La population péruvienne ainsi que les peuples autochtones se mobilisent fortement contre les grands projets miniers au Pérou, menaçant l’environnement et l’habitat des peuples autochtones. La crispation et les tensions sociales face à l’extractivisme minier sont très exacerbées à l’heure actuelle dans le pays.
Le 22 mai dernier, le Sénat accueillait un colloque relatif au projet Conga au Pérou, sur une initiative de Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne. Dans la région de Cajamarca, où s’est rendue l’élue en août dernier, la contestation sociale contre ce projet d’agrandissement de la mine Yanacocha sévit très fortement.
Mais Yanacocha n’est pas un cas isolé puisqu’il est emblématique de la tension actuelle à l’œuvre dans la société péruvienne face à d’autres grands projets miniers cherchant à s’implanter dans ce pays extrêmement riche en ressources minières avec le plomb, le cuivre, le charbon, le zinc, l’or, l’argent… Le même jour (22 mai), une manifestation à Cocachacra, contre le projet de mine de cuivre Tia Maria, dans le sud du Pérou, a été violemment réprimée par la police.
La discorde se resserre de plus en plus autour du projet Conga, porté par la multinationale américaine Newmont Mining, détentrice à plus de 50% de la société Minera Yanacocha, qui exploite depuis 2012 la mine Yanacocha, située dans la région de Cajamarca, dans le nord du Pérou.
Le projet, suscitant un des plus graves conflits sociaux et environnementaux qui ait secoué le pays depuis 2011, consiste à agrandir la mine Yanacocha, considérée comme étant la plus grande mine d’or à ciel ouvert d’Amérique du sud.
Quelques années après son début d’exploitation, en 1993, des effets secondaires néfastes se manifestent : contamination des sources à proximité et empoisonnement du bétail, dans une région marquée par la prédominance de l’agriculture comme moyen de subsistance.
Avec Conga, ce ne seraient pas moins de cinq lacs de haute montagne qui seraient supprimés ainsi que 700 sources et 260 hectares de prairies humides, ce qui provoquerait inéluctablement un problème d’accès à l’eau dans un pays déjà fortement touché par la fonte des glaciers due au réchauffement climatique.
Des populations autochtones menacées
Récemment, le cas de Maxima Acuña de Chaupe, paysanne andine, résidant à Cajamarca et refusant de vendre sa terre et d’être délogée par la multinationale américaine, a mis en exergue l’antagonisme entre intérêts économiques, défendus par les compagnies d’extraction de ressources naturelles, souvent soutenues par le gouvernement péruvien, et les nécessités vitales des communautés autochtones vivant dans les territoires où sont implantés ces grand projets miniers. Les populations autochtones font notamment valoir leur accès à une eau propre et de qualité, pour la consommation et l’usage quotidiens.
Selon la Convention 169 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) relative aux droits des peuples autochtones et tribaux, élaborée en 1989, ces derniers ont droit à la « consultation préalable » sur les questions affectant directement leur mode de vie et leur développement. Mais bien souvent, le gouvernement péruvien passe outre la consultation des peuples directement concernés par les projets d’extractivisme.
Pour Françoise Chambeu, membre du Comité Directeur de l’association France Amérique Latine et réalisatrice d’un documentaire (Cuentan y cantan) sur les femmes « ronderas » de Cajamarca en lutte pour la défense de l’environnement et le droit à l’eau, « le gouvernement péruvien a réduit le droit à la consultation préalable aux seules communautés autochtones d’Amazonie et les Quechuas ont été assimilés comme communautés paysannes et de fait n’ont pas droit à la consultation préalable ».
« Nous existons jusqu’à maintenant et nous ne nous laissons pas envahir »
Rosa Sara Huaman Rinza est élue de la communauté Quechua du district de Canaris, dans le nord-ouest du Pérou, où une entreprise minière est arrivée dans les années 2000. Elle qui se sent concernée « autant en tant que femme qu’en tant que mère » par cette problématique, a souffert directement de ce non-respect de la législation internationale en matière de droits des peuples. Elle revient sur cette histoire qui a changé sa vie…
En 2004, des personnes inconnues de sa communauté arrivent sur le territoire de Canaris. Ces dernières se révèlent être du personnel d’une entreprise minière canadienne qui prospecte dans la région.
« C’est à partir de ce moment-là que commence la déforestation et que l’entreprise s’installe à proximité d’une source qui se trouve sur notre territoire. Ni l’entreprise ni l’Etat ne nous ont consultés, ils n’ont ni permis, ni licence d’exploitation. Notre communauté a fait une grève pacifique contre l’implantation de la mine et a demandé l’annulation de la concession minière parce que nous n’avions pas donné notre consentement. Mais l’Etat ne nous respecte pas, il n’écoute pas les demandes qu’on lui fait », déplore-t-elle, en marge du colloque sur le projet Conga organisé au Sénat.
« Nous existons jusqu’à maintenant et nous ne nous laissons pas envahir. Jusqu’ici on arrive à préserver les semences dans la région », ajoute-t-elle de sa voix fluette non sans se départir de cette détermination qui anime son combat depuis plus de dix ans.
Habillée en costume traditionnel et coiffée d’un chapeau de paille ceint d’un large ruban rouge, Rosa Sara se veut la porte-parole de toutes les femmes « ronderas » qui luttent pour la préservation de l’environnement, le droit à l’eau et le respect du mode de vie et des traditions autochtones, mis à mal par ces grand projets miniers.
Aujourd’hui, 96% du territoire de Canaris est sous concession minière, avec 18 concessions au total. Et Canaris n’est pas un cas isolé puisque d’autres endroits du pays sont touchés par l’expansion minière à l’instar des régions de Cajamarca, Arequipa et Cuzco.
L’expansion minière à l’origine d’une des plus graves crises sociales au Pérou
Ce boom minier puise ses origines dans le mandat de l’ancien président péruvien Alan Garcia qui, entre 2006 et 2011, octroie une série de droits concessionnaires aux multinationales de l’extraction minière, leur permettant ainsi de s’implanter sur l’ensemble du pays.
Dès lors, les populations d’éleveurs et d’agriculteurs habitant dans les territoires affectés s’insurgent de la contamination des eaux et de son incidence directe sur l’activité agricole. Des protestations commencent à éclater un peu partout dans le pays, générant une crise sociale sans précédent. Les manifestations sont violemment réprimées par la police.
A Cajamarca, l’année 2011 voit les crises se succéder : le gouvernement péruvien tente de dialoguer avec les représentants des peuples autochtones, mais aucun accord n’est trouvé. Le 1er juin, une grève régionale est déclarée. La police réalise alors une incursion brutale dans la région pour réprimer les opposants à Conga. L’état d’urgence est décrété par le gouvernement mais la crise atteint son paroxysme en juillet 2012 avec l’arrestation arbitraire de plusieurs personnes et la mort de cinq autres, dont deux mineurs. L’état d’urgence est à nouveau proclamé.
Le gouvernement et l’entreprise minière doivent revoir leurs positions et annoncent la suspension du projet Conga. Cependant, parallèlement, des inspections réalisées vers les lacs de la région montrent que Yanacocha poursuit insidieusement des travaux d’exploration. C’est en octobre 2012 que les rondes paysannes deviennent les « gardiens des lacs » et commencent à installer des campements près des réserves d’eau pour les protéger et bloquer ainsi la continuation des travaux.
Des droits humains bafoués
Aujourd’hui encore, la situation des droits humains est toujours très préoccupante dans le pays : arrestations musclées d’opposants au projet (notamment celle de Grégorio Santos, président régional de Cajamarca, actuellement emprisonné pour corruption), menaces de mort et agressions des gardiens des lacs, attaques des camps de ces derniers par des bandes paramilitaires envoyées par la mine, répression exercée par la DINOES, la police nationale. Amnesty International a déclaré l’année 2014 comme année noire pour le Pérou, au vu de toutes les violations aux droits de l’homme ayant eu lieu dans le pays.
« Selon le défenseur du peuple [sorte de médiateur de la république dont le rôle est la défense des citoyens face aux erreurs de l’État ou des entités privées, et qui publie chaque mois un rapport sur les conflits sociaux] , depuis l’arrivée d’Ollanta Humala au pouvoir en juillet 2011, 49 personnes ont trouvé la mort dans des conflits sociaux, notamment à cause de l’usage abusif de la force par la police péruvienne envers les populations indignées. De ces 49 personnes, 12% sont des femmes et 9% des enfants et adolescents. », précise Françoise Chambeu. Au total, entre les gouvernements d’Alan Garcia et celui de son successeur Ollanta Humala, c’est-à-dire entre 2006 et aujourd’hui, 253 personnes ont été tuées dans ces conflits.
Pour elle, la situation actuelle au Pérou est « complexe » : « Ce n’est pas un conflit armé. Le Pérou est une démocratie, la croissance économique est au rendez-vous mais il existe de gros problèmes en termes de droits humains. Par exemple les personnes qui sont opposées aux grands projets miniers sont considérées comme criminelles, on les qualifie de « terroristes anti-mines » et on les réprime violemment. »
En parallèle, les dirigeants des régions touchées par les projets miniers font l’objet de persécutions judiciaires, les zones de protestation sociale contre les mines sont militarisées et des postes de police installés.
Selon la Coordination Nationale des Droits Humains au Pérou, « les conflits sociaux actuels révèlent un continuum dans la violence, en partie lié à la structure de pensée de certaines personnes qui imposent leurs droits par rapport à d’autres ».
La Coordination a remarqué que la plupart des personnes décédées dans les conflits sociaux étaient d’origine quechua ou autochtone. « Ces conflits sont révélateurs d’un certain racisme au Pérou qui provient notamment de la scission existant entre les habitants de la côte et ceux des régions montagneuses et ayant contribué à diviser les Péruviens », selon Françoise Chambeu.
Enfin, soulignons que la problématique de l’extractivisme minier n’est pas uniquement présente au Pérou puisque des pays comme la Colombie, le Guatemala, ou le Brésil, sont impactés par de grands projets miniers, à l’origine de conflits sociaux et environnementaux.
https://soundcloud.com/clarinetta/ce-combat-la-qui-a-lieu-au-perou-pour-la-planete-il-faut-quon-le-relaie-en-france