Opinion Amériques Latines
12H24 - mardi 10 novembre 2015

Scioli, l’enfant non-désiré de Cristina

 

Les deux amis d’hier se retrouvent aujourd’hui dans l’arène d’une lutte acharnée pour la présidence de l’Argentine. Depuis la surprise du dimanche 25 octobre – premier tour des élections – où Mauricio Macri réussit son pari de mettre en ballotage Daniel Scioli, la compétition s’intensifie. Le ballotage, Daniel Scioli, candidat du Front Pour la Victoire aux élections présidentielles. Crédits photo : Sutherh Osperyh / Flickr CC Daniel Scioli, candidat du Front Pour la Victoire aux élections présidentielles. Crédits photo : Sutherh Osperyh / Flickr CC[/caption]

 

Daniel Scioli est arrivé presque par hasard dans la course à la présidentielle. Malgré ses tentatives de modifier la Constitution, Cristina Fernandez de Kirchner doit impérativement laisser sa place à la fin de son second mandat. Dans ce contexte, elle a bien du désigner celui qui représentera le Front Pour la Victoire aux élections de 2015… à contre-cœur. Du fait d’un pouvoir extrêmement personnalisé autour de sa personne, l’actuelle présidente n’avait pas suffisamment assuré ses arrières en se trouvant un successeur crédible au sein de sa formation politique. Elle a fini par appeler Daniel Scioli, une figure politique peu populaire, comme en témoigne le faible pourcentage avec lequel il arrache, le 25 octobre dernier, la première place (36,86%), à 16 points du score de « Cristina » en 2011, lors de sa réélection.

Le candidat est peu soutenu, jusque dans son propre camp. La composante kirchnériste du Front Pour la Victoire ne se reconnait pas en celui qui incarnerait l’autre tendance du péronisme. Les kirchnéristes sont en effet attachés au péronisme historique, celui du chef d’Etat Juan Domingo Peron arrivé au pouvoir en 1946 qui marqua profondément l’Histoire de l’Argentine pour les grandes avancées sociales dont il fut l’instigateur. Daniel Scioli, lui, est associé à la figure de Carlos Menem, président de l’Argentine entre 1989 et 1999 qui bien que se réclamant lui-même du péronisme mit en place un néolibéralisme sauvage dont les conséquences ravageuses ont notamment précipité le pays dans la débâcle de 2001. L’ancien président honni est un proche de Daniel Scioli, à qui il a fait faire ses premiers pas en politique. Il l’incite, en 1997, à se présenter au poste de député, sous la bannière du Parti Justicialiste. Alors célèbre pour son titre de vice-champion du monde de jet ski, Daniel Scioli débute tardivement sa carrière politique à l’âge de 40 ans grâce à l’appui de Carlos Menem. Les deux hommes partagent le goût de l’entreprise et feront un long chemin ensemble. Scioli occupera plusieurs postes sous son gouvernement et ne reniera jamais son affection pour le chef d’état le plus détesté des argentins, depuis le retour à la démocratie.

Il sera par la suite nommé vice-président par Néstor Kirchner qui l’invite en 2003 à rejoindre son gouvernement dans un souci de rassemblement, à un moment de véritable crise politique. Son séjour avec le président charismatique ne suffit pas à effacer totalement l’image du poulain de Menem qui lui colle à la peau, encore aujourd’hui. Il s’agit néanmoins d’une rencontre décisive dans l’éducation politique de Daniel Scioli qui en gardera le sens de la négociation et du compromis. Cette qualité humaine ajoutée aux compétences de stratège acquises dans sa pratique régulière du jeu d’échec, lui permit de construire son avancée. A la fin de ses services auprès de Néstor Kirchner en 2007 il accède à l’une des fonctions politiques les plus convoitées : la gouvernance de la Province de Buenos Aires.

Désormais lancé dans la course à la présidentielle, l’endurance de ce sportif invétéré – jamais affaiblie, même après son grave accident de jet ski en 1989 qui lui ôta le bras droit – est aujourd’hui mise à l’épreuve.

Outre son tempérament de vainqueur et son bilan personnel, c’est avant tout le besoin de paix sociale des argentins qui pourrait faire pencher la balance en sa faveur, le 22 novembre. Malgré l’aspiration manifeste des citoyens à un changement, la crainte d’une alternance basculant de nouveau le pays dans des politiques néolibérales en grande partie responsables de la débâcle des années 2000, pourrait bien prendre le dessus. Plus que son équation personnelle, son atout principal réside dans la popularité de la Présidente sortante, qui lui assure la plupart de sa base électorale. Un renfort pourtant en passe de s’étioler à mesure que l’écart s’amoindrit avec son concurrent direct, Mauricio Macri. Surtout, les soutiens inconditionnels à la présidente ne feront pas le poids face au nombre d’électeurs indécis qu’il lui faudra convaincre. Le refus de Daniel Scioli de participer au premier débat entre les candidats à la présidence avait été pris pour de l’arrogance ou de la lâcheté, sa prestation lors du second débat de l’entre-deux tours – à suivre en direct ce dimanche 15 novembre sur le site d’Opinion Internationale – est donc particulièrement attendue.