Opinion Amériques Latines
12H20 - mardi 13 octobre 2015

Argentine : la démission d’un juge de la Cour Suprême sur fond de campagne présidentielle

 

Le 15 septembre, la Cour Suprême d’Argentine annonçait le départ d’un de ses membres historiques : le juge Carlos Fayt. Un an après le départ de son ancien collègue Eugenio Raul Zaffaroni il quittera à son tour le 11 décembre cette institution qui ne compte aujourd’hui plus que trois membres sur les sept censés la composer. Une annonce survenue au beau milieu d’une campagne présidentielle où la justice occupe une place de premier plan. Décryptage avec Edgardo Mario Costa, Professeur de Droit Public à l’Université de Buenos Aires (UBA).

 

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Cour suprême argentine – Crédit : Rodolfo Palau / Flickr CC

 

 

Au cœur de la campagne

Durant ces quinze derniers jours, la campagne pour les élections présidentielles prévues le 25 octobre prochain a été agitée par les affaires judiciaires touchant certains candidats à la présidentielle et les accusations de fraude électorale lors des élections locales dans la Province de Tucuman. La démission du juge Fayt, doyen historique et controversé du Tribunal de la Cour Suprême, a résonné en Argentine comme une preuve supplémentaire du rôle politique crucial de la justice, à un mois de l’échéance électorale. S’il n’en fait pas mention dans sa lettre adressée à la Présidente Cristina Fernandez de Kirchner, l’opinion publique argentine est au fait des nombreux affrontements qui opposèrent le gouvernement en place et le juge, dans les dernières années de son mandat. Certains leaders du parti justicialiste – parti actuellement au pouvoir – et la Présidente elle-même avaient entre autre violemment critiqué le juge pour son âge avancé au point de se prononcer à la Chambre des Députés en faveur d’un test d’analyse médical à lui imposer. Celui-ci était pourtant resté en fonction après avoir reçu le soutien de ses pairs. Ils avaient à l’unanimité, jugé que la réforme de 1994 fixant la limite de départ à la retraite des juges à 75 ans ne concernait pas Carlos Fayt nommé par le premier gouvernement démocratique d’Alfonsin après la dictature en 1983. Pour Edgardo Mario Costa, c’est justement parce que chez de nombreux Argentins ce juge vétéran fait figure de personnage tutélaire de la démocratie argentine que la nouvelle de son départ a un écho tout particulier.

 

La fin du combat

« Fayt no more » titrait ironiquement le journal Pagina 12 à l’annonce de la démission du juge. En pleine campagne pour la succession à la Présidence de la Nation s’achève une lutte caractéristique du second mandat de Cristina Fernandez de Kirchner marqué par des oppositions récurrentes à l’institution judiciaire. Ces affrontements avec la justice sont d’ailleurs loin d’être tous achevés, à l’image du « Cas Nisman » du nom du procureur retrouvé mort le 18 janvier dernier alors qu’il s’apprêtait à remettre un rapport accusant la présidente d’une éventuelle complicité avec la République islamique d’Iran, dont certains ressortissants seraient responsables de l’attentat contre l’association juive AMIA en 1994 qui causa la mort de 84 personnes. A un degré moindre, il existait bien quelques rivalités entre le juge Fayt et Cristina Kirchner que le Professeur Costa explique par la pratique du pouvoir de la présidente, « ne jouant pas toujours le jeu de la République, dans le respect des règles du contre-pouvoir induites par la fonction de la Cour Suprême ».

 

Une institution convoitée

Malgré la justification officielle de Carlos Fayt sur le choix de sa date de départ comme un hommage à l’entrée en fonction d’Alfonsin le 11 décembre 1983, on ne peut s’empêcher d’y voir là une manœuvre politique de la part du juge. En décidant de quitter l’institution le lendemain de l’investiture du nouveau gouvernement – le 11 décembre prochain – Fayt prive volontairement le pouvoir en place de la possibilité de nommer son remplaçant. Même s’ils le souhaitaient, les soutiens kirchnéristes peineraient à s’allier avec l’opposition qui refuse toute négociation sur ce thème devenu l’un des enjeux de l’élection. Ces derniers jours, plusieurs candidats se sont positionnés sur la question et ont exposé leurs propositions quant à la composition de la Cour Suprême, aujourd’hui atrophiée de quatre membres. Les regards se tournent vers cette institution qui, depuis le gouvernement du général Perón en 1946, a systématiquement été modifiée par les chefs d’Etat successifs. Une fois encore, le prochain dirigeant aurait la possibilité de désigner les prochains membres de la Cour Suprême d’autant que le Congrès (Parlement argentin) qui valide les noms proposés, pourrait bien voir sa majorité renversée à l’issue des élections législatives et sénatoriales se déroulant en même temps que les présidentielles, cette année.