Le regard dans le vague, les larmes au bord des yeux, ces quelques membres de l’Association des Femmes et Familles des Détenus d’Opinion de Côte d’Ivoire (AFFDO-CI) en ont gros sur le cœur, le jour de raconter la disparition de leurs proches. Depuis 2011 et la fin de la guerre civile, qui a entériné l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, plusieurs arrestations de partisans présumés de l’ancien président Laurent Gbagbo n’ont de cesse d’inquiéter certaines Organisations Non Gouvernementales de défense des Droits de l’Homme, à l’instar d’Amnesty International.
Pour Odile Bah, assise avec trois de ses camarades de lutte dans un petit restaurant de l’Ouest d’Abidjan, l’approche des fêtes de fin d’année est un calvaire, loin de son petit frère, incarcéré depuis 2012. À la suite de la crise post-électorale, le jeune Stéphane Bah fuit la guerre au Libéria voisin pour se réfugier chez une tante. Il n’en fallait pas plus pour qu’il paraisse suspect aux yeux du nouveau pouvoir, qui le ramène à Abidjan et l’incarcère dans le Nord du pays. « Nous n’avons même pas l’assurance qu’il soit pris en charge par un juge », témoigne son aînée, désespérée.
À côté d’elle, Célestine Nando se souvient, comme beaucoup de ces femmes, de la date précise de l’arrestation de son fils. « C’était le 9 septembre dernier », commence cette dame d’un certain âge, à la veille d’une marche de l’opposition pour protester contre les conditions d’organisation des élections présidentielles, le mois suivant. « Mon fils n’a jamais fait de politique, mais on l’a suspecté d’avoir des liens avec des partisans de l’opposition », témoigne-t-elle. Lorsque le verdict tombe le mois suivant, Célestine s’est effondrée : ce sera un an de prison pour le jeune Kouamé Richmond, dans la redoutée Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA). Si sa peine a été ramenée à six mois finalement, l’inquiétude n’est pas retombée : le détenu souffre de problèmes importants de santé, et lui rendre visite relève du parcours du combattant, au vu du nombre de pots de vin à verser pour franchir tous les barrages jusqu’à sa cellule.
Les événements peuvent s’avérer plus tragiques encore. Les femmes et familles des prisonniers politiques – Crédit photo : Noé Michalon[/caption]
« Qui sait que le jeune Kouamé a été torturé illégalement à la MACA ? », lance tout de go Inès Douati, présidente de l’AFFDO-CI. Fille d’un ancien ministre du Président Gbagbo incarcéré après la crise, cette jeune femme, qui a été Alassane Ouattara lors d’un meeting à Abobo (nord d’Abidjan) – Crédit photo : Noé Michalon[/caption]
Toujours évasif sur la question, le gouvernement se refuse à toute amnistie générale. Il faut dire que l’opposition, dressée par dix ans de discours nationalistes, continue à peser considérablement parmi la population dans un contexte d’ouverture économique aux investisseurs du monde entier. Si le faible taux de participation n’est pas uniquement explicable par le boycott du parti de Laurent Gbagbo, celui-ci se targue, malgré de profondes divisions internes, de pouvoir continuer à mobiliser malgré leur absence de l’Assemblée Nationale et des principaux postes électifs du pays.
Les conflits minent la majorité actuelle, avec notamment le cas du Président de l’Assemblée Nationale, l’ancien chef rebelle Guillaume Soro, accusé d’avoir soutenu les putschistes de septembre au Burkina Faso, et sous le coup d’un mandat d’amener de la justice française pour maltraitances envers le fils franco-ivoirien de Laurent Gbagbo, détenu entre 2011 et 2013 dans le Nord du pays. De quoi rajouter du bruit à la cacophonie, et précipiter la lutte que prédisent plusieurs observateurs entre le second personnage de l’État et le ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko pour l’investiture de la coalition au pouvoir aux prochaines élections.
Alassane Ouattara à peine réélu, la lutte pour 2020 a commencé au sein des différentes formations politiques. Le sort à réserver à ces détenus si polémiques pourrait bien être au cœur des stratégies des uns et des autres pour s’attirer les nombreuses voix vacantes d’une opposition orpheline de son mentor, Laurent Gbagbo, dont le procès à la Cour Pénale Internationale aura lieu fin janvier.