Le rituel de l’attribution des Prix Nobel a commencé. La semaine a bien débuté avec l’attribution du Nobel de médecine à trois chercheurs dont les travaux datant de trente ans permettent de lutter aujourd’hui contre les maladies tropicales, notamment le paludisme. Comme chaque année, la semaine se terminera vendredi 9 octobre par l’attribution du plus célèbre d’entre eux, le Nobel de la paix ! Et, comme chaque année, les pronostics sont ouverts !
La Rédaction d’Opinion Internationale vous propose deux « analyses pronostics » avant le verdict de l’Académie Nobel.
Aujourd’hui : « Nous votons pour le peuple burkinabé et le Balai citoyen ! »
Merkel, Santos et les autres
Alors, chers membres de l’Académie Nobel, si vous nous entendez, daignez considérer que cette noble distinction gagnerait à aller à une ou des personnes humbles, à une ou des organisations de taille modeste qui verraient leur action décuplée par votre choix.
Certes, Angela Merkel a commis un geste historique en ouvrant les portes de l’Allemagne à des dizaines de milliers de migrants réfugiés. Si les mêmes portes se sont refermées aussi vite, la chancelière a honoré son pays, sa fonction et notre idée du politique en invoquant un devoir moral de l’Europe. Son rôle décisif, avec François Hollande, en début d’année, dans la signature des accords de Minsk, et qui a permis d’instaurer un cessez-le-feu plus ou moins respecté dans l’Est de l’Ukraine avec la Russie et ses affidées, joue également en sa faveur.
Certes, le président colombien Juan Manuel Santos et le leader des FARC Timoleon Jimenez mériteraient également d’être récompensés pour leurs efforts conjoints pour mettre un terme à une guerre civile dans laquelle est plongé le pays depuis 50 ans. Encore un petit effort, aurait-on envie de leur dire !
Certes, le Pape François est également l’un des favoris des parieurs en raison de son engagement constant contre les inégalités, le libéralisme forcené, ou plus récemment contre le réchauffement climatique. Ce pèlerin de la paix, qui réconcilierait presque des athées avec une certaine foi, mériterait les honneurs du Nobel.
Mais en ont-ils besoin ? Ces honorables personnalités n’ont pas besoin de Prix Nobel pour être saluées et reconnues internationalement. Et puis, trop souvent, leur nobélisation déçoit les années suivantes : rappelons-nous Arafat et Shimon Perez, Barack Obama !
Mieux vaut que le Nobel de la paix aille à des personnes plus modestes et qui ont besoin de reconnaissance mondiale pour avancer dans leur combat légitime.
Victimes et emblèmes de nos droits
Il y a ces personnes en danger de mort et qui incarnent, à leur corps défendant, et qui se passeraient bien de cette fonction symbolique, des causes universelles : le blogueur saoudien, Raif Badawi, condamné en novembre dernier par la cour d’appel de Riyad à 10 ans de prison et 1.000 coups de fouet, serait davantage protégé si l’Académie d’Oslo le récompensait. L’Arabie saoudite s’engagerait peut-être dans des évolutions réclamées trop discrètement par ses plus puissants soutiens.
Choix plus subtil : son avocat ! Waleed Abu Al-Khair est un éminent avocat, militant des droits de l’homme et fondateur de l’association « Monitor of Human rights in Saudi Arabia ». Lui-même est en prison depuis le 15 avril 2014 et son choix de défendre Raif Badawi ne l’a pas aidé à recouvrer sa liberté. Trop souvent oubliés, les avocats s’organisent et ont lancé une Journée mondiale contre l’avocat en danger, le 24 janvier de chaque année. Le Nobel de la paix mettrait en lumière une profession qui joue un rôle décisif dans la défense de nos libertés, comme aime à la rappeler le président de l’Union Internationale des Avocats, M. Miguel Loinaz.
Bâtisseurs de paix
Parmi les 276 personnes et organisations proposées cette année au Prix Nobel de la paix, notre préférence va clairement à des personnes dont l’action a été décisive pour changer le monde (une Malala par exemple, Nobel de la paix 2014) et qui ont besoin de reconnaissance mondiale pour avancer dans leur combat légitime.
Car, au fond, que signifie la paix ? Changer le monde, un peu, modifier l’ordre des choses, atténuer durablement les injustices et le manque de libertés. C’est cela la paix, selon nous.
En ce sens, notre préférence pourrait aller au prêtre catholique érythréen Mussie Zerai, lui-même immigré en Italie depuis l’âge de 16 ans. Surnommé le « saint patron des migrants », il est connu pour son engagement de longue date pour les droits des réfugiés qu’il aide à traverser la Méditerranée, la Manche ou le Sinaï. Mais nous sommes sûr que les autorités européennes vont l’aider. Mussie Zerai mérite bien le « Nobel européen », le Prix Sakharov décerné par le Parlement Européen.
Trois militants des droits humains engagés dans la lutte contre les violences sexuelles en République Démocratique du Congo sont parmi les potentiels futur lauréats : les religieuses Jeanne Nacatche Banyere et Jeanette Kahindo Bindu, ainsi que le docteur Denis Mukwege, distingué l’année dernière par le même prix Sakharov pour la liberté de l’esprit du Parlement européen.
Et si le prix Nobel allait à Dmitri Mouratov, à la tête du journal indépendant russe Novaïa Gazeta ? Le média est réputé pour sa liberté de ton et ses efforts pour rester fidèle à une mission d’information impartiale dans un pays où celle-ci est de plus en plus difficile à mener. L’un des derniers bastions de liberté en Russie, et donc de contre-pouvoir à l’un des hommes forts de la planète, mérite ce Nobel.
Notre Nobel de la paix va au peuple du Burkina Faso et au Balai citoyen !
Mais, au final, notre préférence va à une association, un mouvement, un état d’esprit qui méritent, selon nous, un coup de pouce décisif pour qu’ils prennent une envergure mondiale et servent encore plus efficacement la cause qu’ils défendent.
Pour Opinion Internationale, le comité Nobel devrait jeter son dévolu sur le collectif burkinabé du « Balai citoyen ». Cofondée par le rappeur engagé contre la corruption Serge Bambara et par le chanteur de reggae Sams’K le Jah, l’association pousse les jeunes à s’engager de manière non violente et a joué un rôle déterminant lors des manifestations qui ont abouti à la démission forcée et au départ du président Blaise Compaoré fin 2014 qui s’accrochait à un pouvoir qu’il croyait éternel.
Que des artistes s’engagent dans un combat politique, qu’ils soulèvent la jeunesse d’un pays pour faire plier un dictateur, quel hymne à la paix, quel coup de pouce décisif pour changer le monde !
Derrière les artistes du balai citoyen, au fond, c’est tout un peuple qui mérite le Nobel de la paix : le peuple burkinabé est le premier de la période récente qui aura su contraindre un chef d’Etat à partir alors que ce dernier s’accrochait à un pouvoir qu’il croyait éternel. Que les Sassou-Nguesso (qui vient d’annoncer hier soir la convocation d’un référendum forcé le 25 octobre pour rempiler pour un énième mandat, après déjà 30 ans de pouvoir) et autres Biya et Castro d’Afrique et des Amériques en prennent de la graine !
La démocratie et la liberté, terreaux de la paix véritable, finiront toujours par vaincre, dans le sang et les larmes parfois, mais toujours au final !
Le Nobel de la paix 2015 est décerné à…
Réponse vendredi 9 octobre.
Demain : « 2015 : un Nobel vert évidemment ! »