Patricia Lalonde est chercheuse à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), Secrétaire Générale de l’ONG MEWA engagée pour le droit des femmes et auteur de deux livres sur l’Afghanistan dont « Abdullah l’Afghan qui dit non aux talibans ». Suite à l’attaque sur le Parlement afghan ce lundi 22 juin, Patricia Lalonde répond aux questions d’Opinion Internationale sur la situation en Afghanistan.
Une attaque revendiquée par les talibans a visé le Parlement afghan ce lundi. Où en est l’Afghanistan aujourd’hui alors que les forces internationales se sont largement retirées du pays et que le pouvoir est plus ou moins partagé entre le Président de la République, Ashraf Ghani, et le chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah ?
Cette attaque n’est vraiment pas bon signe, d’autant plus que les talibans ont revendiqué l’attaque. Elle s’est déroulée au moment où le ministre de la Défense afghan devait être désigné. A l’heure actuelle, les talibans essaient de déstabiliser par tous les moyens le gouvernement d’union nationale, alors que ce partage de pouvoir ne se passe déjà pas très bien.
Face aux problèmes politiques, heureusement que ce sont deux hommes relativement responsables qui gouvernent et essaient de faire au mieux au vue de la situation. Ce sont surtout leurs alliés respectifs qui rendent la cohabitation plus difficile.
Certains parlent même d’un risque de guerre civile. Le Président Ghani essaie de négocier avec des talibans sous la houlette du Qatar, mais plus il y a des négociations, plus les attaques se multiplient. Mais maintenant que Daesh s’installe également en Afghanistan, les talibans sont presque perçus comme le moindre mal. Certains pensent que le conflit entre Daesh et les talibans affaiblira les deux groupes, mais ce pari est naïf selon de nombreux observateurs. A force d’organiser des attaques, les talibans veulent faire plier le gouvernement à leurs conditions, en laissant entendre que si on ne collabore pas avec eux, Daesh sera le prix à payer.
Ceci dit, tout n’est pas noir : l’armée afghane est très puissante et elle a très bien réagi aux attaques de ce matin. Mais elle ne peut tout de même pas faire face seule à Daesh et aux talibans, d’autant plus que Daesh est piloté de l’étranger.
En ce qui concerne la situation des femmes, Mme Rassouli a récemment été nommée à la tête de la Cour Suprême d’Afghanistan, ce qui est une avancée très symbolique.
Justement, les femmes afghanes vivent-elles mieux aujourd’hui qu’il y a cinq ou dix ans ?
Non. Elles ont eu une belle fenêtre d’espoir entre 2004 et 2012, mais maintenant, la situation est bien plus difficile. Surtout dans tout le sud du pays, la région des Pachtoun où les talibans se sont imposés et où les femmes ont donc très peu de libertés.
Mais le président Ghani et le premier ministre Abdullah ont montré une réelle volonté de redonner une voix aux femmes et ils essaient de faire avancer cette cause. Le problème est que lorsqu’il y a des problèmes de sécurité, comme c’est le cas à l’heure actuelle, leurs droits sont bafoués et elles sont souvent la cible des revendications extrémistes.
Comment se dessine le futur proche du pays ?
Dans le contexte politique déjà tendu, il faut savoir que des élections parlementaires devaient se tenir à la fin du mois, mais il y a une discorde entre Ghani et Abdullah à ce sujet, donc on est dans l’incertitude. Une des conditions posées par Abdullah en vue de l’accord qui a été signé suite à l’élection présidentielle controversée de 2014 était de réviser le code électoral car les élections avaient été frauduleuses. Il voulait aussi changer toute les commissions électorales. Ce différend n’a pas été réglé. Donc les députés ne savent pas quand auront lieu les prochaines élections et quel sera leur statut à partir de la fin juin. On va rentrer dans une période de grande incertitude.
Les talibans veulent déstabiliser le pays et ce n’est d’ailleurs pas anodin qu’ils aient visé le Parlement. Avec un gouvernement à deux têtes, il est très difficile de trouver un équilibre politique et un exécutif fort. C’est sur cette fragilité que misent les talibans. Il faut espérer que les négociations qui auront forcément lieu avec les talibans n’empirent pas la situation du pays et plus particulièrement celle des femmes.
Enfin, on a les dits « seigneurs de la guerre » qui habitent dans les régions du Nord, à l’image de Mohammad Ustad Atta, et qui savent se défendre contre les talibans. Mais le gouvernement les écarte. Donc on parle d’un risque de guerre civile car ces hommes qui sont venus à bout des talibans en 2001 risquent de prendre les armes face à un gouvernement incapable de les protéger. Lorsqu’on mélange cela aux problèmes liés à Daesh et à un gouvernement bancal, une grande déstabilisation du pays est envisageable.
Propos recueillis par Maria Gerth-Niculescu