International
13H45 - mercredi 15 juillet 2015

La drogue et les cartels : un très gros caillou dans la chaussure du président mexicain Peña Nieto

 

 

Le Président mexicain Enrique Peña Nieto, invité d’honneur de la France, et le Président français, François Hollande, ont présidé hier, côte à côte le défilé national du 14 juillet à Paris. Enrique Peña Nieto est en visite d’Etat en France du 12 au 16 juillet. Il doit se rendre aujourd’hui à Marseille. 

Les deux présidents ont ceci en commun qu’ils bénéficient, l’un et l’autre, d’une cote plutôt flatteuse au plan international, et qu’ils pâtissent en interne d’un déficit de popularité persistant, rarement atteint dans leurs deux pays respectifs, même si les raisons en sont bien différentes.

S’agissant de l’hôte mexicain de la France, l’essentiel de cette décote de popularité tient avant tout à la gestion du dossier, certes très épineux, du trafic de drogues et de la guerre contre les cartels, déclenchée à grand bruit par son prédécesseur durant son mandat (2006-2012). Arrivé au pouvoir suprême le 1er décembre 2012, Enrique Peña Nieto, mandataire du Parti Institutionnel Révolutionnaire (PRI), était sorti vainqueur de la compétition électorale avec le Parti Action Nationale (PAN) (incarné, entre 2000 et 2012, par deux Présidents successifs, Vicente Fox, puis Felipe Calderón), et il a d’emblée remis en cause la stratégie sécuritaire imaginée, puis mise en place d’une main de fer par Felipe Calderón en 2006.

 

En 2006, la guerre est déclarée contre les cartels 

Car le Président Calderón avait fait du combat contre la drogue et les cartels la priorité de son sexennat, et y avait consacré un surcroît d’efforts et de moyens, prenant sur lui le risque politique considérable de l’échec. S’appuyant sur un ministre de l’Intérieur peu enclin au sentimentalisme, il était passé immédiatement à l’action et avait engagé une politique ultra-répressive contre les cartels de la drogue, espérant parvenir à briser par la force le crime organisé, comme était parvenu à le faire dans les années 1990 le gouvernement colombien.

L’offensive militaire contre les cartels était déclenchée dès le 13 décembre 2006 par l’envoi de 6.000 soldats au Michoacán, son Etat d’origine. Elle allait ensuite s’étendre aux six Etats mexicains frontaliers des Etats-Unis, alors les plus gravement affectés par le crime organisé. Car le chef de l’Etat avait rapidement estimé qu’il ne pouvait compter ni sur une police fédérale anorexique (6.000 hommes en 2006, effectif porté à 38.000 en 2012) ni sur des polices municipales certes nombreuses (il y en a plus de 2.000), mais peu adaptées et souvent corrompues, voire compromises avec l’adversaire, et donc peu fiables.

Mais quel est donc cet adversaire si redoutable? Il s’agit au départ de 7 grandes organisations criminelles, qui comptent au total vraisemblablement une centaine de milliers de membres actifs ou « soldats ». Elles se partagent  le territoire mexicain tout en se livrant une lutte sans merci pour le contrôle des multiples « couloirs de la drogue », notamment celui de la cocaïne, vers les Etats-Unis.

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© Report for Congress. Mexico’s Drug Cartels, octobre 2007. Letras Libres, novembre 2007 et DEA.

 

Devenues toutes-puissantes, suite au relatif effacement des cartels colombiens, partiellement démantelés au cours des années 1990, elles se disputent âprement une manne estimée entre 20 et 40 milliards US$ par an. Chacune d’entre elles est particulièrement implantée sur un territoire propre, mais, sous les coups de boutoir portés par le gouvernement central, elles ont eu tendance, d’une part à se fractionner, et d’autre part à se délocaliser, soit à l’intérieur même du Mexique, soit vers l’Amérique centrale.

Les résultats de la répression engagée à partir de 2006 ont bien été au rendez-vous : des saisies record de quantités de drogues et d’argent de la drogue ont été réalisées. Sur la durée du sexennat Calderón (2006-2012), 2.300 criminels ont été éliminés, 25 sur 37 des parrains les plus recherchés furent capturés ou neutralisés ; chaque année, plus de 80 extraditions eurent lieu vers les Etats-Unis.

Mais en retour, militaires et policiers tombaient sous les balles des cartels et payaient un lourd tribut de sang à la guerre contre la drogue. Et la mobilisation des forces armées sur un objectif de sécurité intérieure provoquait de multiples entorses et violations des droits de l’homme, sans que celles-ci puissent se substituer à un appareil policier insuffisant et à un système judiciaire défaillant et corrompu.

 

Un véritable bain de sang 

Du coup, le sexennat de Felipe Calderón se soldait par un bain de sang sans équivalent dans un pays en temps de paix : 70.000 morts au total (certaines sources décomptent plus de 100.000 victimes, si l’on y inclut les disparitions non élucidées), plus de 5.000 par an à partir de 2008, plus de 10.000 à partir de 2010. En 2012, le nouveau Président se retrouvait ainsi confronté à un problème non résolu et à 9 grands cartels au lieu de 7.

Entre temps, le Mexique comptait désormais au moins 500.000 consommateurs lourds de cocaïne;  et 2.800 policiers et 350 soldats et marins avaient payé de leur vie les opérations de sécurisation menées contre le crime organisé.

 

Le  « Plan National de Sécurité Publique » est mis en place en décembre 2012

Dès la campagne électorale de 2012, Enrique Peña Nieto avait défini une ligne nouvelle de lutte contre la drogue et la délinquance, mettant l’accent non plus tant sur l’élimination des chefs et des parrains de la drogue et le contrôle des flux de stupéfiants vers les Etats-Unis, mais plutôt sur la traque des cadres intermédiaires des cartels et sur la réduction du crime et de la violence ordinaires, ainsi que  sur leur prévention.

Il s’engageait à faire baisser drastiquement les taux de la criminalité, à en attaquer les racines socio-économiques, qui ont elles-mêmes quelque chose à voir avec la pauvreté et les inégalités sociales, lesquelles affectent autant la population prise dans son ensemble (46% des Mexicains vivent au-dessous du seuil de pauvreté) que dans sa distribution géographique (régions industrialisées et urbanisées au Nord, régions d’agriculture de subsistance au Sud).

La nouvelle stratégie, baptisée « Plan National de Sécurité Publique », était lancée solennellement par le Président Peña Nieto le 17 décembre 2012. Tout en privilégiant la coordination à tous les étages de l’action des entités en charge de la sécurité publique au Mexique, sous la tutelle du Conseil de Sécurité Publique présidé par le chef de l’Etat en personne, le Plan s’analyse comme un schéma fortement régionalisé, prenant pleinement en compte les contraintes et les besoins spécifiques de 5 grandes régions mexicaines par rapport au phénomène de l’implantation des cartels, de la criminalité et de la violence.

Sur le papier, cette stratégie est séduisante : la création d’une gendarmerie inspirée du modèle français et la réorganisation de la police fédérale, le regroupement des agences fédérales de sécurité sous le commandement unique du Ministère de l’Intérieur, le renforcement des activités de renseignement et de la protection des droits de l’homme; la réforme de l’appareil judiciaire et le passage au système accusatoire, complétés par une forte extension et amélioration qualitative du système pénitentiaire; la mise en veilleuse des attaques frontales ultra-médiatisées contre les barons des cartels pour privilégier les actions moins spectaculaires, mais plus déstabilisatrices, contre les cadres intermédiaires des groupes criminels, sont autant de mesures prometteuses à l’aube de la nouvelle législature.

Mais les faits sont têtus, et la gravité de la situation héritée du sexennat précédent ont empêché jusqu’à ce jour le Président mexicain de mener à bien ces profondes réformes structurelles, dont la plupart sont de long terme, aussi bien dans leur mise en place que dans leurs effets attendus. La gendarmerie nationale a bien été mise sur pied : créée officiellement, par décret présidentiel, le 22 août 2014, en tant que 7ème division de la police fédérale mexicaine, et bénéficiant d’une importante coopération technique de la France, elle a été dotée dans un premier temps de 5.000 hommes (sur 10.000 prévus) soigneusement sélectionnés et formés.

Mais, parallèlement, Enrique Peña Nieto a dû maintenir l’engagement de l’armée et poursuivre la lutte contre les barons des cartels, contribuant ainsi un peu plus à leur scission et à de nouvelles batailles sanglantes de pouvoir en leur sein. De nombreuses incarcérations ont eu lieu, dont celle, particulièrement spectaculaire, en février 2014, de Joaquin « El Chapo »  Guzmán, le chef redouté du cartel de Sinaloa….  qui vient juste de s’échapper de sa prison de haute sécurité El Altiplano, plongeant le Président Peña Nieto dans une rage bien compréhensible au moment même où il posait le pied sur le sol français pour y entamer sa visite d’Etat de 4 jours.

Le Président Peña Nieto peut certes s’enorgueillir de statistiques plus favorables que son prédécesseur en matière de criminalité, et d’une amorce de diminution des assassinats liés au narco-trafic.

 

Trois ans pour convaincre 

Mais le pire revers pour la nouvelle politique de sécurité mexicaine a été sans conteste, en septembre 2014, l’assassinat de 43 étudiants à Iguala, commandité par le maire de cette localité de l’Etat du Guerrero et son épouse, qui a soulevé une vague de protestations de la population mexicaine devant l’incurie manifestée par les services de l’Etat dans cette douloureuse affaire, et qui a provoqué une lourde chute de popularité du Président. Et l’armée, toujours aux avant-postes, s’est vue accusée de violations graves et répétées des droits de l’homme.

Pour autant, il est juste de rappeler que le sexennat du Président Peña Nieto n’a pas encore atteint sa première mi-temps, et que la lutte contre le crime organisé et la corruption au Mexique exige beaucoup de détermination, de courage politique,… et de temps. L’heure des bilans définitifs n’a donc pas encore sonné.

Les électeurs mexicains en sont certainement conscients, puisque le 7 juin 2015, lors des élections législatives intermédiaires, c’est encore le parti présidentiel, le PRI, qui l’a emporté, avec 30% des voix, ce qui lui permet de conserver la majorité à la chambre des députés, victoire tempérée, il est vrai, par une forte abstention (47%).

Il reste donc 3 ans et demi à Enrique Peña Nieto pour convaincre, tant sur le plan économique (le décollage économique du Mexique tarde en effet à se manifester, avec un taux de croissance du PIB à 2,1% en 2014, et une prévision de 3% pour 2015), que sur le plan de la lutte contre l’insécurité et la corruption; une période suffisamment longue pour que les premiers effets bénéfiques des réformes structurelles engagées pour juguler le crime organisé puissent commencer à se faire sentir.

Mais, au Mexique comme ailleurs, l’adhésion des citoyens aux partis traditionnels a tendance à s’éroder, comme en atteste la montée en puissance aux législatives de 2015 de candidats indépendants tels que Jaime Rodriguez « El Bronco » dans l’Etat du Nuevo León. Et la présence d’un contingent de l’armée mexicaine de 156 hommes au défilé du 14 juillet à Paris n’a pu échapper complètement à la polémique, de nombreuses ONG et associations ayant dénoncé cette participation d’une armée étrangère sérieusement entachée de suspicion de non respect des droits de l’homme.

Membre de l'IPSE (Institut Prospective & Sécurité en Europe)

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