Pierre Nkurunziza, alias Peter. Lorsqu’il fut nommé Président du Burundi suite à la guerre civile qui débuta en 1993, il était le rassembleur, le réconciliateur presque. Pendant plusieurs années, loin d’être comparé aux Présidents-dictateurs en place depuis le siècle dernier, peu le remettaient en question, à l’exception peut-être des grandes ONG de défense des droits humains qui pointaient du doigt le manque de liberté d’expression qui règne dans le pays depuis son arrivée au pouvoir.
Mais aujourd’hui, Peter n’a plus rien d’un rassembleur. Face à son peuple qui manifeste, il préfère faire tirer sur la foule et nourrir les conflits ethniques dépassés que de se conformer à une logique démocratique. Face à une communauté internationale qui, trop lentement mais sûrement, lui fait comprendre qu’il doit partir, il privilégie sa séance de football à un sommet international. Dans sa folie, il divise la jeunesse burundaise, symbole d’espoir et de renouveau, mais également en proie à la propagande et à l’aliénation. Les milices de Nkurunziza, les Imbonerakure, sont des jeunes qui tirent sur des jeunes. Y a-t-il plus malsain ?
Le personnage est construit, mais il n’est pas seul. Derrière lui, une équipe qui a autant, voire plus, à perdre est mobilisée afin que le pouvoir de Nkurunziza ne soit pas confisqué par une société civile qui, manifestement, ne se laisse pas si facilement apeurer. Adolf Nshimirimana, ancien chef du services de renseignements, avait publié il y a quelques mois une vidéo dans laquelle il affirme « plutôt mourir que de céder le pouvoir ». Si le gouvernement Nkurunziza devait céder le pouvoir, Nshimirimana et de nombreuses autres personnes seraient traduits devant la justice internationale pour des crimes économiques voire des crimes de sang. Dans ce contexte, Pierre Nkurunziza peut-il encore entendre raison ?
Encore plus dans l’ombre, ceux qui pourraient agir mais qui ne le font pas en raison de leurs intérêts propres. On a beaucoup parlé du sommet extraordinaire de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) qui s’est réuni à Dar es Salam dimanche 31 mai. A l’issue de cette réunion, seule proposition adoptée : le report de six semaines d’élections, pourtant impossibles. Sur le troisième mandat d’un Président qui veut violer la Constitution, pas un mot. On parle de souveraineté étatique. Et la souveraineté du peuple, dans tout cela ?
Comment comprendre ce quasi-adoubement de la stratégie du Président burundais ? Il suffit de regarder la liste des chefs d’Etat membres de l’EAC… Parmi la multitude d’organisations interétatiques qui existent en Afrique, l’EAC est sans doute la plus petite en termes de pays membres (Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie). Laissons de côté évidemment Pierre Nkurunziza, à la fois juge et parti.
Au rendez-vous du 31 mai étaient donc présents Yoweri Museveni, Président de l’Ouganda, Jakaya Mrisho Kikwete, Président de Tanzanie et Uhuru Kenyatta, Président du Kenya, ainsi que Jacob Zuma, leur homologue sud-africain (rappelons que Nelson Mandela avait parrainé les accords d’Arusha en 2000 qui avaient permis de sortir de la guerre civile). Qui étaient donc ces hommes qui voulaient décider de l’avenir de la population burundaise ? Museveni et Kikwete sont Présidents de leur pays depuis plus de dix ans et l’Ouganda et la Tanzanie doivent organiser des élections respectivement en 2016 et fin 2015. Oublie-t-on que Museveni a fait adopter en 2005 une modification de la Constitution afin que le nombre de mandats présidentiels ne soit plus limité ? Qu’il a jugé en 1996 que le multipartisme est un concept « occidental » ? Uhuru Kenyatta, quant à lui, a été accusé de crimes contre l’humanité dans le contexte kenyan post-électoral de 2007. Il a comparu en 2014 devant la Cour Pénale Internationale mais le procureur a décidé de lever les accusations car le gouvernement kenyan (dont il était déjà le Président) a refusé de transmettre les preuves nécessaires à la décision. Est-ce donc encore un hasard si ces chefs d’Etat ne veulent pas pointer du doigt la cause, la seule vraie cause, du malaise politique burundais, cause qui pourrait fort bien s’appliquer à eux dans un futur proche ?
Lors du sommet de l’Union Africaine qui s’est tenu les 14 et 15 juin, les chefs d’Etat africains ont une nouvelle fois évité les sujets qui fâchent concernant le Burundi, y compris le troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Histoire de ne pas trop se mouiller. Bref, une ultime chance perdue pour imposer une solution diplomatique.
Heureusement, les Burundais ne se laissent pas duper. Si le comité de coordination de la mobilisation contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza a respecté une trêve le 1er juin, les manifestations ont repris depuis et la société civile, mobilisée, pose ses conditions pour les élections. Mais est-ce encore utile de crier face à des sourds ? De crier sur un monde qui, lâche, justifie sa passivité par des mots vagues et des formulations toutes faites ? Le sommet de Dar es Salam incarne ce qu’il y a de plus hypocrite dans la diplomatie multilatérale. Un beau nom, une couverture médiatique clémente et l’illusion d’un pas en avant qui donne de l’espoir. Il faudra bien se rendre à l’évidence que si la crise se résout un jour en faveur de la démocratie et du peuple burundais, ce ne sera pas grâce à des coquilles vides.
La communauté internationale doit concrétiser les mesures de pression à l’encontre du gouvernement Nkurunziza. Pour l’heure, l’isolement total semble être l’unique mesure phare qui portera ses fruits, car Peter est un enfant qui n’écoute pas, pris à son propre piège et pressurisé de tous côtés. Il a tout à perdre. On ne peut pas lui laisser le choix.
Dans tout cela, Paul Kagame, le Président rwandais, pourrait bien être le seul à y voir clair. Bien qu’il n’ait pas donné de raison publique à son absence à Dar es Salam, il avait fustigé l’entêtement de Pierre Nkurunziza bien avant ce sommet. Sans doute savait-il qu’au vu du contexte, les négociations de dimanche ne seraient pas satisfaisantes. Le Rwanda, voisin important et de surcroît symbolique du Burundi, a bien son mot à dire face à la situation. Mais le flou qui règne autour de l’attitude de Paul Kagame est une nouvelle preuve que ce qui se passe en coulisses est un secret bien gardé, et que les décisions qui ont de l’impact sont prises loin de nos yeux et de nos oreilles.
Au final, ce ne sont pas quelques chefs d’Etat de la région en perte de légitimité démocratique qui risquent d’avoir le dernier mot mais l’alliance entre le peuple burundais soulevé et l’opinion africaine et internationale qui leur apportera l’écho, l’espoir et le soutien nécessaires à l’obtention du seul objectif qui vaille : le départ de Peter.
Mise à jour : 18 juin 2015