Alors que la Guinée, à l’aube de son indépendance, était présentée comme le pays d’Afrique offrant les meilleures perspectives de développement, son produit national brut (PNB) ne dépasse guère aujourd’hui 500 dollars, ce qui la classe parmi les vingt-huit pays les moins avancés (PMA). Véritable eldorado en Afrique de l’ouest, la Guinée est aujourd’hui un pays riche peuplé de pauvres. Que vaut cet eldorado guinéen quand plus de la moitié de la population vit encore au-dessous du seuil de pauvreté et manque des ressources de base que sont l’accès à l’eau et l’électricité malgré les promesses de la dernière élection ? Les chefs d’Etat africains ont eu tort de ne pas se pencher sur ces problèmes lors du sommet de l’Union Africaine, qui était pourtant l’occasion des s’intéresser de près à la situation préoccupante en Guinée.
Un pays marqué par la guerre
Cinquante-cinq ans après son indépendance, et malgré l’élection présidentielle de novembre 2010 qui a vu l’arrivée d’un civil à la tête du pays, la Guinée ressemble à un pays au sortir d’une guerre. La corruption y est généralisée dans tous les rouages de la société et rien n’a été fait pour la juguler. L’ethnocentrisme a été poussé à l’extrême et l’ampleur des inégalités internes sont telles qu’elle menace la cohésion sociale et fait courir le risque d’une véritable crise sociopolitique.
L’Etat est pratiquement inexistant et l’administration de l’Etat s’est complètement délitée. La capacité administrative s’est fragilisée à tel point qu’au niveau de plusieurs régions, c’est l’église, les communautés villageoises, les ONG et les confréries religieuses qui ont pris le relais de l’Etat. Human Right Watch a insisté sur l’importance pour le gouvernement d’assurer l’Etat de droit tout comme ils ont demandé que la lumière soit faite sur le massacre qui a eu lieu au stade en 2009, où les forces de sécurité guinéennes ont tué et violé des centaines de sympathisants de l’opposition.
Quant au processus démocratique, il se déroule dans une situation socio-économique précaire, un climat d’insécurité, de fraude, de corruption de la classe dirigeante et de l’impatience de la population devant la lenteur du changement annoncé. Le respect des droits de l’homme promis lors de la transition constitutionnelle, et sur lequel l’ensemble des acteurs s’était engagés n’est toujours pas respecté.
Le gouvernement en place a reporté sine die les élections locales, pourtant prévues depuis 2010, alors même que les élus locaux sont en charge de la surveillance du scrutin présidentiel. Les élus actuels, nommés en 2010, sont proches du pouvoir, tout comme l’est le Général Condé, qui dirige la Commission électorale nationale indépendante (CENI) chargée de l’organisation de l’élection présidentielle. Ensuite, le paysage politique du pays s’est organisé autour de partis politiques à base ethnique, qui agitent la menace de violences ethniques ce qui explique que le débat démocratique reste dominé par des tensions ethniques latentes.
Un climat politique de plus en plus tendu
A chaque consultation électorale, les affrontements entre formations politiques se transforment rapidement en heurts entre ethnies. D’année en année, le climat politique ne cesse de se dégrader du fait de l’ethnicisation du pouvoir. Amnesty international a réaffirmé le 4 juin dernier la nécessité de renforcer la liberté de réunion et d’expression afin de prévenir les violences électorales. La récente candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2015 du capitaine Moussa Dadis, du nom de ce capitaine qui avait pris le pouvoir au lendemain du décès du président Lansana Conté, vient troubler le marigot politique guinéen. Cette sortie de Dadis va à n’en pas douter bouleverser l’échiquier politique guinéen notamment au sein de l’électorat de la région forestière, sa région d’origine.
Pendant longtemps, la Guinée n’a en fait jamais pu mettre en place le modèle de l’Etat-nation dont elle a voulu fonder après le non au Général de Gaulle en 1958. Les dirigeants guinéens ne sont pas parvenus à mettre en place un projet national qui surpasse les solidarités ethniques. L’appareil d’Etat a été accaparé par une mafia administrative organisée (MAO), par un groupe ethnique aux principaux postes de responsabilité plus que par une organisation politique dotée d’un programme de gouvernement. Les dirigeants du pays ont géré l’Etat comme s’il s’agissait de leur patrimoine personnel.
Des ressources inexploitées
A l’exception de la bauxite, qui représente 97 % des recettes budgétaires, les nombreuses ressources du pays restent inexploitées. Les rares infrastructures existantes sont dans un état lamentable, héritage de décennies de non gestion du pays.
L’un des exemples les plus parlants de ce phénomène est la gestion de Simandou, le plus grand gisement de fer au monde, situé en Guinée. Celui-ci est inexploité depuis 1997, de fait de l’inaction de Rio Tinto, géant mondial du secteur, et de l’immobilisme du Gouvernement.
L’exploitation de ces terres, propriété de la Guinée au même titre que l’ensemble du pays, devraient bénéficier au peuple guinéen. C’est ce que sous-tend toute cession de droits sur l’exploitation de ce genre de gisements. Au lieu de cela, Rio Tinto se contente de son droit de propriété, sans ne rien mettre en œuvre pour l’exploiter.
Aussi, une jeunesse privée d’emploi donc d’avenir engendre inéluctablement une violence latente et des frustrations qui sont les ferments qui mineront à terme le décollage de la Guinée. Le mal développement engendre la résurgence de l’ethnicité et le culte du pouvoir personnalisé.
La fièvre Ebola a déclenché une réponse internationale car elle menace le monde mais elle n’est que le reflet de la pauvreté et de la défaillance du système sanitaire. En Guinée, d’autres maladies comme la drépanocytose, la fièvre jaune, le paludisme sont beaucoup plus meurtrières.
La stabilité politique recherchée passera nécessairement par plus d’équité car la pauvreté persistante de la majorité de la population guinéenne menace son développement. Un pays comme la Guinée, peuplé de pauvres et d’exclus, ne prendra jamais le chemin d’un développement durable sans une réforme en profondeur de sa politique économique et sociale qui rompt avec les pratiques du passé.
Aliou BARRY
Politologue, Chercheur