Pendant plus de quinze ans, le Brésil était perçu comme un nouveau géant de l’économie mondiale. L’eldorado d’hier est devenu en l’espace de quelques mois le mauvais élève de l’Amérique latine et des pays émergents, comme le témoigne la dégradation le 9 septembre de la notation du pays par l’agence Standard and Poor’s, passée de BBB à BB+, et assortie d’une perspective négative. Dans le même temps, Petrobas, entreprise pétrolière nationale à l’origine de scandales de corruption à répétition, était dégradée de …
La cause de ce renversement, on la trouve dans la conjonction d’un ensemble de facteurs : une forte appréciation de la monnaie nationale et une primarisation de l’économie du pays, un taux de chômage à la hausse, une inflation galopante (qui a atteint plus de 9% sur un an)… en somme un cocktail qui provoque des manifestations massives de différents secteurs de la population brésilienne, particulièrement la classe moyenne urbaine des villes de São Paulo et Rio de Janeiro.
Crise politique
Au-delà de la crise économique dans laquelle le pays est en passe de rentrer, c’est avant tout la crise politique qui focalise notre attention, car depuis un mois les manifestations anti-Dilma se sont concentrées sur une revendication, l’impeachment ou la démission de la présidente. Les divers sondages parlent d’un soutien populaire de seulement 6 à 8%. Cette situation en rappelle une autre, celle vécue par Fernando Collor de Melo, président du Brésil (1990-1992) contraint à démissionner pour corruption en 1992.
Comme Colon de Melo en son temps, Dilma Rousseff fait face à des accusations de corruption: les scandales qui ont éclaté ces derniers mois (Mensalo, Petrobras, Odebrecht, etc.) ont éclaboussé l’exécutif et contribué à délégitimer – aux yeux de l’opinion publique brésilienne – le gouvernement de Rousseff. Les détracteurs politiques de la présidente du Brésil (dont les partis PMDB et PSD) demandent un jugement politique qui pourrait lui coûter son investiture. Un groupe de parlementaires, venant des différents partis, a lancé une pétition, qui circule sur internet, pour demander l’impeachment à l’encontre de Rousseff.
Nostalgie des années Lula ?
Elles semblent loin les années Lula : durant le tournant des années 2000, ce pays-continent, qui compte plus de 190 millions d’habitants, a vécu un rendez-vous heureux avec l’histoire. Le potentiel enfin réalisé d’un marché interne, une croissance annuelle à 3,5% en moyenne, dopée, depuis l’extérieur, par les coûts élevés des matières premières, et, à l’intérieur, par les vagues d’espoir et de confiance dans le changement que réveillèrent chez les Brésiliens les programmes sociaux du gouvernement Lula en faveur des plus démunis (comme le programme Bolsa famille) ont fait du Brésil le modèle économique et social à suivre de près par les investisseurs étrangers dans la région.
Durant les deux mandats du gouvernement de Luis Inácio Lula da Silva (entre 2003 et 2011) et le premier mandat de Dilma Rousseff (2011-2014), qui suit la même ligne de conduite politique, l’alliance du Parti des travailleurs, le parti du président, avec les autres forces politiques du pays – y compris à droite – a été la clé de voûte pour mener à bien un programme social-démocrate réformiste. Le Brésil faisait ainsi figure de pays marqueur du tempo économique pour ses voisins, qui le regardaient avec envie et méfiance.
Scénario catastrophe en vue ?
En Amérique latine, d’autres crises politiques récentes se sont soldées par des « coups d’état constitutionnels », qui ont entraîné le départ de deux présidents, Fernando Lugo au Paraguay (2012) et Manuel Zelaya au Honduras (2009).
Dans le cas du Brésil, les conséquences politiques sont dès à présent – et quoi qu’il advienne – très graves et le pays a déjà perdu de sa superbe : ou bien la présidente Dilma Rousseff se bat pour conserver son mandat, auquel cas sa politique continuera de se fragiliser et son gouvernement malmené par la crise tombera en panne, ou bien elle est destituée et ce sont les systèmes démocratiques de la région qui se verront à nouveau confrontés à une crise régionale comme celles auxquelles nous avons assisté avec Lugo et Zelaya.
Le géant sud-américain, promis à une émergence sans faille, est-il en passe d’ajourner le destin radieux qu’on lui pronostiquait encore il y a à peine deux ans ?