International
14H57 - jeudi 9 juillet 2015

Les enjeux de la visite du pape en Amérique latine

 

 

Luis Alejandro Avila Gomez

 

Entretien avec Luis Alejandro Avila Gomez, responsable du programme Amérique latine de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe – IPSE. 

 

 

 

Le pape François, de son vrai nom Jorge Mario Bergoglio, est arrivé le 5 juillet en Equateur, pour une visite en Amérique latine d’une semaine qui le conduit de l’Equateur à la Bolivie puis le Paraguay. Quels sont les principaux enjeux de cette visite pontificale?

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Le Vatican est une puissance géopolitique singulière. Il est important pour le pape François et plus largement pour l’institution qu’il représente, d’entretenir des liens avec ses fidèles, dans la région où se trouve la plus grande concentration de catholiques de la planète. Maintenir un soutien croissant à la religion, via l’adhésion de nouveaux fidèles, représente un enjeu majeur pour l’Etat du Vatican car, précisément, la base de son soft power est fondée sur chacun des fidèles catholiques dans le monde.

Le Vatican considère que c’est le soutien des fidèles qui légitime et octroie son principal levier pour intervenir auprès d’autres Etats, dans les affaires internationales, mais aussi pour influencer les gouvernements dans leurs prises de décisions à l’intérieur de leurs frontières. On peut alors dire qu’accroître la capacité d’influence du Vatican est l’un des enjeux stratégiques de cette visite, dans un cadre de recomposition de son autorité. 

 

Pourquoi avoir choisi ces trois pays (Equateur, Bolivie, Paraguay) ?

carte AL

D’abord, il faut être conscient que le pape n’est pas qu’une entité religieuse puisqu’il est aussi un chef d’Etat, et l’importance de sa présence dans ces trois pays latino-américains tient au fait qu’il cherche à renouer, ipso facto, des liens politiques avec la région. Même si dans le cadre plus large de la géopolitique mondiale, l’Équateur, la Bolivie et le Paraguay ne sont pas des puissances, l’Etat du Vatican cherche à s’affirmer dans la périphérie émergente et le capital de sympathie sans précédents de François constitue un atout pour y arriver, particulièrement en Amérique Latine.

La médiation papale pourra aider à déverrouiller certaines impasses, comme celles résultant de certaines périodes historiques, telles que la guerre du Pacifique, avec notamment le différend territorial entre la Bolivie et le Chili, en essayant d’ouvrir une voie vers le dialogue.

 

En Equateur, le président Correa fait face à une vive opposition de la population depuis plusieurs semaines. La visite papale a-t-elle pu contribuer à apaiser les tensions et permettre un certain retour à l’unité (provisoire) ? 

Les manifestations contre la présidence de Rafael Correa ont été le produit d’une « catalysation » des tensions entre le gouvernement et la couche la plus riche du pays, à la suite de l’introduction d’un projet de loi sur l’héritage et sur la plus-value immobilière. 

Ce dernier a été momentanément retiré des discussions de l’Assemblée nationale équatorienne quelques jours avant la visite du pape François, pour éviter la violence dans les rues et pour créer une ambiance de paix. La venue du Pape a eu l’effet de générer un nouveau point central d’attention car, même si des manifestations ont eu lieu contre le gouvernement, elles ont été atténuées par les concentrations massives de fidèles, suscitées par la visite du souverain pontife. Ceci a été très important pour l’apaisement du pays dans une conjoncture socialement difficile, qualifiée par le président Correa comme étant le « préambule d’un putsch ».

En ce qui concerne l’unité du pays, elle ne pourra pas être atteinte tant que la richesse continuera à être si inégalitairement distribuée. L’Amérique latine détient le record mondial en matière d’inégalité existant entre la couche la plus riche de la population et la couche la plus pauvre. 

 

En Bolivie, le pape se rend demain, vendredi 10 juillet, dans la prison de Palmasola, connue pour sa violence et comme un lieu de quasi non-droit. Peut-il sommer le gouvernement d’Evo Morales d’améliorer les conditions de détention ? Est-ce que ces conditions sont les mêmes dans toutes les prisons en Bolivie ?

La prison de Palmasola, dans le département de Santa Cruz, en Bolivie.

La prison de Palmasola, dans le département de Santa Cruz, en Bolivie.

Le système carcéral en Amérique latine, dans une plus ou moins grande mesure, subit la négligence, souvent non volontaire, caractéristique des gouvernements des pays en voie de développement, dont les contraintes budgétaires sont bien plus astreignantes que dans les pays développés. Dans l’ordre de priorité des dépenses publiques, le système pénitentiaire ne se trouve souvent malheureusement pas parmi les impératifs. 

Il faut y ajouter l’inefficacité des cadres de la fonction publique, ainsi que la corruption. Les groupes criminels organisés se servent d’ailleurs de cette faiblesse de la fonction publique pour s’emparer des prisons et établir des centres de commandement du crime qui empêchent le bon déroulement du travail de la justice et accentuent les problèmes tels que la corruption, le trafic de stupéfiants, l’extorsion et le trafic d’armes, entre autres. 

Le cas des prisons boliviennes n’échappe pas à cette réalité latino-américaine. La présence du Pape à Palmasola est un signe très représentatif de son engagement envers les plus démunis car la plupart des reclus sont issus du système socio-économique de ce continent où les richesses sont si inégalement distribuées. 

 

Le Paraguay est miné par la contrebande mais aussi par un problème de dépréciation et d’isolement de la communauté d’origine africaine vivant dans le pays. Le pape peut-il permettre de faire un peu « bouger les lignes » par un message adressé à cette communauté ? 

Les populations noires et autochtones américaines ont joué un rôle fondamental lors des luttes indépendantistes dans la vice-royauté de Rio de la Plata, ainsi que dans l’apport à la construction de la souveraineté populaire. Dans le cas précis du Paraguay, le XVIIIème siècle a été le théâtre d’importants mouvements de « comuneros » (communes) qui œuvraient pour plus de démocratie et de justice sociale. Dans le même temps, s’est produite l’une des expériences sociales les plus réussies : celle des missions jésuites, détruites ensuite par les propriétaires terriens paraguayens et brésiliens, coalisés en une alliance d’intérêts d’exploitation. 

Précisément, le pape veut réanimer ce sentiment de solidarité et le fort esprit d’abnégation et de lutte sociale, développé par ses collègues jésuites. L’inclusion sera le message.

 

Propos recueillis par Claire Plisson

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