Florence Gladel, la grande spécialiste française des méthodes alternatives de résolution des différends (négociation raisonnée, procédure collaborative, médiation et arbitrage appliquées au droit social) explique à Opinion Internationale la révolution qui arrive en France.
Le président de la République vient d’annoncer une réforme en profondeur du Code du Travail donnant plus de place à la négociation en entreprise. Qu’en pensez-vous ?
Ce sont des propositions sans matérialité ni outil : encore une fois on dit oui au dialogue social qui est une récurrente mais on ne donne pas les outils matériels pour que les négociations ou médiations disposent d’un vrai cadre formel afin qu’elles soient efficaces dans la rapidité et dans les normes abordées. Il va y avoir un problème de traçabilité de la négociation ou de la médiation. Si on est avec des personnes qui ont envie d’avancer, tout ira bien. Si on est dans des situations de blocage, ce sera encore plus une responsabilité de l’employeur qui en a déjà beaucoup à charge. Les réformes sont bien jolies mais elles comportent de plus en plus d’obligations pour les employeurs qui sont actuellement dans une grande fragilité économique. Selon moi, les pouvoirs publics devraient s’attaquer plus à la flexibilité du travail dans sa forme et dans sa durée.
Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen ont cosigné un ouvrage dans lequel ils proposent de réduire à dix articles le Code du Travail. Qu’en pensez-vous ?
Messieurs Badinter et Lyon-Caen ont totalement zappé tout ce qui est médiation et précontentieux. Ils oublient que ce n’est pas le contentieux qui fait bouger les choses, c’est le dialogue et les solutions rapides et pragmatiques dans l’intérêt des deux parties et je ne l’ai pas vu dans l’ouvrage. Ce dernier ne s’attaque pas à l’essentiel : il faut une flexibilité du contrat de travail.
Quelle place peuvent jouer en France les modes de règlement alternatifs des conflits en entreprise dans le droit du travail ?
Ils peuvent sauver la France, sauver l’entreprise et l’emploi. Les coûts de contentieux sont énormes pour les entreprises comme pour les salariés. Lorsqu’un salarié est licencié, cela affecte 4 à 6 personnes.
Le recours aux prudhommes affecte souvent les salariés eux-mêmes. On n’en parle jamais mais, lors d’un licenciement, souvent, le salarié n’a pas la force de rebondir et se retrouve dans une catastrophe morale et financière.
L’entreprise n’est pas une assistante sociale mais il existe toujours une multitude d’options pour éviter le conflit violent.
Comment expliquez-vous qu’aux Etats-Unis les syndicats ont contribué à la mise en place de règlements des conflits par l’arbitrage et qu’en France ils y soient plutôt hostiles ?
En Amérique du Nord, il n’y avait pas de juridiction spécialisée : le conseil des Prud’hommes n’existe pas. L’arbitrage aux Etats-Unis est l’équivalent de notre conseil des Prud’hommes. Dans la mentalité nord-américaine, lorsque vous allez dans les universités, on vous apprend à négocier, on est dans un esprit de négociation. En France, nous sommes dans un esprit latin, donc une logique gagnant/perdant, là où nos voisins outre-Atlantique sont dans le gagnant – gagnant.La médiation gagnant/gagnant se base sur des documents objectifs : on sépare l’humain du problème. On arrive comme avec un problème mathématique pour trouver des solutions objectives et positives, des options qui sont favorables aux uns et aux autres. Il n’y a pas de rupture brutale et vexatoire. Malheureusement, en France, on se dit toujours qu’il faut écraser l’autre pour pouvoir y arriver.
Ceci dit, les modes alternatifs de règlement des conflits commencent à s’installer en France dans le droit social. C’est pourquoi je propose aux entreprises et aux salariés qui sont en conflit une négociation raisonnée, une méthode gouvernée par la bonne foi et le volontarisme. Mieux vaut une solution consensuelle dans un climat plus serein qu’un conflit prudhommal long et aléatoire.
Des modes originaux de gestion de ces conflits commencent à prendre en France. Par exemple, le MEDARB, qui va sortir en janvier, est un cyber dialogue social qui propose une méthode expérimentée de résolution d’un conflit en moins de trois mois avec des coûts forfaitisés.
Quel argument donneriez-vous à un salarié français pour le convaincre de s’en remettre à la médiation plutôt qu’aux Prud’hommes ?
Le Conseil des Prud’hommes, c’est un coup de poker qui dure entre deux et quatre ans minimum. Une bonne négociation ou une bonne médiation va lui permettre d’obtenir une réparation plus rapidement et d’avoir la possibilité de rebondir beaucoup plus vite. Le message est: « voyez l’avenir et ne restez pas ancré sur le passé ». Régler rapidement, de façon pragmatique et juste s’il y a vraiment un préjudice, tel est le mot d’ordre. Le droit du travail est comme le droit de la famille : un divorce qui dure est un divorce qui laisse des traces.
Propos recueillis par Stéphanie Petit