Que pensez-vous des engagements annoncés par François Hollande en début de semaine à propos des migrants ?
Pour le moment, il y a des engagements sur un chiffre que je trouve très timide car les traditions et les capacités d’accueil de la France sont bien supérieures. Je pense que le problème des réfugiés n’est pas un problème de quotas, c’est notre devoir face une tragédie humaine.
Des centaines de milliers de personnes qui décident de s’exiler pour marcher de leurs pays jusqu’à l’Europe par tous les moyens de fortune à leur disposition, c’est le résultat d’un chaos dans lequel nous portons une responsabilité, puisque la France s’est engagée dans plusieurs des opérations militaires qui ont déstabilisé (le mot est faible) cette région. Maintenant, il faut que nous fassions face à notre devoir de solidarité humaine.
Contrairement à ce que j’entends, je crois que des millions de Français y sont prêts, beaucoup de villes et de communes ont envie de s’engager dans cet effort mais il faut que l’Etat et le gouvernement mettent les moyens à disposition. Et là, le Président de la République et le gouvernement n’ont rien annoncé de concret. A-t-on augmenté les capacités des centres d’accueil des demandeurs d’asile ? Je n’ai rien entendu. A-t-on augmenté les moyens mis à la disposition des communes pour la scolarisation des enfants ? Je n’ai toujours rien entendu.
Que pensez-vous de l’attitude des 28 membres de l’Union Européenne alors que la Commission européenne propose des quotas contraignants ?
C’est une très bonne chose que l’on responsabilise l’ensemble des pays européens au devoir d’accueil. Mais convenons que la Commission européenne a beaucoup tardé tout de même.
La construction du mur en Hongrie ne s’est pas produite ces deux dernières semaines. Il y a un an que le gouvernement hongrois a annoncé la construction de ce mur et tout le monde a laissé faire. Qu’est ce qui a fait basculer la situation ? La pression des migrants, la pression des opinions publiques internationales, l’engagement de voies nouvelles comme celle du pape par exemple. Au bout d’un moment, c’est ce réveil des consciences qui a fait sauter les verrous. La Commission européenne réagit sur un mode très comptable pour le moment mais sans porter haut ce qui devrait être les valeurs de solidarité de l’Union Européenne et celles de la France particulièrement.
Par ailleurs, la Commission européenne et la France restent très discrètes sur tout un tas de drames qui perdurent dans la région. Par exemple, quand le gouvernement turc, cet été, s’est remis à bombarder les positions kurdes alors que nous savons que sur le terrain les forces kurdes, sont parmi les seules à résister à Daesh, nous avons « entendu » un grand silence de la part du gouvernement français et des autorités de l’Union Européenne. Il y a beaucoup d’ambiguïté, pour ne pas dire plus dans la position de l’Union Européenne et de la France face aux solutions politiques vers lesquelles il faut avancer pour tout le grand Moyen-Orient.
Vous critiquez souvent l’attitude de l’Allemagne dans la gouvernance de l’Union européenne et voilà que Angela Merkel a pris les décisions les plus courageuses et humaines pour accueillir les migrants. Qu’en pensez-vous ?
Comme quoi le pire n’est jamais sûr ! Je me félicite qu’un grand pays européen ait décidé d’ouvrir ses frontières. C’est la preuve à mes yeux que lorsqu’un grand pays décide sur une question majeure de l’Union européenne de faire évoluer sa position, cela fait changer la position dans l’ensemble de l’Union européenne. La France devrait en tirer des conclusions, elle qui croit (je parle du gouvernement) que la seule manière de se comporter, c’est de suivre l’Allemagne sans discuter sur toutes les questions. J’en tire la conclusion que chaque pays européen peut être utile à faire avancer des causes justes à condition de garder sa liberté de parole et sa liberté de décision. La France serait bien inspirée d’en tirer des conclusions pour son attitude en Europe.
La France des droits de l’homme, vous y croyez encore ?
Je pense qu’il y a dans le peuple français un enracinement très profond de ces valeurs et on l’a vu avec la levée citoyenne en masse après les attentats de janvier dernier. On le voit avec les citoyens et les élus locaux chez qui la mobilisation est la plus forte en faveur des migrants. En revanche, il faut bien constater que nous avons des dirigeants politiques de la droite, du Front National et du gouvernement, qui sont en total décalage avec cette France des droits humains et qui ont perdu de vue ce qui devrait être une parole digne et forte de la France.
Il y a quelques semaines encore, les uns et les autres rivalisaient pour se présenter comme le plus ferme face à l’arrivée des migrants. Tout ça est en train de voler en éclat. Lorsque je suis rentré il y a un an de la visite des camps de Kobané, j’ai témoigné pour ces réfugiés dans l’indifférence politique et médiatique. On m’opposait des fins de non-recevoir à toutes mes demandes de changements de la politique de la France et l’Union européenne. Donc, effectivement, nos dirigeants politiques ne sont pas à la hauteur de ce qu’est la France et ce que continue de porter, je crois, une majorité du peuple français.
Les sondages annoncent Marine Le Pen au deuxième tour de la prochaine présidentielle contre le vainqueur de la primaire de la droite et du centre. Que dites-vous, notamment au vote ouvrier que le Parti Communiste a capté pendant des décennies, pour éviter ce duel ?
Le scénario de l’élection présidentielle, même s’il est martelé par la majorité des médias, n’est absolument pas écrit à l’heure qu’il est. Ceci dit, je crois que la cause profonde de la progression actuelle électorale du Front National, c’est la banalisation qui s’est répandue dans toute une série de milieux dirigeants des thèmes racistes et xénophobes du Front National. Heureusement des forces comme la nôtre continuent de combattre avec courage ces thèses. Ce qui se passe parmi les peuples européens sur la question des migrants nous donne confiance pour continuer ce combat.
Par ailleurs, lorsque nous avons un gouvernement socialiste qui prétend parler au nom de la gauche mais qui, en vérité, saccage la gauche et ses idéaux (voilà qu’on nous annonce une réforme du code du travail !), évidemment cela provoque un désarroi dans une part importante du monde du travail français. Et sur ce désarroi, le Front National prospère. La seule manière d’y répondre, c’est de reconstruire ce projet politique de gauche qui mette en son cœur la question du développement humain, la question du développement social partagé, qui cesse de céder aux thèses de la concurrence capitaliste à outrance, qui retrouve le sens de l’égalité.
Nous avons la responsabilité de reconstruire un projet de gauche avec un rassemblement large, constitué d’autres partis politiques et des citoyens. Malheureusement, pour le moment, la dispersion de ces forces l’emporte sur leur volonté de travailler ensemble. Le Parti Communiste et moi-même allons prendre une part active dans ce rassemblement. Nos forces additionnées représentent la très grande majorité du peuple de gauche.
Seule la reconstruction de cet espoir peut arrêter la progression du Front National et je pense que c’est possible. Nous avons deux ans devant nous, et cela commence aussi avec les élections régionales.
Quel est le mot d’ordre de cette nouvelle édition de la Fête de l’Humanité ?
La solidarité. Dans le moment que nous vivons, cela prend une valeur toute particulière.
Solidarité politique avec toutes les forces anti austérité en Europe. Après ce que nous avons vécu en Grèce, il faut une contre-offensive des forces anti-austérité en Europe avec une toute autre ampleur que ce que nous avons connu jusqu’ici. A la Fête de l’Humanité, toutes les forces anti-austérité venues de Grèce mais aussi de toute l’Europe vont débattre ensemble dans des grands forums.
Solidarité avec les migrants : il y a aura samedi un immense concert animé par Tiken Jah Fakoli qui mettra sur scène des chanteurs assez côtés mais aussi des invités, des personnalités du monde intellectuel et de la culture qui viendront s’engager publiquement pour la solidarité avec les migrants.
Solidarité enfin entre tous les travailleurs, leurs familles, les précaires qui souffrent des mêmes politiques d’austérité et qui ont envie à la Fête de l’Humanité de se retrouver, de parler de leurs conditions de travail, de leurs conditions de lutte.
Les indices de participation sont très élevés cette année, cela veut dire qu’il y a une recherche d’espoir et la Fête de l’Humanité va contribuer à cristalliser ce symbole d’espoir.
Vous dirigez le parti communiste depuis cinq ans. Quelle est votre vision du PCF dans cinq ans et serez-vous toujours à sa tête ?
Sur mon sort personnel, je n’en sais rien. Mais nous préparons un congrès qui se tiendra au printemps 2016, qui sera marqué par un très fort renouvellement de notre parti. Depuis maintenant 10 ans, beaucoup de jeunes ont investi le Parti Communiste et je pense qu’il est temps de donner toute sa place, et jusqu’à la direction nationale, à toutes ces générations.
Ce congrès du rajeunissement correspond à une maturation d’un nouveau projet politique. Le monde a besoin d’un tournant au service du développement humain : on le voit avec la question des migrants, la situation de l’austérité en Europe, les enjeux de la COP21. La France est concernée au premier chef : malgré ses ressources, nous sommes aujourd’hui en panne à cause de l’enfermement des politiques nationales dans des logiques d’austérité, de rationnement public. Des logiques qui n’ont que pour horizons la compétitivité contre le travail. Je pense que la société française ne supporte plus cette situation.
Le Parti Communiste a envie de porter un nouveau projet pour la France, un projet solidaire, démocratique avec un nouveau type de développement industriel et écologique. Nous allons faire entendre cette voix tout à fait nouvelle même si elle puise dans nos racines et dans notre culture historique, très présente en France. Je pense que nous entrons dans ce que j’appelle un communisme de nouvelle génération et notre congrès va le montrer avec beaucoup d’éclat.
Propos recueillis par Stéphanie Petit