtres humains qui respirent, qui aspirent à exister. En même temps, il faut remodeler les mentalités afin que l’intérêt général de la Nation prime avant celui du groupe ethnique, du clan, de la famille.… Mais comment amener le Centrafricain de demain à réfléchir autrement ? Il nous faudra nous pencher sérieusement sur la question et c’est crucial.
L’ONU a désormais pris le relai de la France pour piloter l’action internationale en RCA. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Il est peut-être un peu tôt pour l’évaluer, mais concrètement rien n’a changé. La question est plutôt de savoir si toutes les structures présentes sous le leadership de l’ONU (l’UE, la France, la CEAC, l’UA…) parlent le même langage avec la même vision. Ma réponse est non, cela va dans tous les sens, il existe un conflit d’intérêts avec la RCA et sa population au milieu. Même si nous ne sommes rien, même si nous sommes un pays failli, nous restons un Etat, un peuple. Il faut que des voix puissent se faire entendre en RCA et qu’on les écoute. Cela est dû à cette désunion, aux intérêts cupides défendus au détriment de l’intérêt général de la nation centrafricaine. La population centrafricaine veut avoir son mot à dire. La société civile n’est pas encore assez forte, même si elle commence à s’organiser et à se faire entendre, ce que je salue et loue. Je m’adresse à tous ceux qui nous appuient et nous aident quand je dis que nous ne sommes pas des enfants, nous sommes un peuple. Nous avons des compétences, une intelligentsia, alors qu’on arrête de l’étouffer.
D’un côté la Communauté Internationale se plaint de l’inertie des Centrafricains, de leur incompétence, mais d’un autre côté elle se complait à favoriser le dialogue avec les médiocres, facilement manipulables et pour leur propre intérêt. Je leur rappelle que dans tout cela il y a un peuple qui vit, qui existe et qui s’impatiente. Le temps ne serait-il pas venu pour que tous ceux qui sont au chevet de la RCA laissent les Centrafricains conduire leur nation vers le développement ? Pourquoi jouer au pompier et au pyromane ?
Quelle est votre réaction concernant les décisions qui ont été prises lors du Forum ? Pensez-vous que des réponses concrètes ont été apportées aux problèmes sociétaux que vous aviez soulevés?
J’ai cru en ce Forum de toutes mes forces et ce depuis toujours. Nous avons organisé en février à Paris une concertation des Centrafricains autour de thématiques abordées lors du Forum de Bangui.
Alors même qu’il n’était pas encore question de dialogue, fin mars 2014, nous avions, avec le soutien d’Opinion Internationale, initié une Conférence autour des valeurs de Barthélémy Boganda intitulée « Déposons les armes et parlons-nous ». En Juin 2015 j’ai été invitée à participer à l’Atelier préparatoire du futur dialogue politique.
Mais fin avril 2015, le jour où j’ai lu et parcouru la liste des membres des différentes commissions du Forum de Bangui, j’ai failli avoir un arrêt cardiaque et j’ai compris que nous nous dirigions vers une comédie organisée. Le seul mot qui me vient à l’esprit aujourd’hui, c’est mawa mingui (très triste, malheureux).
Le but de ce Forum était en fait de prolonger à nouveau la Transition. Telle en est la conclusion principale. Ce Forum qui se devait d’être inclusif et pour la réconciliation a appelé à une saisine des Chefs d’Etat de la CEEAC pour une prolongation de la Transition et le maintien jusqu’aux élections, reportées une fois de plus de six mois, de l’équipe actuelle.
Ma déception est grande, mais je ne baisserai pas les bras et je veux croire qu’en Centrafrique il existe des centrafricains qui aiment la Centrafrique et le peuple centrafricain et qu’ils resteront lucides et sauront prioriser l’intérêt général de la Nation.
Je pense à tous les déplacés et réfugiés, ont-ils eu gain de cause à l’issue de ce Forum ? Nos morts, nos enfants, nos mamans, ont-ils eu gain de cause ? Ces régions dévastées, qui les a défendues ? La réalité est qu’une partie des éléments de la Séléka est mécontente, des antibalaka mécontente, une partie de la population mécontente, des partis politiques qui ont claqué la porte, d’autres qui ont refusé de participer à ce cirque ? La vérité, s’est-elle faite entendre ?
A nouveau la classe politique centrafricaine, à quelques exceptions près, s’est révélée manipulable pour les intérêts du « ventre ». Elections, élections, tous nos hommes politiques n’avaient que ce mot-là à la bouche il y a quelques mois. Et les voilà reportées à nouveau. Vous verrez, dans six mois, ce sera de même et rien n’aura été préparé pour la tenue d’élections correctes. D’ailleurs, aucune date n’a été annoncée pour les élections. Le report des électionssemble les arranger.
Or c’est le rôle de l’Autorité Nationale des Elections de prendre les choses en main concrètement et de fixer la date des prochaines élections afin que le peuple de la RCA ne soit plus infantilisé au travers d’une communauté internationale qui verse de l’argent sans voir de résultats.
La Commission du Forum de Bangui intitulée Bonne gouvernance a été composée des anciens dignitaires et hauts cadres responsables de la situation actuelle de la RCA. La plupart ont fait le jeu de la Transition ; ainsi, j’ai été surprise par le ton donné par Monseigneur Nzapalingua qui j’en étais persuadée, allait avoir un franc parler et une grande lucidité
Dans la Commission Défense, j’aurais aimé que la parole fût donnée aux ex-combattants Séléka pour savoir et comprendre pourquoi ils ont pris les armes et se sont associés avec les rebelles étrangers. Vérité, il n’y en a pas eu ! Et pourtant, elle aurait facilement pu emmener le pardon et infléchir les cœurs de pierre les plus endurcis !
Je le répète, dans six mois, le scénario risque d’être le même. Les autorités de la Transition ont-elles conscience qu’il s’agit de tout un peuple qui pâtit des conséquences de leur inefficacité, de leur inertie, de leur incompétence, là encore à quelques exceptions près ? Nous les avons observées, encouragées, soutenues, dénoncées, portées, en espérant qu’elles y arriveraient, qu’elles conduiraient le pays aux élections, qu’elles mettraient en œuvre cette fameuse feuille de route et dans le délai qui leur est imparti, mais nous nous rendons comptes qu’elles n’ont qu’un seul souhait se maintenir au pouvoir.
Il est question de 6 mois, mais au bout de 6 mois, je suis persuadée que cela sera toujours le même scénario. Non, la comédie n’a que trop duré. De mon point de vue, ce Forum est un échec total, Une mascarade. Il a été un dialogue exclusif. Pour finir, j’invite les uns et les autres dans la diaspora à nous rassembler et à véritablement définir nos rôles et ce que nous représentons. Une seule question aux uns et aux autres : comment pouvons-nous avoir de l’impact en tant que Force de proposition ?
Plus précisément, que pensez-vous de l’accord de désarmement qui a été signé ? N’est-ce pas un réel pas en avant, durable, pour la réconciliation du pays ?
Oui, un accord a été signé le dimanche 10 mai 2015. Cet accord stipule que les groupes politico-militaires s’engagent à « mettre fin définitivement aux conflits armés en République centrafricaine. Les combattants des dits groupes armés s’engagent fortement à déposer les armes, à renoncer à la lutte armée comme moyens de revendication politique et à entrer dans un processus de DDRR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement), et d’entrer dans la lutte politique telle que défini dans le présent accord. »
C’est une bonne chose, une bonne nouvelle mais je trouve que cela a été fait dans la précipitation pour arracher au moins quelque chose de positif dans ce Forum. Le sujet est très et trop sérieux pour ne pas lui consacrer en dehors du Forum, après le Forum, des heures entières, des jours entiers de débat, d’échange. Tous ceux qui ont des armes ne l’ont pas signé. L’accord devrait être débattu en long et en large. Prudence !
Rien ne sert de nier ce qui s’est passé à Nairobi. Djotodia et Bozizé se sont rencontrés, les deux protagonistes de la crise. L’organisation de cette rencontre, la non implication des autorités de la Transition ont certes été décriées, mais il n’en reste pas moins que cela à bel et bien eu lieu. Et bien évidemment cela engendre et augure une suite et des conséquences que nous ne maîtrisons pas. Ces deux acteurs principaux n’ont pas participé à ce Forum et pourtant ils sont l’une des clés qui permettraient d’ouvrir la porte du désarmement, même si une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de leur tête.
14 soldats français sont accusés d’abus sexuels sur mineurs en Centrafrique. Quelle est votre réaction ?
Je ne suis nullement surprise. L’année dernière, on avait déjà tiré le signal d’alarme sur des cas de viols, et ce n’est que maintenant que nous avons vent de ce rapport. En temps de crise et de guerre, ce sont malheureusement certaines conséquences, c’est abominable. Concernant ces 14 soldats, je souhaiterais vivement que l’armée française et le ministère français de la défense aillent jusqu’au bout de l’instruction. Celle-ci ne concerne d’ailleurs pas seulement la France. L’Etat centrafricain a également ouvert une instruction à ce sujet. Le Ministère de la Justice centrafricain n’a pas été associé à temps à cette affaire, ce qu’a déploré le Procureur de la République.
De tels crimes existent aujourd’hui et existeront demain tant qu’il n’y aura pas de mesures concrètes, sévères. Ce qui me fait le plus mal est que les victimes sont des enfants qui sont déjà en situation de détresse, et que leur détresse a été utilisée contre eux. Je n’ai pas de mot pour qualifier cela mais je ne suis pas surprise. Nous connaîtrons certainement d’autres faits plus abominables encore, j’en suis persuadée, pas forcément de l’armée française, mais de tous ces acteurs qui occupent le territoire centrafricain pendant ce temps de crise.
Propos recueillis par Maria Gerth-Niculescu