Il y a trente-cinq ans, le 22 septembre 1980, éclatait la guerre Irak – Iran, qui allait durer jusqu’au 20 août 1988. Trente-cinq ans après, reportage-photo de Kâveh Golestân, photoreporter iranien mort pendant le conflit, et témoignage de Chakameh Bozorgmehr, une franco-iranienne qui a grandi sous les bombes irakiennes à Téhéran et qui se souvient…
Les photos de Kâveh Golestân
Kâveh Golestân est un photo-reporter iranien qui a couvert les révolutions et les guerres qui ont agité l’Iran et le Moyen-Orient durant les dernières décennies. Le 2 avril 2003, il fut tué par l’explosion d’une mine à Kifri, au nord de l’Iraq.
Il n’avait pas peur de l’amertume des vérités. Témoin sincère et engagé, il était l’image de la protestation et la voix de la paix. Sur sa pierre tombale, il est écrit : « Il a été tué pour enregistrer la vérité. »
Grandir dans un pays en guerre, le témoignage de Chakameh Bozorgmehr
Un an après la révolution islamique, en 1980, la guerre entre l’Iran et l’Iraq éclate. Les Irakiens attaquaient mon pays, le sud de l’Iran. Pour un enfant, la guerre est une chose très étrange. La guerre a duré huit ans.
J’avais un an lorsqu’a éclaté la guerre. Mes jeunes années ont été des années de guerre. Nous ne savions pas quand il y aurait des embarquements ou des missiles. Au lycée, il y avait un endroit pour cacher les enfants. On a couru avec nos professeurs pour aller s’y réfugier. On a couru mais ce n’était pas un jeu.
La guerre a touché la capitale, elle a même été bombardée ! Les missiles arrivaient à Téhéran ! Tout le monde partait vers le nord du pays, vers les campagnes plus paisibles. Tous ont fui, mais pas nous. Mon père s’y opposait, il disait : « Non, on reste ici à Téhéran, dans notre maison. On doit être prêts à mourir. Cela doit arriver ici ou là-bas. Donc, il faut demeurer chez nous ! On reste dans la maison où l’on vit ». Aujourd’hui je comprends pourquoi il tenait ces propos. Pour combien de temps peut-on quitter sa maison, son quotidien ?
Je me souviens de tous ces moments : la première bombe à Téhéran a atterri dans un grand hôpital à côté la maison d’un de mes oncles. Mais ils ne sont pas morts. Je ne sais pas comment c’est possible, mais ils ont survécu, lui et sa famille. Ils ont vraiment tout perdu. Il ne restait rien de leur maison !
J’avais toujours peur, je m’attendais à la même chose. Toutes les nuits, nous étions pourtant dans une grande maison, mais on dormait tous ensemble dans une pièce. Ma mère mettait des affaires à côté de nous, parce qu’elle avait peur de ce qui pouvait nous arriver. Quand les missiles atteignaient Téhéran, la sirène retentissait. Il y avait un type d’alarme à deux couleurs : rouge pour annoncer les missiles, blanc pour le calme. C’est comme la sirène des pompiers en France le premier mercredi du mois. C’est une sirène, une alarme qui passe à la radio, à la télévision, partout dans la ville. Rouge signifie qu’un bombardement va se dérouler : donc il faut sortir, à l’extérieur, se cacher en sous-sol des bâtiments. Après dix ou quinze minutes, quand c’est passé, l’alarme blanche retentit : cela veut dire que c’est fini, les gens peuvent sortir. Voilà trente ans que la guerre est finie mais même aujourd’hui, à Paris, chaque premier mercredi du mois, quand j’entends ce son strident, je me souviens toujours de la guerre et j’ai peur. Je me remémore ce qui s’est passé, les lumières vacillantes, les fenêtres cassées, les bâtiments détruits.
Le guide suprême de l’Iran a annoncé que le pays n’avait pas assez de soldats dans l’armée : à la suite du départ du Chah, les désertions dans l’armée avaient été nombreuses. Khomeini a donc diffusé un message à la télévision et à la radio dans le but de recruter de nouveaux soldats pour protéger les frontières. C’est vrai que nombre de combattants n’étaient pas des soldats : même des jeunes de seize ou dix-sept ans se sont engagés pour protéger les frontières. Mon oncle qui était le seul garçon de la famille, est parti comme les autres, pour protéger l’Iran, sa maison, sa famille, sa terre, son pays.
L’Irak de Saddam Hussein, elle, a utilisé le gaz chimique durant cette guerre. On peut encore trouver même aujourd’hui beaucoup de soldats de l’époque qui souffrent de maladies inconnues, à cause des missiles chimiques. Notre génération est celle de la guerre, des combats. On a grandi, petit à petit avec les images de la guerre, des maisons détruites et des ruines.
La guerre, ce n’est pas beau. Oui, un enfant peut s’habituer aux bombardements, à la guerre. La guerre n’est pas une chose simple, surtout quand on est petit. On ne connaît pas la guerre, on ne connaît pas la politique, on ne connaît rien ! Et on sait seulement qu’il y a quelque chose de dangereux qui est en train d’arriver. Je me rappelle comme ma mère avait peur. Non, ce n’est pas un jeu, ce n’est pas un jeu.
On a tendance à oublier ce qu’il s’est passé entre l’Iran et l’Irak. A l’époque, l’Europe, l’Occident, tous les pays, ont protégé l’Irak de Saddam Hussein, et ont laissé l’Iran seul. Ça c’est vrai ! Aujourd’hui, tout le monde parle d’humanitaire, de ce qui se passe en Afghanistan, en Irak, en Syrie etc. Pour l’Iran aussi, il s’est produit la même chose, mais personne n’y a fait attention. Qu’est-ce qui s’est passé en Iran ? Combien de personnes sont mortes ? Ont-ils utilisé des bombes chimiques ?
Nous sommes la génération de la guerre. Peut-être est-ce pour cela que nous sommes courageux ? On a vécu énormément de choses. La révolution, la guerre, et puis l’immigration pour la plupart d’entre nous. Nous sommes des enfants de la révolution et de la guerre.
Chakameh Bozorgmehr