Disparitions, meurtres, violences, emprisonnement, censure… la liste des dangers auxquels nombre de cyber-journalistes sont aujourd’hui exposés est longue en Russie. Tour d’horizon des desseins peu libéraux de Poutine.
Si l’Europe est en général bien classée pour ce qui est de la liberté d’expression et du cyber-journalisme, c’est à sa frontière orientale que les choses se compliquent. La Biélorussie, dernière dictature européenne, et un peu plus loin la Russie, bien connue pour ses pratiques répressives, ont fait d’internet un champs de bataille qu’il est devenu presque aussi dangereux d’investir que le journalisme papier ou les médias audiovisuels.
Russie : la censure dans la loi, l’instauration d’un climat de méfiance
Alors que Vladimir Poutine a appuyé le 23 mai dernier une proposition de loi visant à rendre plus facile l’interdiction des organisations non-gouvernementales (ONG) étrangères et la persécution des personnes travaillant pour celles-ci, c’est progressivement une hostilité à l’apparence idéologique et aux paranoïas conspirationnistes qui se met en place vis-à-vis de l’Occident.
Fondamentalement opposé à un occidentalisme influent, Poutine a toujours condamné les acteurs étrangers mais aussi locaux, y compris sur internet, qui s’opposent à sa politique répressive et hostile à la pensée étrangère. Ce parti pris se traduit par l’appui de plusieurs lois au cours de la Présidence. En 2012, une loi a été votée à l’encontre des « agents étrangers » à définir, confirmant le climat de rejet face aux valeurs venues de l’Union Européenne et des États-Unis. En juillet 2013, la Russie a voté une loi qui oblige les sites comptant plus de 3000 lecteurs à s’enregistrer auprès de l’agence de supervision des communications et des médias. A partir de 2016, les internautes russes devront également communiquer leurs données personnelles, qui seront stockées pour l’utilisation de tous les services internet. Mais les géants internationaux du web rendent difficile l’application de ces règles, en raison de leur taille et de leurs propres normes légales. Le 25 mars dernier, la Russie a donc mis en garde Google, Facebook et Twitter de respecter les règles internes en vigueur, faute de quoi ces entreprises subiraient des sanctions et se verraient interdites d’usage dans le pays.
Dans le climat de méfiance instauré par Poutine, qui a par ailleurs appuyé l’hypothèse qu’internet serait un projet initié par la CIA, il est peu étonnant de voir que la moitié des Russes se prononcent pour une censure d’internet et se méfient des informations qu’ils y trouvent lorsque celles-ci proviennent de l’Occident. Toutefois, l’image qu’aime renvoyer Poutine d’une population satisfaite est loin de la réalité d’un pays psychologiquement fragile. « La réalité, c’est que la Russie est un pays en guerre qui voit des ennemis partout, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. », explique Iuliia Berezovskaia, qui dirige le blog Grani.ru, interdit en Russie car jugé illégal. « Les représentants du pouvoir n’ont pu montrer aucune preuve précise à l’encontre de notre site, mais ils ont utilisé une formulation vague qui a marché, en affirmant que notre blog promulguait le recours à des activités illégales et à la participation aux rassemblements de masse. Nous avons perdu tous les procès. », raconte-t-elle. Je pense qu’il faut préciser que ces propos ont été énoncés lors d’une conférence, dans l’état actuel, on dirait que nous l’avons interviewé
Le contrôle des pensées : vers une volonté de supprimer internet ?
Des maux sociétaux, censurés mais bien existants, sont effacés du paysage médiatique. « La plupart des médias en ligne russes pratiquent l’autocensure », affirme Iuliia. En outre, une loi votée en 2012 permet d’interdire des sites internet sur la base d’une liste noire initialement conçue afin de protéger les mineurs face à des sujets tels que la pédopornographie, la drogue, le suicide… Mais cette loi a permis d’interdire des publications qui entrent difficilement dans ce spectre, tel qu’un article sur les suicides des patients cancéreux privés de médicaments pour soulager la douleur.
Au nom du terrorisme et de la sécurité nationale, il est en outre interdit de remettre en cause la version officielle de la Seconde Guerre Mondiale, ou de faire de la propagande pro-homosexuelle. Des sites utilisés par les adolescents homosexuels pour parler de leurs problèmes figurent également sur la liste des adresses web qui ne sont plus accessibles. « Cette guerre de propagande en ligne très bien financée »,il manque un verbe explique Iuliia Berezovskaia. « Au travers d’une armée d’agents en ligne, des milliers de comptes sont créés sur les réseaux sociaux avec la volonté de contrôler internet à tous les niveaux. En Russie, le stockage des données des utilisateurs est très important, ce qui permet de recenser de nombreuses informations, par exemple au travers d’agences de voyage. »
Sans aucun doute, l’idéal pour Poutine et d’autres chefs d’État mal à l’aise avec la liberté d’expression, serait de supprimer totalement internet dans leur pays. Iuliia confirme le projet de Poutine de « débrancher la Russie ». Bien qu’irréaliste sur beaucoup de points, c’est la mentalité derrière cette volonté qui fait qu’internet est traité comme un mal qu’il faut curer, une menace à éradiquer. En épinglant Facebook et Twitter, les deux principaux réseaux sociaux, il a franchi un pas de plus vers le contrôle total des internautes. Mais si le Président russe agit de la sorte, c’est aussi la preuve qu’internet commence à faire bouger les lignes dans son pays, et qu’il se rend compte de la difficulté de contrôler chaque compte Facebook. Dépassé par un monde dont il ne peut délimiter les frontières, Poutine cède à l’entêtement. L’efficacité de cette politique sur le long terme reste à discuter, car d’autres pays ont montré que, de nos jours, une censure trop poussée finit par faire éclater les mouvements d’opposition.