Il vient de succéder le 1er juillet au Recteur Boubakeur de la Mosquée de Paris pour présider le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), ceci pour deux ans. Franco-marocain, Anouar Kbibech représente le Rassemblement des Musulmans de France (composante de sensibilité marocaine) dans le CFCM. Entretien à l’occasion de l’Aid el-Fitr qui marque la fin du Ramadan.
Comment s’est passé le Ramadan 2015 pour les musulmans de France ?
Le Ramadan s’est globalement bien passé, dans une grande ferveur, dans l’unité spirituelle des musulmans de France et dans un double contexte spécifique : comme cela arrive tous les trente ans, nous avons vécu Ramadan au cours des journées les plus longues de l’année avec des épisodes caniculaires qui ont mis les fidèles à l’épreuve. Nous accueillons dans la joie la fête de l’Aid el-Fitr qui marque la fin du mois de jeûne. Deuxièmement, le contexte international et national a été très lourd avec des attentats terroristes commis parfois au nom de l’Islam. Je pense notamment à ce « vendredi noir » du 26 juin où, pour la première fois sur le sol français, un compatriote a été décapité et où en Tunisie et au Koweït, des attentats ont ensanglanté des innocents.
En tant que président du CFCM, quel message souhaitez-vous délivrer aux Français ?
Un message de paix, de fraternité et de prospérité à tous les Français. Que la sérénité et la sécurité soient dans les cœurs et dans tout le pays. J’en appelle aussi à ce que nous évitions les amalgames : l’Islam est une religion de paix et de solidarité avec autrui. Je regrette que des politiciens et des intellectuels stigmatisent parfois les Français de confession musulmane en allant jusqu’à parler de « cinquième colonne » dans les banlieues et les mosquées de France. Non, l’Islam est la deuxième colonne de France pour défendre les valeurs de la République. La civilisation arabo-musulmane est engagée dans cette « guerre des civilisations contre la barbarie et le terrorisme ». Et je rappelle que les musulmans sont les premières et les plus nombreuses victimes du terrorisme.
Que pensez-vous de cet Appel lancé il y a une semaine par l’hebdo Valeurs actuelles : « Touche pas à mon église » ?
La polémique est infondée et le Recteur de la Mosquée de Paris s’en est expliqué immédiatement. A Clermont-Ferrand, des fidèles chrétiens avaient proposé d’eux-mêmes, dans un geste fraternel, d’accueillir des musulmans dans une église car il n’y avait pas de mosquée. Mais dans l’ensemble du pays, nous sommes favorables à ce que les musulmans de France se prennent en charge et financent eux-mêmes les constructions de mosquées et qu’ils respectent l’environnement architectural avec des mosquées de proximité à taille humaine.
En un mot, qu’est-ce que l’Islam de France ?
Il y a à la fois un seul Islam en tous lieux et en tous temps, qui appelle au respect des principes immuables, qui tourne autour notamment des 5 piliers de l’Islam (dont le respect du jeûne du Ramadan). Et en même temps, l’Islam prend en compte le contexte temporel et géographique dans lequel il est pratiqué. Je ne citerai que l’Imam Achafii qui a inspiré une des quatre écoles de jurisprudence de l’Islam, celle qui domine notamment au Moyen-Orient. Venu de Bagdad où il avait défini une première jurisprudence, il a, une fois installé en Egypte, reformulé certains préceptes dans une nouvelle jurisprudence. On dit de lui qu’il a comme défini un ancien et un nouveau Testament. Eh bien, en France, les musulmans de France sont appelés à définir les contours de l’Islam de France, qui tient compte du contexte de la société française, un Islam respectueux des valeurs de la République et du vivre-ensemble.
Propos recueillis par Michel Taube