Photographe turc, membre du collectif de photojournalistes Agence Le Journal, Emin Özmen vient d’être primé par l’ International Photography Award (IPA) dans la catégorie « Guerre-Conflit » 2015. L’an dernier le photo-reporter avait reçu le prix du public dans le cadre du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre pour son travail sur les exécutions de militaires syriens par Daesh en Syrie. En 2013, le prix spécial de l’Association de la Presse turque des photojournalistes lui avait été décerné.
Lors de son passage à Paris, Opinion Internationale a rencontré Emin Özmen qui nous propose, en exclusivité, deux reportages poignants sur la « new jungle » de Calais et du lycée Jean Quarré (Paris 19ème) occupés par des migrants.
Comme le confesse Emin Özmen dans l’entretien qu’il nous a accordé, il a été choqué par l’accueil réservé par la France aux migrants réfugiés.
A la fin de cette interview, retrouvez les reportages photos d’Emin Özmen sur les migrants :
Opinion Internationale : Vous venez de recevoir le second prix dans la catégorie « Guerre – Conflit » du International Photography Award 2015 pour votre travail « Kobané, les déracinés ». Que représente ce prix pour vous ?
Emin Özmen : Il est parfois difficile de trouver des publications qui acceptent de diffuser votre travail. Ce qui peut être frustrant quand on pense à l’énergie physique et émotionnelle que l’on peut dépenser lors d’un reportage. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de couvrir un conflit. Recevoir ce prix représente donc une chance supplémentaire de montrer mon travail à une plus large audience, un reportage qui me tient d’ailleurs particulièrement à cœur.
Ce prix ne changera peut-être rien pour moi mais c’est un honneur de recevoir cette reconnaissance professionnelle, d’autant plus que j’admire nombre des membres du jury. Mais pour l’heure, le plus important est de continuer mon travail.
Que pensez-vous de l’impact et de la photo du petit Aylan échoué sur la plage ?
De nombreux photographes travaillent depuis un an sur ce sujet – la traversée des migrants depuis la Turquie vers la Grèce. Beaucoup de photos ont été prises, dont certaines très fortes. Mais cette photo d’Aylan était différente. Montrer cet enfant innocent, échoué sur la plage, semblait nécessaire pour éveiller les consciences. Comme tout le monde, cela m’inspire beaucoup de tristesse et d’injustice. Aucun enfant ne devrait avoir à traverser de telles épreuves pour finalement trouver la mort ainsi.
Selon vous, une photo peut-elle changer le monde ?
Après cette photo, il semble que les choses aient évolué dans le bon sens. Peut-être est-ce éphémère mais beaucoup de personnes semblent avoir pris conscience du problème. Si des parents prennent la lourde décision de mettre ainsi en péril la vie de leur(s) enfant(s), c’est qu’ils doivent fuir quelque chose de vraiment atroce. Pourquoi prendre de tels risques sinon ?
Une image ne peut peut-être pas changer le monde mais peut faire bouger les choses, elle peut avoir un réel impact. J’ai d’ailleurs un exemple personnel assez parlant. En 2011, je couvrais la grande sécheresse qui touchait l’Afrique de l’Est. La publication de mes photos par le journal pour lequel je travaillais alors a eu un certain écho en Turquie et a provoqué une vague d’émotion. Mon ancien journal et le Croissant Rouge ont alors décidé de lancer une campagne de dons. Ils ont finalement récolté 1,5 millions d’euros. C’était incroyable pour moi de savoir que mes photos aient pu avoir un tel impact positif. C’est pour cela que je fais ce métier. A la suite de cette campagne, je suis retourné en Somalie et j’ai vu qu’il y avait eu un réel changement. Des écoles, des routes, des hôpitaux avaient été construits, de la nourriture avait été envoyée. J’ai donc pu expérimenter le fait que oui, des photos pouvaient contribuer à changer les choses.
A l’inverse, toutes les photos prises en Syrie, que ce soit par moi ou d’autres photographes (dont certains ont perdu la vie), très dures, très fortes, ne semblent pas avoir contribué à changer les choses. Ce qui est très frustrant et injuste. C’est très dur d’être témoin de tant d’horreurs sans que cela ne semble émouvoir les grands décideurs politiques. Ce sentiment d’extrême impuissance et d’injustice est assez difficile à vivre.
Pourquoi avoir choisi de devenir photographe?
Je m’intéresse aux humains, à leur(s) histoire(s) mais également à l’Histoire d’une manière générale. Je souhaite apporter mon humble contribution à l’histoire en témoignant de ce que je vois. La photographie est pour moi le meilleur moyen pour accomplir ce dessein. La photographie est, de mon point de vue, indispensable pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. C’est également un outil indispensable pour ne pas que certains faits ne sombrent dans l’oubli. Qu’ils soient heureux ou dramatiques.
Vous êtes connu pour vos photos de guerre et de conflits. Pour quels types de photos préféreriez-vous être reconnu ?
Je ne me pose pas vraiment cette question. J’essaye simplement de témoigner de ce qu’est le monde actuel. Je définis mon travail comme étant un travail de photographie documentaire. La guerre est une réalité qui fait malheureusement partie intégrante de notre monde. Je vis dans un pays qui est frontalier avec l’Irak et la Syrie, je ressens donc la responsabilité de m’y rendre pour documenter ces conflits. Je préférerais être reconnu pour le travail plus personnel et moins tragique que je fais, mais malheureusement la guerre est partout.
« La “new jungle” de Calais ressemble à ce que j’ai pu voir en Somalie ! »
Lors de votre passage en France, ces dernières semaines, qu’est-ce que votre appareil photo a vu ?
Je me suis rendu en France pour continuer mon travail documentaire sur les réfugiés. Depuis quatre ans, plus de deux millions de réfugiés syriens sont arrivés dans mon pays, la Turquie. Ils vivent dans des camps, dans les rues, dans des maisons abandonnées. Dans une moindre mesure, j’ai pu voir la même chose en France, que ce soit à Calais, à Paris ou à la frontière franco-italienne (Vintimille).
A Calais, j’ai été choqué quand j’ai découvert la « new jungle », cela ressemblait à ce que j’avais pu voir en Somalie. J’avais certes vu de nombreuses photos de Calais avant de m’y rendre, mais découvrir ce camp m’a choqué. Je n’imaginais pas cela possible en France. J’ai parlé avec des réfugiés, certains y vivent depuis un an, avec leurs enfants. Ils risquent leurs vies tous les jours pour tenter de rejoindre l’Angleterre.
J’ai eu le même sentiment à Paris en découvrant les réfugiés vivant en plein cœur de votre capitale, dans des parcs, sous des stations de métro… Ou encore dans ce lycée abandonné. Ce n’était pas du tout la vision que je me faisais de la France. Mon appareil photo a donc malheureusement vu des choses auquel il était habitué. Ce qui a été un vrai choc pour moi.
Propos recueillis par Stéphanie Petit
Migrants à Paris (lycée Jean Quarré, Paris 19ème) : le reportage de Emin Özmen
Crédit : Emin Özmen/LeJournal
Migrants à Calais : le reportage de Emin Özmen
Crédit : Emin Özmen/LeJournal