Vous avez été chargée par le président de la République de proposer une Déclaration des droits de l’humanité en vue de la COP 21. Quelle est l’originalité de cette déclaration par rapport à l’histoire des déclarations des droits humains ?
Cela peut paraître présomptueux de proposer un texte de cette nature. Il a été élaboré avec un groupe de travail que j’ai eu l’honneur de présider avec des professeurs de droit et des juristes du monde entier pour avoir une vision d’ensemble. Son originalité est d’être une suite nécessaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, sans pour autant rien lui enlever car nous voyons malheureusement chaque jour à quel point celle-ci demeure toujours indispensable. Le but, c’est de donner à des générations la possibilité de se prévaloir de ces droits et de ces devoirs.
Notre projet de Déclaration signe la nécessité de passer à l’étape de la reconnaissance des droits et des devoirs collectifs : un droit ou un devoir individuel à la lutte contre le changement climatique n’a pas beaucoup de sens. Certes, chacun a son action à mener dans sa petite sphère de responsabilité. Mais c’est l’humanité tout entière, ensemble, qui est en jeu : il faut réfléchir à la responsabilité d’une génération par rapport à une autre et à l’interdépendance de l’homme avec son milieu, voilà l’originalité de cette déclaration.
Votre Déclaration rencontre-t-elle des réticences ?
Oui, il y en a quelques-unes et c’est compréhensible. Des ONG de défense des droits de l’homme se demandent s’il n’y a pas opposition entre droits individuels et collectifs, mais il n’y a aucune opposition entre les deux. On se demande si les droits et devoirs collectifs n’entraînent pas une régression des droits individuels. Mais comment vont s’exercer ces droits individuels dans monde où il fait 4 ou 5 degrés de plus ? Il semble compromis qu’un individu isolé puisse prétendre à l’exercice de ses droits face à des enjeux comme le changement climatique ou la disparition des espèces. Pour moi, cette Déclaration des droits de l’humanité est donc un complément, une suite logique à la Déclaration des droits de l’Homme.
Cette déclaration relève plus de la pétition de principe alors que l’humanité attend de la COP21 un texte contraignant et concret. N’êtes-vous pas à contre-courant des attentes de l’opinion internationale ?
Pas du tout. D’abord, la question est de lancer et non pas d’adopter ce nouveau texte de déclaration à Paris en décembre : il ne s’agit que d’un point de départ, il y aura encore toute une procédure à suivre à l’ONU. Et puis personne n’oserait dire que la Déclaration des droits de l’homme n’est pas importante, même si elle n’est pas contraignante : j’espère qu’il en ira de même de la nôtre. Enfin, les déclarations sont très souvent suivies de conventions, comme cela a été le cas pour les droits de l’enfant. Il s’agit donc d’une première étape extrêmement importante vers une convention qui, j’en suis sûre, émergera au sein des Nations unies.
Droits de l’homme, environnement, même combat
Autre point de la déclaration : vous reliez les enjeux environnementaux aux enjeux de protection des droits de l’homme. Mais pour beaucoup d’acteurs, cela ne va pas forcément de soi… Selon vous, protéger les droits humains, c’est le même combat que lutter contre le réchauffement climatique ?
Dans une large mesure, oui : il s’agit toujours de défendre l’humanité dans une optique humaniste. Après, on peut bien sûr avoir différentes interprétations du problème. Mais le problème climatique pose de plus en plus directement le problème des droits de l’homme, et vice versa : la question des migrations se situe souvent au carrefour entre droits fondamentaux et réchauffement climatique.
On ne peut donc être membre du Front national et défendre efficacement la lutte contre le réchauffement climatique ?
Je pense que c’est difficile, il y a une option philosophique autour de l’humanisme qui est indispensable. Autant je peux comprendre qu’un certain nombre de concitoyens, dans des situations très difficiles, ayant perdu tout espoir dans la vie politique, votent pour le Front national, autant les thèses de ce parti me paraissent incompatibles avec les valeurs humanistes que nous défendons. Ce racisme, cet antisémitisme, cette peur de l’autre qui demeurent sous-jacents à l’idéologie de ce parti, de même que sa fixation sur le passé… toutes ces idées empêchent l’appréhension des enjeux environnementaux qui impliquent de réfléchir à ce qui relie les humains et non à ce qui les sépare.
Certes, les déracinés d’aujourd’hui sont des malheureux de demain et des terroristes potentiels. Il n’en demeure pas moins que cette idée simple que nous appartenons tous à la même espèce Sapiens n’est pas compatible avec des thèses d’exclusion de l’autre. Il en va de même pour la négation du fait que les défis d’aujourd’hui nous concernent tous, quelle que soit notre orientation politique, notre couleur, ou notre religion.
Vous appelez les citoyens à signer cette Déclaration sur le site www.droitshumanite.fr…
J’ai une très grande confiance dans la capacité de mobilisation des sociétés civiles, qui peuvent pousser les Etats plus loin dans leurs engagements. J’essaye en ce moment de mobiliser le plus de citoyens possible dans le monde : par exemple, les 40 millions de scouts acceptent de devenir ambassadeurs de cette Déclaration : les enfants sont la première génération future concernée par ce qui nous arrive, et ce sont en outre de formidables messagers. De même, les autorités ecclésiastiques, les ONG du développement et de l’environnement, des droits humains, les milieux économiques et sociaux sont tous des acteurs extrêmement importants susceptibles de se mobiliser en faveur d’une Déclaration des droits de l’humanité.
Espérez-vous qu’il sera fait mention à cette Déclaration dans l’accord final de la COP21 ?
Ce serait bien !
Les vrais enjeux de la COP21
En tant qu’avocate de l’environnement, qu’attendez-vous concrètement de la COP21 ?
L’avocate que je suis se pose beaucoup de questions sur les enjeux juridiques la COP21 : nos engagements climatiques sont extrêmement faibles de ce point de vue-là. Le Conseil d’Etat a pu juger qu’il s’agissait d’objectifs et non d’obligations. Il n’y a aucun caractère contraignant en l’état actuel, le droit est très faible aujourd’hui en la matière. Des engagements contraignants devraient être évalués, contrôlés et sanctionnés car ce n’est pas parce qu’un Etat dit « je vais faire cela » qu’il va vraiment le faire…
Les engagements concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été tenus ?
Je crois que l’Europe s’est globalement bien comportée, même si malheureusement c’est aussi la crise économique qui y a un peu contribué. Je n’en dirais pas autant du Canada, de l’Australie ou du Japon. Le Canada avait pris à Kyoto l’engagement de réduire significativement ses émissions de gaz à effet de serre. Résultat, ceux-ci ont augmenté de 25%…. Le changement de premier ministre au Canada est, de ce point de vue, une très bonne nouvelle. J’ai comme tout un chacun certaines réserves, certains doutes, mais en même temps je suis très optimiste par rapport aux engagements que je vois dans le monde économique et financier : c’est très long mais cela commence à venir.
Et quelles sont les attentes de la femme politique par rapport à la COP21 ?
Je souhaite qu’on ne puisse pas assimiler la Conférence de Paris aux COP précédentes. Pour avoir suivi 5 COP, j’ai toujours eu le sentiment que chaque COP n’amenait que le strict nécessaire pour qu’il puisse y en avoir une nouvelle. La diplomatie française, c’est incontestable, s’est donnée beaucoup de mal pour la COP21. Ces efforts seront-ils suffisants ?