« C’est ma manière à moi de chercher à créer le lien avec mes voisins arabes, de m’intégrer dans la région. »
Ils s’appellent Inbal, Elad, Neta et Gilad. Ils ont autour de trente ans. Ils sont beaux, comme seule la jeunesse sait l’être, doués, passionnés, engagés. Leur volonté, réparer. Recoller les morceaux de leur identité. Comme des fragments d’ADN. Et redonner sa place, et sa légitimité, dans leur vie et la société à la culture de leurs anciens. Cette culture que sous la pression leurs parents ont reniée. Qu’ils se sont efforcés d’effacer, d’oublier, pour en adopter une nouvelle, lointaine et étrangère bien qu’on la dît universelle. Ainsi, deux générations ont passé, et soudain, naturellement, la source a resurgi pour reprendre ses droits par la voix des petits-enfants.
Sur un coup de foudre, par nostalgie ou hasard, ou encore emportés par une force indéfinissable, ils sont partis sur les traces de cette partie d’eux-mêmes perdue sur la route de l’histoire. Celle particulière de l’exode et de la création de l’État d’Israël. Mais aussi celle universelle du sacrifice des hommes à un intérêt suprême. Ils ont fait le parcours inverse de leurs parents et se sont retrouvés, reconnus, apaisés. Ils se sont réapproprié leur patrimoine culturel, figé depuis des années comme une photo jaunie. Et, imprimant sur lui leur marque, l’ont ramené à la vie pour la plus grande joie du public. Ils sont déterminés à le promouvoir, le transmettre, lui gagner la place qu’il mérite dans la culture nationale.
Inbal Djamchid chante sa nostalgie
Inbal a toujours chanté. Elle chante comme elle respire. Ses grands yeux ronds projettent sur son visage clair et franc un air étonné, enfantin. Elle semble douce, réservée. Sur scène, elle brille, elle s’impose. Ayant grandi dans une famille qui a la musique au cœur, son avenir de musicienne semblait presque tracé. Elle a appris le piano, puis la composition à l’Académie de Jérusalem. De formation classique, elle s’est lancée dans le rock, un peu électronique, avant d’explorer la voie de la musique orientale. Cet amour, explique-t-elle, est né de la nostalgie.
Enfant, elle se passionnait « pour les anecdotes du passé qui se jouaient dans des endroits qui n’étaient pas ici ». Une partie d’elle, raconte Inbal, ne s’est jamais détachée de ces lieux d’où elle vient et où elle n’est jamais allée. Elle ne les connaissait pas. Pourtant ils lui manquaient, comme à ses grands-parents qui avaient dû quitter l’Iran, le Maroc, l’Algérie. Au commencement donc, il y a eu la nostalgie. « Et comme je suis musicienne, il était évident qu’un jour, je m’intéresserais à cette musique. Parce que la musique, c’est ma manière à moi de parler. » À dix ans, elle s’achète une flûte puis un tam-tam iraniens.
Plus tard, par l’intermédiaire de son futur mari, elle approche la musique arabo-andalouse, et en tombe amoureuse. « Plus on connaît un style, plus on en voit la beauté, c’est normal. Mais je ne peux pas affirmer que ça n’a pas en plus touché en moi un point sensible très loin, dans l’inconscient. » Aussi et ce n’est pas un facteur négligeable, cette musique la relie, dit-elle, outre au passé et à l’ailleurs, à aujourd’hui en Israël. « C’est ma manière à moi de chercher à créer le lien avec mes voisins arabes, de m’intégrer dans la région. » Pourtant, elle qui déjà adolescente s’est engagée à corps perdu dans le combat pour la paix, elle qui de tout son cœur veut croire en un avenir meilleur avoue qu’il n’y a pas d’endroit où elle soit tout à fait chez elle. « Ici, c’est chez moi, mais est-ce que tu peux te sentir à cent pour cent à la maison quand ta maison n’est pas sûre ? »