À la suite d’une nouvelle agression, à la machette cette fois, perpétrée lundi 11 janvier à Marseille (France), contre un Juif coiffé d’une kippa, la communauté juive s’interroge sur la conduite à adopter. Le débat a été lancé par le président du consistoire israélite de Marseille, Zvi Ammar, qui a conseillé de « provisoirement », a-t-il dit, ne plus la porter dans la rue.
Zvi Ammar s’avoue lui-même triste d’en être arrivé là et précise qu’il ne s’agit pas pour lui « de céder au terrorisme ni aux barbares, mais […] de préserver les vies humaines » sans mobiliser plus qu’elles ne le sont déjà, ajoute-t-il, comme en excuse, les forces de l’ordre : « On ne va pas mettre un policier, un gendarme ou un militaire derrière chaque juif ». En d’autres termes, face à un danger impossible à endiguer, les Juifs devraient se cacher, ou du moins s’efforcer de se faire plus discrets.
Les réactions, dans la communauté juive et le monde politique, n’ont pas tardé à se faire entendre, et elles se multiplient. Celles de soutien comme de rejet. Entre autres, Roger Cukierman président du Conseil représentatif des institutions juives de France, a déclaré sa désapprobation, jugeant cette attitude défaitiste et indigne. Pour le grand rabbin de France Haïm Korsia, pas question non plus de renoncer à la kippa, mais il s’agirait, de la part de Zvi Ammar, « d’un cri d’émotion compréhensible ». Quant à l’avis du président du consistoire central Joël Mergui, il l’exprime en un slogan « Touche pas à ma kippa ». Pour ce dernier, la question n’est pas seulement l’affaire des Juifs, mais bien de toute la société française. Il est rejoint sur ce terrain par Christiane Taubira, garde des Sceaux, pour qui ce problème est celui de la République où tous les citoyens doivent pouvoir « vivre librement » selon leurs convictions et « se sentir en sécurité ».
Bref, le débat est ardu et risque de faire encore couler beaucoup d’encre.
Il faut désormais plus qu’un mort pour choquer l’opinion
Comment en est-on arrivé là ? Il y a en France une vague d’antisémitisme comme il y a une vague islamophobe. Une double spirale du mépris que les pouvoirs publics comme les responsables religieux ont tardé à traiter.
L’agression de Marseille nous oblige à nous pencher sur la première. Difficile de dater précisément le début de la vague antisémite de ces dernières années, mais je lui donnerais un nom, celui d’Ilan Halimi. Son drame qui, à l’époque, a fait descendre dans la rue des milliers de personnes, a marqué les esprits.
Depuis, le nombre et la fréquence des agressions ont tellement augmenté, qu’elles sont presque devenues un fait du quotidien, une banalité. En 2015, avec les 700 agressions antisémites de gravités variées recensées par le Bureau nationale de vigilance contre l’antisémitisme (chiffre donné par le président du BNVCA Samy Ghozlan), il faut désormais plus qu’un mort pour choquer l’opinion. Tout aussi inquiétant : une peur s’est installée dans les quartiers où les Juifs pratiquants côtoient une population jeune à majorité musulmane. La triste réalité est que beaucoup de ces Juifs visibles ont peur quand ils sillonnent les rues de leurs communes. Dans les écoles publiques des arrondissements et des quartiers où l’immense majorité des élèves sont musulmans, les parents juifs, à force de brimades ou de pressions, ont retiré par milliers ces dernières années leurs enfants pour les mettre dans des établissements privés. Nous n’incriminons là ni l’islam ni les responsables musulmans de France mais cette réalité a malheureusement été trop ignorée.
On peut donc comprendre le désarroi des responsables de la communauté juive qui ont sans exception jusqu’ici prôné le calme et la confiance mais dont beaucoup partagent les craintes de Zvi Ammar à Marseille sans pour autant approuver le remède qu’il préconise.
L’effet « panique » n’est pas à minimiser. Tant que les chefs de ligne considèrent les problèmes gérables, leurs « ouailles », rassurées, prennent leur mal en patience, pouvant imaginer qu’il n’y a pas péril en la demeure. Que se passerait-t-il en revanche, si ces mêmes leaders pointaient du doigt un danger et reconnaissaient leur impuissance ?
Un peu d’humour (juif) ne faisant jamais de mal, il est urgent d’agir pour éviter que les juifs en soient contraints à se déguiser, comme l’évoquait Joann Sfar hier à sa manière. Des initiatives comme celles du rabbin Michel Serfaty qui sillonne la France depuis des années avec l’Amitié judéo-musulmane pour contribuer à faire connaître l’autre auraient dû bénéficier d’un soutien massif de l’État français et donné lieu à un plan Marshall pour le mieux vivre ensemble dans les quartiers que la République française a trop désertés.