Chaque année, la Journée des avocats en danger se tient le 24 janvier. Étant donné les centaines d’avocats persécutés, voire assassinés, dans le monde, cette journée mériterait une reconnaissance mondiale et une mobilisation de toutes les instances internationales. Elle n’est même pas recensée sur les sites des Journées mondiales…
Cela dit, chaque année, et c’est bien l’essentiel, la Journée des avocats en danger met au déshonneur un pays.
L’édition précédente avait braqué son projecteur sur les Philippines, cette fois, c’est au Honduras d’être dans son collimateur. « Depuis 2014, 119 avocats y ont été assassinés du fait de l’exercice de leur profession », peut-on lire dans la présentation de la journée d’action, 119 sur 500 dans le monde, selon les (sous-)estimations.
D’après la nouvelle tradition de ces journées annuelles, les avocats en robe se retrouvent dans différents pays du monde devant les ambassades du « pays de l’année », pour soutenir leurs collègues qui y subissent divers sévices allant de l’intimidation au meurtre. Ils manifestent ainsi leur « solidarité avec leurs collègues en danger [et] dénoncent les atteintes à [leur] indépendance et au libre exercice de leur profession ».
Des avocats muselés, c’est la justice en danger. La justice, mais pas seulement nous explique Miguel Loinaz, président sortant de l’Union internationale des avocats, depuis son bureau à Montevideo en Uruguay : « ce sont aussi la liberté, la démocratie, l’État de droit qui se trouvent ainsi menacés ».
Pour Miguel Loinaz, qui s’était fortement engagé sous sa présidence de l’UIA pour Walid Abou al-Khair, l’avocat emprisonné du célèbre blogueur saoudien, Raef Badaoui, condamné à la flagellation, l’important n’est pas de dénoncer un pays en particulier mais la puissance de frappe de l’État en général. « Les avocats, en tant que gardiens des droits des citoyens, dit-il, sont les garants des libertés. C’est parce qu’ils sont les derniers à pouvoir s’interposer entre un pouvoir tout-puissant et les citoyens qu’ils sont eux-mêmes persécutés. » Il explique que la liste est longue des pays qui bafouent les droits des avocats.
La Journée de protestation est sans doute importante pour la prise de conscience, mais, martèle-t-il, il est temps de passer à l’action. Sinon, « c’est comme chanter un hymne sans partir à la guerre », explique-t-il. « Les organisations humanitaires avec les pouvoirs publics doivent s’organiser pour négocier désormais. Pour que cessent les mauvais traitements et les injustices. Il faut par exemple se battre pour la libération de Lydienne Yen Eyoum, l’avocate française emprisonnée au Cameroun, depuis huit ans maintenant. Il ne suffit plus d’en parler, il faut réfléchir à l’action et aux moyens de pression à notre disposition. »
Frédéric Sicard, nouveau bâtonnier de Paris, estime lui aussi le moment venu d’agir. « Il va falloir passer à la vitesse supérieure, déclare-t-il. Il nous faut envisager les moyens d’exfiltrer nos collègues, à la manière des journalistes, dont nous pouvons apprendre beaucoup en la matière. On pourrait imaginer les accueillir à Paris. La maire de Paris, Anne Hidalgo, tient beaucoup au statut de ville refuge de sa ville. » Mais il ne faut pas pour autant négliger l’information : au contraire, Frédéric Sicard parle d’en augmenter la puissance de frappe en diffusant l’information sur le Net et sur papier. Et d’ajouter : « Les dangers guettent partout, même dans les grandes démocraties. Par exemple, le droit à un avocat n’est pas inscrit dans la Constitution en France, alors qu’il l’est au Canada, aux États-Unis et au Brésil entre autres, ce qui fragilise nos confrères, même si de moindre manière évidemment que dans des dictatures. »
« En fait, des règles il y en a dans tous les pays, renchérit Miguel Loinaz, mais certains États n’appliquent les règles que quand et comme ça les arrange. Or c’est aux avocats qu’il revient de veiller à ce que les règles soient appliquées. Et ils se mettent en danger en questionnant justement ainsi la puissance de l’État. »