International
11H41 - jeudi 25 juin 2015

Le rendez-vous politique : Migrants, nos politiques ont-ils peur des solutions concrètes ?

 

 

 

Les chefs d’Etats et de gouvernements se retrouvent ce jeudi pour un nouveau Sommet européen pour débattre de la controversée répartition des migrants en Europe. En France, la question des migrants reste un sujet particulièrement sensible, face auquel les politiques de droite comme de gauche peinent à trouver un discours lucide qui apporterait des solutions aux problèmes de fond.

Une tendance qui s’observe d’ailleurs au-delà de nos frontières, où les initiatives européennes aux noms imposants mais aux conséquences limitées confèrent l’illusion que certaines personnes loin de nos yeux sauraient prendre les choses en main. A contrario, les propositions concrètes sont celles qui inquiètent et qui ravivent les tensions.

 

 

Opération EU Navfor Med : les grands mots qui rassurent

Ce lundi 22 juin, l’Union Européenne a lancé une initiative ambitieuse : celle de prendre le problème des migrants à sa dite source en s’attaquant aux passeurs qui font chaque jour traverser la Méditerranée à des personnes désespérées de quitter le continent africain.

Ces trajets en mer représentent non seulement un danger considérable pour les passagers, dont un grand nombre ont déjà perdu la vie, mais rapportent aussi des sommes d’argent importantes à des trafiquants sans scrupule. L’opération EU Navfor Med avait pour objectif de s’attaquer physiquement aux passeurs, notamment en coulant leurs bateaux et en procédant à des arrestations. « Il faut mettre un terme à ce trafic en touchant les trafiquants. L’Europe doit exercer une pression forte pour stopper ces flux », nous déclare Patrick Ollier, député des Républicains. « Il faut que l’Europe adopte des mesures préventives à destination de ceux qui organisent ces traversées de la Méditerranée, avec des dispositifs de protection militaire. Sinon la France comme l’Europe n’arriveront pas à juguler ces migrations », explique le député PS Olivier Falorni.

 

 

En réalité, de telles opérations militaires dans les eaux territoriales libyennes nécessitent à la fois l’accord de la Libye et de l’ONU, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. EU Navfor Med reste donc pour l’heure une opération de surveillance, depuis les côtes, des pratiques des passeurs. Au vu de la situation politique en Libye, où les obstacles à la formation d’un gouvernement d’unité nationale persistent, cette limitation n’est pas prête d’être revue. Et quand bien même elle le serait, reste à savoir si une opération militaire pour bloquer la voie aux migrants serait réellement efficace. « On voit bien qu’à chaque fois qu’on bloque une route ou les moyens d’y passer, on utilise ensuite une autre voie. Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’Italie, mais demain ce sera la route des Balkans qui posera problème. », explique le sénateur PS Jean-Yves Leconte.

Plus largement, Axel Poniatowski, député des Républicains, souligne que « les moyens de Frontex viennent d’été doublés. Ce qui est probablement insuffisant. » Et d’ajouter : « il faut lutter contre les mafias locales qui poussent aussi les migrants à partir de chez eux. »

 

 

 

Solidarité à la carte

Tout aussi urgente, la question de la répartition des migrants à travers l’Europe en fonction des capacités de chaque pays, sera à l’ordre du jour du Sommet de l’UE aujourd’hui et demain. Mais un accord a peu de chances d’être trouvé dans l’immédiat et sera donc vraisemblablement repoussé au mois de septembre.

Fiers de leurs discours qui prônent la solidarité, nombre de politiques semblent moins convaincus de leurs propos lorsqu’il s’agit de les concrétiser. Selon le système dit de « quotas » proposé par Jean-Claude Juncker, la France devrait accueillir bien plus de migrants qu’elle ne le fait actuellement. C’est donc sans trop de surprises que des personnalités politiques telles que M. Hollande et M. Cazeneuve ont rejeté cette proposition et comptent y faire barrage. « Ce qui se passe à la frontière italienne est décalé par rapport aux messages que Bernard Cazeneuve a fait passer» ajoute M. Leconte.

Vrai, M. Cazeneuve se félicite, à juste titre, du plan du gouvernement de créer 10.000 places d’hébergement supplémentaires pour les migrants avant 2017. Mais le problème des hébergements est criant depuis des années et ces 10.000 places supplémentaires ne concrétiseront un discours basé sur la solidarité européenne seulement si la France décide d’ouvrir davantage ses frontières et d’entamer des efforts en matière d’intégration.

 

 

« Il faut prendre en compte la réelle vulnérabilité des migrants et la difficulté de leur situation. On doit contrer la conception selon laquelle les immigrés sont un danger, un fléau et que l’Europe n’a besoin de personne. On a besoin de main d’œuvre, de mélange et de métissage », déclare Sergio Coronado, député d’EELV. Dans le même esprit, M. Leconte ajoute qu’en « laissant sous-entendre qu’étranger rime avec danger, on ne permet pas à l’Europe d’aborder la question rationnellement et sereinement pour résoudre au mieux le problème sur le plan humanitaire ».

L’Allemagne est souvent citée comme l’exemple en la matière. « L’Allemagne met actuellement en place un plan solide pour enseigner l’allemand aux migrants et trouver des solutions pour leur trouver du travail. Il ne faut pas oublier que les migrants sont des jeunes et qu’ils peuvent devenir des salariés qualifiés et intégrés. En France aussi, cela doit passer pas l’enseignement de la langue, qui est le premier outil d’intégration », explique Michèle Delaunay, député du PS. Paradoxe : il faut se rendre à l’évidence que notre voisin jette aujourd’hui une ombre certaine sur la patrie des droits de l’homme. Certes, l’Allemagne est dans une situation économique meilleure que la France mais cela suffit-il à expliquer les différences d’approche ?

 

 

Autre élément de comparaison qui met en exergue l’absurdité de la situation : la Turquie et la Jordanie. « L’Europe fait peu par rapport à ce que doivent affronter la Turquie et la Jordanie en terme de nombre de réfugiés. Quand ont compare les chiffres, c’est ridicule et indigne. Mais on remarque aussi qu’en Turquie et en Jordanie, les réfugiés de Syrie et d’Irak sont un poids mais rapportent un dynamisme qui ne ferait pas de mal à certains pays européens », explique M. Leconte.

S’il est vrai que la résolution des problèmes « sur place », comme le précise le député des Républicains Axel Poniatowski serait la plus efficace, elle n’est pas réalisable pour le moment. Mais a-t-on le choix ? « Nous n’avons pas les moyens de les accueillir, de les héberger et de leur trouver des emplois », selon Axel Poniatowski.

 

La situation est tellement complexe qu’on on en est même plus à se demander si on peut ou pas, comme le dit le député François Scellier, « accueillir toute la misère du monde ». En effet, la vraie question aujourd’hui est plutôt de savoir si les migrants qui frappent avec insistance à nos portes sont des réfugiés politiques ou des migrants économiques. Eric Ciotti soutient avec fermeté qu’ils sont surtout des migrants économiques. 

 

 

Avec une crise syrienne qui dure depuis 2011 et des chefs d’Etat qui répriment leurs populations dans la plus grande impunité, avec des Africains qui viennent d’Erythrée et de Somalie, la communauté fait face à des problèmes de taille. «Ce ne sont pas des conflits ponctuels. On a un monde instable avec des dangers croissants qui ne se résoudront pas demain, avec des situations humanitaires urgentes. Dans ces conditions, il est normal de vouloir se sauver et avoir une vie meilleure », explique M. Coronado. A l’heure actuelle, plus de la moitié des migrants proviennent de Syrie. Le député des Républicains Eric Ciotti a donc probablement tort d’affirmer que les réfugiés de guerre sont une « minorité » dans le flux de migrants, qui est composé selon lui majoritairement de migrants économiques.

 

L’identité nationale : la mauvaise excuse

On dit souvent, du moins pour la politique, qu’après une critique, une solution alternative se doit être proposée. Force est de constater que du côté des parlementaires, ces alternatives restent pour l’instant plutôt floues et simplistes.

Pourtant, rien n’est perdu d’avance, car certains s’efforcent encore de réfléchir à des propositions concrètes. « Il ne faut pas être frileux. » a déclaré Michèle Delaunay. « La question est nouvelle, nous devons apporter des réponses nouvelles ». Mais encore faudrait-il que celles-ci soient considérées. Jean-Pierre Raffarin a proposé le 17 juin dernier de contrer le déficit démographique dans les milieux ruraux français en y intégrant les familles d’immigrés. Timidement saluée à gauche, les réactions négatives ont fusé à droite, où le Front National s’est fait une joie de rappeler que les campagnes françaises sont « préservées » de l’immigration et qu’y « déverser » les migrants serait s’en prendre à « l’identité française ».

 

 

Mais quel est cet argument d’identité, soulevé aussi par M. Ciotti ? « La France de nos villages a une identité », avait-il déclaré suite à la proposition de M. Raffarin. En une phrase, il a en vérité résumé tout le malaise français à l’égard des étrangers. Oublie-t-il que l’identité nationale s’adapte et se meut, qu’elle n’est pas incompatible avec la solidarité, le métissage des cultures et l’ouverture d’esprit ? A défaut de trouver de meilleures solutions, si ce n’est « l’addition des égoïsmes » déploré par Olivier Falorni et le renvoi, dans l’indifférence, de ceux qui encombrent notre confort, la classe politique française ferait mieux de se pencher sur le peu de propositions pratiques et concrètes qui lui sont soumises. Un défi à relever, si possible, à l’échelle européenne.

 

Directeur de la publication

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