Rencontre avec Arnaud Desplechin à l’occasion de sa venue au Arnaud Desplechin, sur le bord de mer de Mar del Plata, dans le cadre du festival. Crédits : Festival Internacional de Cine de Mar del Plata.[/caption]
Arnaud Desplechin, vous présentez à Mar del Plata votre nouveau film Trois souvenirs de ma jeunesse qui, après avoir ouvert la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, ouvrira cette fois le Festival International de Cinéma de Mar del Plata. Pourquoi était-ce important pour vous d’être ici ? Je ne suis pas un grand voyageur, voire même d’une nature plutôt casanière car pour mon travail j’ai besoin de concentration. Pourtant, je suis attentif au cinéma sud-américain qui m’intéresse beaucoup. Quand j’ai reçu l’invitation de Mar del Plata j’étais très honoré d’apprendre que mon film ferait l’ouverture du festival. Parmi tous les pays d’Amérique latine j’ai toujours pensé à l’Argentine pour mon premier voyage sur le continent. Cela m’importait de rencontrer le public argentin d’une part, mais aussi de me rendre dans ce pays où le cinéma y est le plus vivant, selon moi. Est-ce qu’ici vous vous sentez ambassadeur du cinéma français ? Non, car ce qui fait justement la richesse du cinéma français c’est sa grande variété, tout comme le cinéma argentin d’ailleurs. Il y a beaucoup de cinémas français comme il y a beaucoup de cinémas argentins. Parmi la pluralité des voix qui s’expriment, moi je n’en suis qu’une, minoritaire, que je souhaitais faire entendre ici. Ceci dit c’est vrai que vus d’un autre pays que la France mes films paraissent très « français », alors que moi qui les regarde depuis la France je ne leur trouve pas de nationalité particulière. C’est un paradoxe dont je me suis rendu compte lors de mes quelques voyages à l’étranger. Les thèmes de l’identité et de la quête personnelle qui traversent toute votre filmographie, se conjuguent dans vos dernières créations avec ceux du déracinement, de la nationalité, du voyage. Peut-on y déceler chez vous une volonté de découvrir de nouveaux horizons ? Ce n’est pas une volonté consciente, cela vient spontanément. En tout cas mon idée n’est pas de faire un film « international » – ce nouveau genre apparu en France dont Olivier Assayas est sans doute l’un des tenants les plus aboutis – dans lequel les personnages passent d’un pays à l’autre, parlent toutes les langues… ça je ne saurai pas le faire. Ce qui m’a intéressé dans Jimmy P., dans Esther Kahn ou encore comme ici dans les Trois souvenirs ma jeunesse, c’est, plus que le langage ou le décor, de traiter le personnage déplacé. Un européen (Esther Kahn), un amérindien (Jimmy P.) qui n’appartiennent pas au paysage dans lequel ils se meuvent. Outre le voyage, Trois souvenirs de ma jeunesse évoque, comme son titre le laisse présager, votre adolescence. Pourquoi avoir choisi de regarder en arrière ? Etait-ce un passage obligé dans votre trajectoire personnelle, dans votre carrière d’auteur ? C’était un défi d’auteur. Quand j’ai commencé, j’ai écrit mes premiers films avec des personnages qui avaient au moins trente ans et des problèmes d’adultes, je faisais déjà un cinéma de vieux et ça m’allait très bien. Celui-ci en revanche se présente davantage comme un premier film. Depuis dix ans un désir me tarabuste, devenu de plus en plus urgent, de composer des personnages de vingt ans et de travailler avec de jeunes acteurs. Serai-je capable de parler, d’échanger artistiquement avec quelqu’un de beaucoup plus jeune que moi ? Cette personne pourra-t-elle à son tour se sentir libre avec mes répliques souvent difficiles à dire, pourra-t-elle se les approprier ? Je pensais que pour être un bon écrivain il fallait que des gens de quatorze ans puissent parler d’eux-mêmes avec mes répliques. Avant Trois souvenirs de ma jeunesse, un personnage jeune, ça me terrifiait. Je sais maintenant que je n’ai plus à avoir peur de cela. Ce n’est pas un savoir orgueilleux que j’en tire, c’est un savoir que ces acteurs m’ont offert. Ils m’ont montré à travers leurs prestations que le dialogue avait été possible. Qu’ont apporté ces jeunes acteurs (Quentin Dolmaire, Lou Roy-Lecollinet) à votre cinéma ? Comment celui-ci s’en est-il nourri ? Je pense qu’ils ont apporté une forme d’arrogance douce qui a donné une vivacité au film. Alors que le film est, dans sa globalité, terriblement mélancolique, eux, dans leurs singularités, lui apportent une vigueur. Ce qui est très touchant, avec les acteurs principaux comme avec les autres jeunes jamais parus à l’écran, c’est qu’ils ne représentent rien d’autre qu’eux-mêmes. Pas même une génération. Ils sont tous d’origines très différentes, ne se ressemblent en rien, ils sont bizarres, singuliers. Ce qui m’a vraiment nourri c’est ce don fait à la caméra, face à laquelle ils ne portent pas le drapeau d’une génération, juste le drapeau de soi-même. Pour revenir à votre actualité de l’autre côté de l’Atlantique, vous vous présentez depuis le mois de septembre, au théâtre pour la première fois dans la mise en scène de « Père » de Strindberg. Que tirez-vous de cette expérience ? Etait-ce encore un autre défi de diriger des comédiens de théâtre cette fois-ci ? C’est une expérience passionnante et qui est très importante pour moi. La relation aux acteurs a une couleur tout autre que dans le cinéma, à cause des répétitions. Le produit n’est jamais fini et même maintenant que le spectacle a trouvé sa forme, il y a toujours à améliorer. Au départ, je ne me suis pas présenté aux acteurs en me disant « metteur en scène de théâtre », je ne le suis pas. Tout ce que je sais, je le dois au cinéma. J’ai commencé le cinéma à 17 ans et je n’ai pas d’autres vies que le cinéma. Donc, ce que je peux leur proposer lorsque j’arrive là-bas chez eux, dans cet autre monde qu’est le théâtre, ce sont des outils que je me suis inventés au fur et à mesure des films, des expériences de technicien, de réalisateur puis de scénariste. J’ai cherché à mettre à profit ces instruments sans pour autant les plaquer sur une scène de théâtre, en cherchant à explorer, avec les comédiens, cette question qui m’a toujours fascinée des rapports entre la scène et l’écran. Cette expérience m’a permis d’éclairer le mystère entre le cinéma et le théâtre mais c’est surtout de le vivre qui a été très puissant. Vous avez l’habitude de travailler une matière très autobiographique, adapter un autre auteur a-t-il constitué un obstacle ? Strindberg est un auteur qui m’a accompagné toute ma vie et tout au long de mon processus de création alors il fait presque partie de mon autobiographie. J’ai lu cette pièce en particulier assez jeune et globalement, toute son œuvre m’est familière. A chaque film, vient un moment dans l’écriture du scénario où je n’y arrive plus, je suis désespéré… c’est à ce moment-là que je reprends Ibsen, Strindberg, et que je me demande « bon, comment ils faisaient, eux, déjà ? » et je replonge dans leurs pièces. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai souhaité faire mes premiers pas au théâtre dans une pièce avec laquelle j’ai une très grande familiarité. Même si les acteurs du Français sont bien plus savants que moi, ils sont brillants, moi j’ai tenté de leur transmettre mon savoir autobiographique autour de ces pièces, acquis par l’usage que j’en ai eu dans mes films et dans ma vie. Propos recueillis par Justine Perez