Entretien avec Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
Comment jugez-vous la situation actuelle au Burundi au vu des manifestations et des violences dans un contexte post-coup d’Etat ?
Elle ne s’est pas améliorée avec l’échec du Coup d’Etat du 14 mai dernier du général Niyombaré qui se faisait le porte-voix d’une partie de l’opposition. L’opposition proteste comme elle peut mais n’obtient pas gain de cause par rapport à la volonté du Président de se présenter à nouveau au scrutin électoral.
Malgré la décision de repousser les élections de quelques semaines au 15 juillet, la situation s’est aggravée. Il y a actuellement un ciblage post coup d’Etat contre les mouvements d’opposition et contre les médias qui ont relayé le coup d’Etat. Ce dernier avait était annoncé non pas à la télévision nationale, mais dans une des radios privées (Renaissance, qui a été détruite). C’est une situation grave au niveau des droits humains car l’opposition n’a plus de voix. Une des solutions serait qu’une couverture médiatique internationale prenne le relai, mais on n’observe pas une grande mobilisation au niveau des grands médias planétaires. Aujourd’hui, l’opposition qui pouvait s’appuyer sur le réseau des chaines privées telles que la radio Gisangayone, peut plus en bénéficier car les responsables de ces chaînes sont considérés par le pouvoir aussi coupables que les militaires.
Il ne faut pas oublier le rôle de l’Eglise burundaise au travers de l’archevêque Gitenga, très puissant et respecté au Vatican. En février dernier, il a appelé les Burundais à faire entendre leur droit légitime à ce que les accords d’Arusha soient respectés. Il y a peut-être une solution à envisager au travers du rôle de l’Eglise dans un pays où 75% de la population est chrétienne.
Quel est le rôle de la communauté internationale et plus particulièrement de la France dans ce contexte ?
Nombre de pays voisins ont été très réactifs pour éviter cette crise en amont. On a par exemple le Président tanzanien qui s’était rendu à Bujumbura quelques semaines avant le début des manifestations le 26 avril. Il avait conseillé au président Nkurunziza de ne pas se représenter. Paul Kagame a également demandé au Président burundais de « prendre ses responsabilités » face aux accords d’Arusha qui stipulent clairement que le Président peut concourir à un mandat renouvelable une fois.
Nkurunziza joue sur les mots car un autre Président lui a donné le pouvoir pour son premier mandat. Mais ce même Président appelle aujourd’hui son successeur à ne pas se représenter. La Communauté des Etats d’Afrique de l’Est s’est réunie en urgence à la demande du Président tanzanien. Elle a rappelé la lecture généralement admise des accords d’Arusha et a appelé le Président burundais à le respecter. Tous les chefs d’Etat africains ont le coup de balai qui a coûté le pouvoir à Compaoré.
L’Union Africaine s’est mobilisée à deux niveaux. Premièrement, au niveau de la Présidente de la commission de l’Union Africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, qui a été claire et dès le début et qui a essayé de jouer la médiatrice pour aboutir à une acceptation du Président à ne pas se représenter. Elle a publié des communiqués mais était également présente au Burundi lors de moments clé. Le deuxième niveau a été la coordination avec l’ONU et l’ambassadeur de France auprès du Conseil de Sécurité dans le but de rédiger une résolution qui ne sera certes pas aussi offensive que beaucoup le souhaiteraient, mais importante pour appeler à la retenue et éviter les violences qui pourraient advenir.
En ce qui concerne la France, elle n’a pas eu une politique plus proactive que ses partenaires européennes. Elle n’a pas montré de soutien actif. On observe une forme de non-intérêt pour la situation, annoncée au préalable comme devant être catastrophique, mais qu’on a laissé filer. Le Ministère des affaires étrangères et l’Elysée semblent ne pas communiquer entre eux sur le sujet. Hollande a publié un communiqué appelant à la retenue mais le Quai d’Orsay n’était pas au courant.
Et qui soutient Nkurunziza au Burundi ?
Nkurunziza n’est pas le seul coupable. Adolf Nshimirimana, ancien chef du services de renseignements) et Paul Puyoni (ancien chef de cabinet civil) sont aussi ancrés dans le processus. Ce sont sans doute eux qui ont le plus à perdre. Si on regarde bien, il y a quelques mois a été publiée une vidéo dans laquelle Adolf Nshimirimana disait « plutôt mourir que de céder le pouvoir ». Le Président est piégé par les plus radicaux qui ont tout à perdre et qui seraient amenés à la justice internationale pour des crimes économiques voire de sang. Adolf Nshimirimana est à la tête des milices Imbonerakure qui étaient les mouvements de genèse du CNDD-FDD qui pourchassent les représentants de la société civile. Le Général Niamboré a été limogé en février car il avait émis une note disant que la Cour Pénale Internationale ne laisserait pas passer un 3e mandat. Nkurunziza est pris dans sa propre folie. La raison seule l’aurait conduit à renoncer au 3e mandat.
Certains pays tels que les Etats-Unis ont-il intérêt à soutenir Pierre Nkurunziza ?
Les Etats Unis, à travers leurs ambassadeurs à l’ONU (Madame Stéphanie Powers) et à Bujumbura ainsi que Valérie Amos, sous-secrétaire générale de l’ONU chargée des questions humanitaires, étaient les premiers, par la voie de leurs ambassadeurs, à dire que le Président ne devait pas s’entêter à rester au pouvoir, appelant au renfort des élections.
La Belgique, la Suisse puis les Etats-Unis ont été très clairs en disant que les conditions du vote ne sont pas réunies. Après, évidemment qu’un diplomate en poste ne peut pas dire qu’un candidat n’est pas légitime. Les Présidents Kagame, Kenyata, Kikwete ont rappelé le Président burundais à l’ordre institutionnel dénonçant le coup d’Etat, mais aussi le Président. La diplomatie, c’est ambition, la réalité et les moyens pour faire passer doucement la pilule.
Pensez-vous qu’un conflit ethnique qui rappelle la guerre civile qui a eu lieu au Rwanda puisse voir le jour au milieu de ce conflit politique ?
Le risque d’un conflit ethnique peut être une hypothèse. C’est en tout cas ce que cherche à engager le Président Nkurunziza. Il faut tout faire pour éviter que le spectre de la guerre civile qui avait endeuillé le Burundi à partir de 1993 ne soit instrumentalisé parle régime actuel qui a eu tendance ces dernières semaines à utiliser le fait ethnique pour se débarrasser des opposants issus de la société civile. Ces derniers étants issus des deux ethnies, cet argument ne tient donc pas la route. Le Président a mis sous les verrous autant de Hutus que de Tutsis. Il s’est opposé plus aux Hutus qu’aux Tutsis. Dans l’opposition, il y a autant de Hutus que de Tutsis et les principaux leaders de l’opposition sont Hutus, donc cette idée ne tient pas la route. Si c’était le cas, Kagame aurait été obligé d’intervenir, chose qu’il ne fait pas pour l’instant. S’il y a des massacres, le Rwanda interviendra. Le Rwanda est dans une position délicate en soutenant quelqu’un qui ne soutient pas les accords d’Arusha. Rappelons que 70.000 Burundais sont au Rwanda et les chiffres risquent d’augment drastiquement d’ici quelques semaines.
Que pensez-vous des conclusions du sommet de l’Union Africaine concernant le Burundi ?
Les positions de l’Union Africaine ont été convenues de manière diplomatique avec une mobilisation « politique » qui exerce une pression insuffisante sur Pierre Nkurunziza. La communauté africaine s’en lave les mains et laisse jouer la carte du temps. La position de l’Union Africaine est en deçà de ce qu’on aurait espéré, mais fidèle à ses habitudes. Elle réunit les chefs d’Etat pour éviter les problèmes qui fâchent. Lors de ce sommet, aucune des discussions problématiques, que ce soit la Centrafrique, le Burundi ou encore la questionsmigratoire, n’ont été abordées. On a de plus en plus le sentiment que l’Union Africaine est un outil politisé sous la Présidence de Robert Mugabe et sous la gestion Mme Zuma.
Propos recueillis par Maria Gerth-Niculescu